Loi Blanquer : Une école à deux vitesses

jeudi 18 juillet 2019.
 

Le Ministre Blanquer avait annoncé qu’aucune loi ne porterait son nom. Il a bien failli tenir sa promesse puisque les réformes du lycée général et technologique, du lycée professionnel et du baccalauréat ont été actées par décrets, sans passer par le processus législatif. Et cela alors même qu’elles représentent un bouleversement des finalités de ce niveau d’enseignement. Mais le Ministre a finalement présenté au début de l’année un projet de « loi sur l’école de la confiance » qui rencontre un vif rejet de la part des enseignants et des parents d’élèves. Après un passage devant l’Assemblée nationale puis le Sénat, une commission paritaire mixte s’est réunie le 13 juin 2019 afin de trouver un compromis entre les deux textes votés. La mobilisation des enseignants et des parents a porté ses fruits. Certaines dispositions, parmi les plus emblématiques et les plus critiquées, ont été abandonnées. Mais dans le texte de la commission paritaire restent des mesures qui vont aggraver les inégalités sociales et territoriales, en accord avec le projet initial Blanquer, celui d’une école à deux vitesses.

Ce à quoi nous avons échappé

Le projet de créer des écoles des savoirs fondamentaux, annexant certaines écoles élémentaires à des collèges n’a pas été retenu par la commission paritaire. Et c’est tant mieux, car cela ouvrait la voie à la fermeture d’écoles rurales et au transfert des missions des directeurs.trices d’école aux chefs d’établissement des collèges. Il n’est pas certain que ce projet ne revienne pas sur la table à une autre occasion mais ce n’est en tout cas pas pour tout de suite.

Dans la version votée par le Sénat, les mères voilées étaient encore une fois montrées du doigt par un amendement leur interdisant d’accompagner les sorties scolaires tandis que les parents se voyaient menacés de retrait des allocations familiales en cas d’absentéisme de leurs enfants. Ces mesures stigmatisantes pour les parents d’élèves, tout particulièrement ceux des milieux populaires, considérés comme des ennemis de l’école, nuisibles et irresponsables, ont elles aussi heureusement été abandonnées.

Le projet d’annualiser le temps de service des enseignants, c’est-à-dire de pouvoir faire varier fortement leur temps de travail d’une semaine à l’autre, et de les contraindre à suivre formations pendant les congés scolaires à lui aussi été retiré de la loi lors de son passage en commission paritaire mixte. Mais ce qui est sorti par la porte semble revenir par la fenêtre puisqu’un projet de décret prévoit d’imposer aux enseignants cinq jours de formation continue pendant les congés scolaire. Le Ministre confirme ainsi sa volonté d’augmenter le temps de travail des enseignants, de gré ou de force, ce qu’il avait déjà montré en avril dernier par un décret contraignant les enseignants à accepter jusqu’à deux heures supplémentaires.

Cadeau pour le privé

Parmi les éléments de la loi qui n’ont pas été retirés, l’abaissement de l’obligation scolaire à trois ans au lieu de six actuellement. L’allongement de la durée de la scolarité obligatoire pourrait apparaître comme un progrès social s’il ne signifiait pas surtout un cadeau fait aux écoles maternelles privées en ne bénéficiant qu’à peu d’enfants. Actuellement, presque 98% des 3-6 ans sont inscrits à l’école. L’application de la loi n’aura donc que peu d’impact puisque une écrasante majorité des enfants concernés par cette obligation nouvelle sont déjà scolarisés. Et l’on ne trouvera sans doute pas avant longtemps les bâtiments et les enseignants nécessaires pour accueillir les 7000 enfants de Guyane et de Mayotte qui ne le sont pas. La loi aura cependant un impact non-négligeable sur les finances publiques puisqu’en passant sous le régime de l’obligation scolaire, les écoles maternelles privées bénéficieront des mêmes droits au financement que les écoles élémentaires. Rappelons que les communes sont contraintes par la loi à participer aux dépenses de fonctionnement des écoles privées. Elles n’étaient pas obligées de le faire pour les maternelles, elles le seront désormais, ce qui représentera une dépense publique estimée à 100 à 150 millions d’Euros. L’État s’est engagé à prendre à sa charge ce coût mais quoi qu’il en soit, il s’agit d’un cadeau fait à l’enseignement privé, sans contrepartie, et ce sera autant de moins pour le public. Cette nouvelle ressource inespérée va en outre rendre les écoles privées plus attractives, ce qui leur permettra de continuer à capter les meilleurs élèves, laissant au public toutes les difficultés scolaires et sociales…

Une école pour les élites

La loi prévoit aussi la création d’établissements publics locaux d’enseignement international (EPEI), qui sont emblématiques du projet inégalitaire de Jean-Michel Blanquer. Ces établissements au recrutement sélectif et élitiste pourraient être présents dans toutes les académies, proposant aux enfants de fonctionnaires européens ou de cadres de la finance exilés de Londres suite au Brexit un enseignement bilingue et une préparation à des diplômes internationaux. Ils pourraient même être en partie financés par des fonds privés. Dans un contexte de réduction généralisé des moyens alloués à l’éducation, s’organise ainsi au sein même de l’enseignement public la possibilité pour des familles déjà très privilégiés de disposer d’une école à part, qui leur permettra de rester dans l’entre-soi et de bénéficier de davantage de moyens.

Mépris des enseignants

Par ailleurs, la « loi sur l’école de la confiance » entend mettre les enseignants au pas, en leur imposant « un devoir d’exemplarité » et ne bridant leur liberté d’expression. Le Ministre Blanquer souhaite des enseignants qui se tiennent bien et n’expriment pas de critiques envers l’institution. La loi nie aussi la spécificité du métier d’enseignant et la nécessité d’une formation pour enseigner. Elle permet aussi de donner la responsabilité de classes à des étudiants en cours de formation, sans qu’ils soient accompagnés par un enseignant expérimenté. On peut facilement imaginer que ces nouveaux apprentis enseignants n’exerceront pas dans les EPEI tout neufs mais dans des établissements déjà en difficulté, dans les zones où il est difficile de recruter.

Inclusion au rabais

La loi Blanquer prétend améliorer l’inclusion des élèves en situation de handicap mais elle constitue en réalité un recul de l’accompagnement dont ceux-ci bénéficient. La situation actuelle n’est pas satisfaisante. Les personnels chargés de l’accompagnement des élèves en situation de handicap, les AESH, ne bénéficient pas d’une formation suffisante et sont maintenus dans des statuts d’emploi particulièrement précaires. Mais ce que prévoit la loi Blanquer risque de dégrader encore leur situation en créant des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) dans chaque département, qui regrouperont les moyens en accompagnants. Ceux-ci ne seront plus affectés à un enfant particulier mais à un groupe d’établissements, ce qui a évidemment pour objectif de mutualiser les moyens pour les réduire, au détriment des besoins des enfants.

Avec la loi Blanquer et les réformes du lycée et du baccalauréat, la vision de l’école de Jean-Michel Blanquer, le bon élève du gouvernement Macron, se concrétise. Celle d’une école à deux vitesses, limitant les perspectives des élèves les plus fragiles et réservant le meilleur à une élite.

Clarisse Guiraud


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