« Gilets jaunes » : La France macronienne rejette les critiques de l’ONU sur l’usage excessif de la force par la police

jeudi 23 mai 2019.
 

« Le Monde » s’est procuré la réponse française, qui justifie l’usage d’armes de « force intermédiaire ».

Si le ton se veut diplomatique, l’essentiel du propos ressemble à un courtois mais ferme « circulez, il n’y a rien à voir ». Mise en cause par l’Organisation des Nations unies (ONU) pour son « usage violent et excessif de la force » face au mouvement des « gilets jaunes », la France a fait parvenir sa réponse à l’institution le 11 avril, par le biais de sa mission permanente à Genève.

Un argumentaire de 21 pages, abondé par les notes du ministère de l’intérieur et de la justice, que Le Monde a pu consulter. Il résume la stratégie de défense du gouvernement face aux accusations de violences policières, dont Michelle Bachelet, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, s’était faite le relais. « Nous demandons urgemment une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force », avait-elle déclaré, lors d’un discours prononcé le 6 mars devant le Conseil des droits de l’homme à Genève.

En préambule, le document insiste sur les conditions « particulièrement difficiles » auxquelles ont été soumis policiers et gendarmes :

« Ces manifestations ont été marquées par des violences graves commises par certains manifestants, à l’encontre des forces de l’ordre, des journalistes présents ou d’autres personnes. Il faut également souligner que des propos, inscriptions et agressions à caractère raciste, antisémite ou homophobe ont été constatés au cours ou en marge des mobilisations. »

Une entrée en matière nécessaire pour appuyer la thèse du gouvernement qui sous-tend l’ensemble de la réponse de la France à l’ONU : le cadre légal applicable n’est plus celui de la « manifestation » mais de « l’attroupement », à savoir « une manifestation qui a dégénéré dans la violence ». Ainsi se trouve justifié le recours massif aux « armes de force intermédiaire », les grenades lacrymogènes, de désencerclement et plus particulièrement les fameux lanceurs de balles de défense (LBD) :

« A aucun moment le LBD n’est utilisé à l’encontre de manifestants, même véhéments, si ces derniers ne commettent pas de violences physiques, notamment dirigées contre les forces de l’ordre ou de graves dégradations. Mais alors il ne s’agit plus de manifestants, mais de participants à un attroupement violent et illégal. »

Quatre pages sont consacrées spécifiquement à la défense du LBD, rappelant son objectif premier :

« Les policiers ont recours au LBD lorsqu’il est nécessaire de dissuader ou de stopper une personne violente ou dangereuse. » Les spécificités de l’arme sont décrites par le menu et sa dangerosité est en partie reconnue : « En fonction des munitions utilisées, le LBD 40 mm est susceptible de causer des lésions importantes si le tir atteint des personnes situées à moins de 3 ou 10 mètres. »

Les nombreuses blessures engendrées par des tirs de LBD, largement répertoriées, ne sont pourtant nullement évoquées au fil du document, qui prend des pincettes avant d’évoquer de possibles dérapages :

« Si des cas de mésusages sont toujours malheureusement possibles, (…) ils ne sauraient remettre en cause l’utilisation régulière de cette arme en cas de nécessité. »

Et d’appeler à respecter le temps judiciaire :

« Tant que les enquêtes en cours n’auront pas abouti, il n’est pas possible de déterminer, à ce jour, si les personnes blessées par des tirs de LBD l’ont été dans une situation justifiant le recours à cette arme, avec les conséquences malheureuses qui s’y attachent, ou dans une situation d’usage abusif, critiquable. »

« Contenir cette violence sans retenue »

De manière générale, le gouvernement défend tous les moyens de force intermédiaire (bâtons de défense, engins lanceurs d’eau, grenades lacrymogènes) permettant de maintenir une « distance qui est garante d’un maximum de sécurité, tant pour les forces de l’ordre que pour les personnes qui leur font face, en évitant le contact direct et les blessures subséquentes ». L’usage de ces armes « a permis de contenir cette violence sans retenue et d’éviter des morts tant dans les rangs des forces de l’ordre que dans les rangs des émeutiers ».

En revanche, il nie toute utilisation de « liquides incapacitants » démentant « formellement l’existence d’une telle arme ». La gendarmerie nationale avait reconnu le 16 mars avoir employé un « gaz poudre » lacrymogène très concentré, depuis un véhicule blindé, qui selon certaines sources aurait un fort pouvoir incapacitant.

Si la réponse de la France est datée du 11 avril, de nombreux passages sur les allégations d’entraves à la liberté d’information ne manqueront pas de faire écho aux événements de l’acte XXIII, samedi 20 avril, avec l’arrestation de deux reporters indépendants. Dans son rapport, l’ONU estimait que « de nombreux journalistes qui couvraient les manifestations ont été victimes de violences policières et d’attaques de la part de manifestants ».

S’il détaille bien les agressions de journalistes par des « gilets jaunes », le gouvernement ne s’étend en revanche pas sur celles qui seraient le fait des forces de l’ordre. Tout juste fournit-il des chiffres à fin mars : vingt-sept signalements ont été effectués par des journalistes sur la plate-forme de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et dix enquêtes judiciaires ont été ouvertes. Par ailleurs, cinq plaintes auraient été enregistrées.

Défense de la loi anticasseurs

Parmi celles-ci, trois ont été déposées par des photographes de presse à Toulouse. « Il convient de préciser que les photographes étaient mêlés à des manifestants hostiles aux forces de l’ordre », affirme le document, ajoutant que l’origine des « projectiles » qui les ont frappés « reste à déterminer ». Une version qui ne correspond pas aux témoignages des trois reporters qui se trouvaient à 25 mètres des manifestants, portaient des insignes « presse » bien visibles, et estiment ainsi avoir été « pris pour cible » par les forces de l’ordre, notamment par une grenade de désencerclement.

Une bonne partie du document s’attache enfin à expliquer le cadre juridique des contrôles d’identité et des interpellations réalisés en masse depuis le 17 novembre, et à défendre au passage la nouvelle loi anticasseurs, adoptée le 12 mars. Le gouvernement nie toute « pratique intimidante », renvoyant les questions de l’ONU « à une méconnaissance de la loi sinon à une description partiale de la situation ». Selon le document, « il n’a pas été procédé à des placements en garde à vue systématiques et nul en France ne saurait être arrêté et n’a été arrêté en raison de sa seule qualité de manifestant ».

Le gouvernement balaye ainsi toutes les interrogations, notamment sur l’usage très vaste du délit de « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences » pour justifier l’ensemble des gardes à vue : « Le ministère de la justice (…) n’a pas été informé de quelconques “détournements de procédures”. »

Le détail des 290 plaintes contre les forces de l’ordre

Au 19 mars, 290 plaintes avaient été déposées contre les forces de l’ordre, dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » : 92 plaintes concernent des tirs de LBD ; 37 sont dues à des grenades et, dans 11 cas, un doute subsiste entre les deux armes ; 41 plaintes visent des coups de matraque ; 76 des violences avec une arme non identifiée ; 22 personnes ont porté plainte pour des jets de projectiles, sans en préciser la nature ; 6 personnes pour usage de gaz lacrymogène ; 5 pour arrestation arbitraire ou violences pendant leur arrestation, et une pour violence au moyen d’un véhicule. La qualification retenue est en général « violence avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique ». Mais dans 54 cas, cela concerne des faits ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et pour trois autres, c’est la « mise en danger de la vie d’autrui » qui a été retenue. Dix-sept procédures ont été classées sans suite.

Nicolas Chapuis


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