Les procédures judiciaires françaises héritières de l’Inquisition

mercredi 3 février 2021.
 

La justice française héritière de l’Inquisition.

La juridiciarisation croissante des conflits syndicaux et sociaux, l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire par le pouvoir politique (non seulement en France mais aussi à l’étranger) frappant principalement les forces d’opposition conduisent à s’interroger sur la nature de la Justice elle-même en France.

1) Le juge français est resté un inquisiteur

Source : Revue L’histoire. Novembre 2001. No 259

Dossier : le livre noir de l’inquisition.

Entretien avec Thierry Lévy, avocat au barreau de Paris

Une justice qui cultive le secret et ne donne pas toutes ses chances à l’accusé.

Pour l’avocat Thierry Lévy, le constat est sans appel : le système français n’a pas rompu avec l’héritage de l’Inquisition.

Q : Vous affirmez que la France n’a jamais rompu avec les principes de l’Inquisition.

R : En effet ! Le système français est régi aujourd’hui par des principes qui relèvent de procédures élaborées à partir du XIIIe siècle avec l’Inquisition, et qui se sont enracinées avec le code d’instruction criminelle de 1808.

Q : La révolution de 1789 a pourtant tout changé…

R : La loi de 1791 a réduit à presque rien l’instruction préparatoire, elle a supprimé le Ministère public (le procureur, ou encore le Parquet) et elle a imposé l’oralité des débats devant un jury ; des juges de paix étaient chargés de recevoir les plaintes des citoyens et d’interroger publiquement les accusés.

Mais ces mesures ont été balayées dès le Consulat qui faisait, moins de 10 ans plus tard, renaître le Ministère public. La révolution n’a été qu’une parenthèse.

Q : En quoi peut-on dire alors que les juges français aujourd’hui sont des héritiers de l’Inquisition ?

R : Pour trois raisons qui tiennent à trois principes essentiels qui sont encore en vigueur aujourd’hui.

1) L’enquêteur (aujourd’hui incarné par le trio policier, juges, procureur) est aussi un juge. Agent du pouvoir, c’est lui qui ordonne l’enquête, convoque les témoins, réunit les preuves, interroge les suspects, renvoie devant le tribunal ou non, enfin procède à l’exécution de la condamnation.

2) L’enquêteur agit dans le secret. De sorte que, lorsque l’on comparaît devant lui, on ne sait pas ce qu’il sait. Depuis la loi du 8 décembre 1897, l’avocat de la défense pénètre dans le cabinet du juge d’instruction. Il a accès au dossier mais son rôle est muet aujourd’hui, il connaît ce que sait le juge au moment où la personne qu’il assiste est interrogée Cependant le secret de l’enquête prévaut encore, en amont, dans la phase policière. La garde à vue est d’ailleurs apparue quand l’avocat a été admis dans le cabinet du juge d’instruction. Quand vous vous présentez devant un policier, au cours de la garde à vue, vous ne connaissez pas les raisons de votre interrogatoire. Et les déclarations que vous faites alors auront un poids énorme durant le procès.

3) L’enquêteur dispose de pouvoirs propres supérieurs à ceux de l’accusé dans la recherche des preuves. Cette inégalité a été en partie corrigée par la loi du 15 juin 2000 « renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes », entrée en vigueur le 1er janvier 2001. L’accusé peut désormais demander au juge d’instruction tous les actes (perquisition chez un tiers, saisie d’un document, audition d’un témoin) qui lui paraissent utiles à la manifestation de la vérité.

Q : Pourquoi veut-on toujours faire avouer les coupables, alors que l’aveu n’est pas une preuve ? Cela aussi est-il un héritage de l’Inquisition ?

R : Dans d’autres systèmes, il n’existe pas de preuves légales, c’est-à-dire de preuves définies par la loi. Il n’y a pas non plus de hiérarchie des preuves (contrairement à l’ancien régime où l’on parlait de demi-preuve, de quart de preuve). Ainsi l’aveu, juridiquement, n’a pas plus de valeur que les autres formes de preuves. Reste que, du fait de son passé, de sa charge émotionnelle, religieuse, sacralisée, il continue de posséder, aux yeux de l’enquêteur, une très grande valeur.

La recherche de l’aveu s’accompagne d’une autre pratique, elle aussi héritée de l’Inquisition : la détention provisoire. L’Inquisition présente l’emprisonnement comme un moyen d’obtenir l’aveu. Aujourd’hui encore, rien n’interdit au juge d’instruction de mettre quelqu’un en prison. Et d’espérer ainsi obtenir ses aveux. Dans des affaires financières récentes, on a vu ainsi des juges d’instruction reconnaître que la détention cesserait si l’accusé se montrait coopératif.

Q : La procédure inquisitoire est-elle pratiquée dans tous les pays ?

R : Non. Dans les pays anglo-saxons, la procédure est dite « accusatoire ». C’est un système dans lequel chaque partie apporte ses preuves au juge qui tranche. Ce dernier n’est donc pas un enquêteur, contrairement à ce qui se passe en France. Il statue sur la procédure d’enquête, sur la valeur des preuves apportées, sur la nécessité d’exercer des moyens de coercition, sur celle d’effectuer une saisie, etc. Mais ce sont les parties elles-mêmes qui conservent l’initiative de toutes les investigations. Et elles se trouvent exactement à égalité devant un juge qui arbitre.

Ce système est celui de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de l’Australie, de l’Afrique du Sud. En France même, il a existé au Moyen Âge, avant que la procédure inquisitoire ne soit mise en place. C’est le système le plus simple, le plus évident. Celui que les enfants appliquent lorsqu’ils ont un conflit qu’ils vont trouver leurs parents pour trancher.

Q : Mais cette procédure accusatoire ne renforce-t-elle pas les inégalités face à l’accès à la justice : pour avoir une bonne défense, l’accusé doit pouvoir la financer ?

R : Bien sûr, mais ce n’est pas parce que, dans la procédure accusatoire, l’accusé mal défendu a moins de chance de faire valoir sa cause que l’accusé bien défendu que, dans la procédure inquisitoire, l’accusé est bien défendu.

Dans le système inquisitoire, la partie qui accuse est bien défendue et la partie accusée a le plus grand mal à se défendre. Et cela dans tous les cas.

Q : Quelle réforme de notre justice préconisez-vous alors ?

R : Si l’on veut que les juges soient indépendants, il ne suffit pas de rompre les relations entre le parquet et le gouvernement. La condition nécessaire est la rupture du lien entre le juge et le procureur. Bien sûr, les choses ont un peu changé, le juge peut prendre de nombreuses décisions contre l’avis du procureur : le placement en détention, la mise en liberté, le renvoi devant le tribunal, etc. Mais cette indépendance est toute relative, on l’a vu encore dans le cas de l’affaire du Président de la République Jacques Chirac : si le procureur ne veut pas que l’enquête ait lieu, elle n’a pas lieu. Actuellement, le juge et le procureur (qui représente l’accusation) se concertent, échangent leurs informations, utilisent des armes juridiques qu’ils ne peuvent utiliser qu’ensemble. Un couple abominable… (Propos recueillis par Héloïse Kolebka)

2) La justice française et le sens de l’Inquisition.

Source : blog de Mediapart. 24/06/2019

https://blogs.mediapart.fr/cedric-l...

Film : Une intime conviction d’Antoine Raimbault

Adapté d’un fait divers, Antoine Raimbault pour son premier long métrage de fiction reconstitue le second procès de Jacques Viguier, accusé d’avoir assassiné sa femme qui a disparu sans laisser la moindre trace. C’est en cinéphile nourri au cinéma américain que le cinéaste livre sa confiance à proposer un sujet si peu traité dans le cinéma français alors qu’à Hollywood le film de procès est devenu un genre en soi. Dans une approche documentaire de reconstitution des faits, Antoine Raimbault fut à la fois spectateur des séances du procès et a recueilli les témoignages de la famille Viguier, le film donne à voir la spécificité de la mise en scène de la justice française.

Cette justice qui est l’héritière, comme l’explique le réalisateur et scénariste, de la tradition de l’Inquisition, où l’accusé doit se contenter d’être défendu et exposer avant tout l’ombre du doute de sa culpabilité pour pouvoir se défendre. La confrontation des parties opposées pour trouver une vérité des événements n’importe dès lors nullement. L’affaire Viguier repose ainsi sur des suspicions, la force des rumeurs imposées comme vérités unilatérales par la presse régionale à la réflexion aussi limitée que son absence totale de déontologie journalistique et de paresse totale dans le désir d’entreprendre une investigation (cf. La Dépêche citée dans le film). S’ajoute à cela une irresponsabilité profonde et grave de l’ensemble de l’équipe policière qui a basé son enquête sur les seules rumeurs véhiculées par l’amant vindicatif de la femme disparue.

Toutes les failles du système judiciaire apparaissent au grand jour et dès lors, sur quoi repose le sens de l’équité ? Pour y répondre, Antoine Raimbault invente un personnage de fiction, Nora, obsédée par la conviction de l’innocence de l’accusé. D’abord héroïne parfaite de la fiction, son obsession devient symptomatique d’une déconnexion à l’égard de la réalité, de ses liens sociaux, de sa relation mère-fils. Pendant ce temps, l’avocat de la défense Éric Dupond-Moretti qui fascine en dehors de la caméra le cinéaste, devient la vedette du spectacle médiatico-judiciaire, interprété avec force par le charismatique et génial Olivier Gourmet. Marina Foïs en femme obsédée de justice et Laurent Lucas en accusé mutique sont également parfaits dans leurs rôles respectifs. L’intime conviction des jurés qui doivent établir l’avenir de leurs concitoyens, se trouve chargée d’une immense responsabilité que le réalisateur par son film réussit à interroger avec subtilité tout en insinuant une dynamique propre au thriller à sa mise en scène.

Éléments d’information sur le film : Une intime conviction d’Antoine Raimbault

Avec : Marina Foïs (Nora), Olivier Gourmet (Maître Éric Dupond-Moretti), Laurent Lucas (Jacques Viguier), Jean Benguigui (Maître Maître Szpiner), François Fehner (le président Jacques Richiardi), François Caron (Maître Laurent de Caunes), Philippe Dormoy (l’avocat général), Jean-Claude Leguay (Maître Maître Debuisson), Philippe Uchan (Olivier Durandet), Roger Souza (Jean Viguier), India Hair (Séverine Lacoste), Armande Boulanger (Clémence Viguier), Steve Tientcheu (Bruno), Léo Labertrandie (Félix), Laurent Schilling (le commissaire divisionnaire Robert Saby), Alexandre De Caro (Guillaume Viguier), Adrien Rogé (Nicolas Viguier), Pascal Galazka (le témoin joggeur), Arnaud Pépin (le commissaire Frédéric Mallon), Muriel Bénazéraf (Colette), Thierry Calas (le patron de la brasserie), Alain Dumas (l’habitué de la brasserie)

France, Belgique, 2018.

Durée : 110 min

Sortie en salles (France) : 6 février 2019 Sortie France du DVD : 4 juin 2019 Format : 2,39 – Couleur Langue : français. Éditeur : Memento Films

3) L’indépendance et l’intégrité morale de la justice en question

a) Corruption et servitude

Les coulisses de la magistrature

Denis Robert sur Le Média invite Éric Halphen

https://www.lemediatv.fr/tout-peut-...

b) La justice est-elle au service du pouvoir politique ?

Émission « Vraiment politique » du Média. TV

https://www.youtube.com/watch?v=tu_...

Annexe : quelques articles de Hervé Debonrivage sur la Justice.

Misère de la justice, justice de la misère. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

L’instrumentalisation de la Justice par le pouvoir politique, une question actuelle mais pas nouvelle http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Jean-Luc Mélenchon victime de la non-séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ? Une interrogation justifiée. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Les réformes Taubira de la justice 2012–2014 http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Autre texte : l’Inquisition et le droit : analyse formelle de la procédure inquisitoriale de Jean-Pierre Dedieu https://www.persee.fr/doc/casa_0076...

La justice des années sombres 1940–1944. (Histoire de la justice) http://www.fondationresistance.org/...

Hervé Debonrivage


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