Steak haché : quand la course aux prix bas stimule la fraude

vendredi 14 juin 2019.
 

Alors qu’éclate aujourd’hui le scandale des steaks hachés de composition douteuse, provenant de Pologne et fournis à plusieurs associations caritatives, le rapport « l’Observatoire des prix de la formation des prix et des marges des produits alimentaires » qui couvre l’année 2018 a été rendu public la semaine dernière.

Il indique qu’après « les fortes baisses de 2014 et 2015 et une stagnation en 2016, l’année 2018 confirme la progression globale des prix à la production agricole initiée en 2017 ». En moyenne annuelle, toutes productions confondues, les prix payés aux paysans auraient augmenté de 2,2% en 2018.

En ce 7 juin 2019 on apprend que des steaks hachés de très mauvaise qualité ont été fournis en France à des associations d’aide aux plus démunis. La Croix rouge, la Fédération françaises des banques alimentaires, les Restaurants du cœur et le Secours Populaire Français en ont été victimes. Alors que le steak haché ne doit contenir que du muscle, avec un faible pourcentage de gras, ce seuil a largement été dépassé. Mais les steaks contenaient aussi des ajouts végétaux comme de l’amidon et du soja. Selon les informations recueillies, la tromperie sur la marchandise a été décelée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La viande frauduleuse a été fournie par une entreprise française qui s’approvisionne en Pologne. Réagissant face à ce nouveau scandale, la Fédération nationale bovine(FNB) de la FNSEA déclare dans un communiqué : « Comme dans d’autres affaires, la pression au prix le plus bas conduit aussi à franchir des lignes rouges au détriment de la qualité (…) Dans la stricte logique des Etats généraux de l’alimentation, la FNB demande aux pouvoirs publics d’assurer la généralisation du « 100% muscle » pour l’ensemble de la viande bovine distribuée en France sur appel d’offre dans les cantines et en restauration, ainsi qu’en boucherie et grande distribution ».

Les paysans sont toujours trop peu rémunérés

Pendant que certaines entreprises fraudent au niveau européen, le rapport de l’Observatoire sur la formation des prix et des marges en France, rendu public la semaine dernière, nous apprend que les prix payés par les consommateurs pour les produits laitiers auraient augmenté de 3% en 2018, ceux des poissons et du jambon de 2,2% , ceux de la viande porcine fraiche de 0,9% et ceux de la viande bovine de 1,4%.

A la sortie des sites de la transformation de l’industrie alimentaire les prix moyens n’ont augmenté que de 0,2% en 2018 avec toutefois des différences. Les prix des viandes bovines sont en hausse de 2,5% en 2018 par rapport à 2017 et ceux des produits laitiers de 1,7%. Mais le prix du porc frais pour la vente à la découpe était en baisse de 9%. Toujours selon ce rapport annuel présenté par Philippe Chalmin, « la part de la valeur ajoute induite par l’agriculture française ne représente que 6,5% des dépenses alimentaires des Français , le reste de ces dépenses créant de la valeur ajoutée dans les industries , le commerce , la restauration et les autres services ».

La loi Macron n’a rien réglé pour les paysans

La loi Egalim promise en 2017 par Emmanuel Macron n’ayant été votée que le 2 octobre 2019, le rapport qui vient d’être publié ne permet pas encore de savoir si celle loi permettra, ou pas, « d’inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production », comme l’annonçait le chef de l’Etat dans son discours de Rungis le 11 octobre 2017. En attendant, le prix de la tonne de blé rendue à Rouen pour l’exportation qui n’avait jamais franchi la barre des 170€ entre juillet 2017 et juin 2018 était montée à plus de 220€ en juillet 2018 avant de fluctuer entre 170 et 178€ depuis le mois de mars de cette année.

Qu’il s’agisse du blé, du maïs ou du soja, qui sont les trois graines les plus exportées dans le monde, les prix sont davantage tributaires de la spéculation dans les salles de marché que de l’évolution des coûts dans les fermes . Alors que le prix de la tonne de maïs et de blé avait baissé de plus de 15% à la Bourse de Chicago entre mars et la mi-mai de cette année, ils ont remonté d’autant ces deux dernières semaines, suite aux pluies qui ont retardé les semis de maïs et inondé certaines surfaces semées de blé.

Dans des pays exportateurs nets, les politiques décidées par des pays importateurs peuvent aussi faire chuter les prix du blé, du maïs et du soja. Afin de soutenir le revenu de ses producteurs et de moins dépendre des importations, le Maroc a fait monter 135% les droits de douanes sur les blés importés à la fin du mois de mai au lieu de 30% depuis novembre 2018. Depuis la récolte de 2018, la France a exporté 1,5 millions de tonnes de blé tendre au Maroc. Il n’est pas certains qu’elle puisse continuer ainsi et la perte de ce débouché pèsera sur les cours en France. C’est d’autant plus probable que les perspectives globales de rendements sont bonne cette année dans les pays membre de l’Union européenne, tout comme en Russie et en Ukraine.

Mondialisation libérale et baisse de notre excédent agricole

En 2011, 2012 et 2013, le solde positif agroalimentaire de la France dépassait les 12 milliards d’euros. En 2014, il est subitement tombé à 9,8 milliards d’euros tout comme en 2015. Il faut ici se souvenir qu’en 2014, suite aux sanctions économiques prises par l’Union européenne contre la Russie Vladimir Poutine avait décrété et maintenu depuis cette date un embargo sur les produit agricoles européens dans lesquels figurait beaucoup de beurre, de fromages, de viande porcine et de pommes exportés par la France. En 2016, année de très bas prix agricoles pour le lait et les céréales, notre excédent commercial agricole est tombé à 6,7 milliards d’euros, puis à 6,4 milliards en 2017. Mais il n’y a pas que le recul des exportations dans ce bilan. Les importations de produits à bas prix en provenance de l’Union européenne comme des pays tiers augmentent aussi, notamment pour fournir des matières premières bon marché à la restauration collective. Du coup, un rapport du Sénat nous indique qu’entre 8 et 12% des denrées alimentaires importes des pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production. Mais ce non respect concernerait aussi 17% des viandes fraîches de boucherie que la France importerait de certains pays membres de l’Union européenne. Ce non respect concernerait 13% de la volaille fraîche importée et 25% des importations de produits transformés contenant de la viande. Nous retrouvons là des pratiques qui montrent que le scandale dont il est question ce 7 juin 2019 n’est pas un fait isolé. On peur même dire qu’il est favorisé par une politique de compression du prix de revient de chaque repas, qu’il s’agisse de la restauration d’entreprise, des hôpitaux, des maisons de retraite, voire des cantines scolaires. On partage donc la suggestion que fait la FNB aux pouvoirs publics à travers le dernier paragraphe de son communiqué ainsi rédigé : »Afin d’enrayer l’importation de produits douteux, qui ne correspondent ni à nos standards de production et de fabrication, les consommateurs sont en droit, et se doivent d’exiger l’origine française et le logo « 100% muscle » sur les produits qui leur sont proposés ».

Gérard le Puill

Source : https://www.humanite.fr/alimentatio...


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