Chute de Geneviève Legay : ce que dit le procureur, ce que montrent les images

dimanche 31 mars 2019.
 

La manifestante de 73 ans est tombée à la suite d’une charge de police lors d’une manifestation à Nice. Le procureur affirme qu’aucun policier ne l’a touchée. Mais plusieurs images laissent planer le doute.

Les circonstances exactes de la chute de Geneviève Legay, une manifestante de 73 ans grièvement blessée à la tête à la suite d’une charge policière lors d’une manifestation interdite à Nice samedi 23 mars, n’en finissent pas de faire débat. Lors d’un point presse lundi 25 mars, le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, avait exclu que la manifestante ait été poussée par un policier. Mais l’analyse de plusieurs images de la scène, faite par Le Monde et d’autres médias, semble fragiliser certaines déclarations du magistrat.

1. « Geneviève Legay n’a eu aucun contact avec les forces de sécurité »

C’est ce qu’a répété le procureur de Nice lors de son point presse, en se référant aux premiers éléments de l’enquête, qu’il avait lui-même ouverte quelques heures après les faits. Le même jour, dans un entretien au quotidien Nice-Matin, Emmanuel Macron avait lui aussi affirmé que « cette dame n’a[vait] pas été en contact avec les forces de l’ordre ».

Le procureur a, par ailleurs, laissé entendre qu’un caméraman, ou un autre manifestant, pouvait être responsable de la chute de Geneviève Legay : « On ne voit pas qui la pousse. Si ce n’est que ce n’est pas un agent de sécurité, qui sont reconnaissables. C’est quelqu’un qui était devant elle, j’en connais trois », a-t-il ajouté à la fin de sa conférence de presse. Or, une étude minutieuse des vidéos et des photos diffusées par différents médias ne permet pas d’écarter un geste délibéré d’un policier.

Geneviève Legay est arrivée samedi matin place Garibaldi munie d’un gilet jaune, qu’elle a rapidement enlevé, et d’un drapeau arc-en-ciel. Au moment de sa chute, elle tenait le gilet dans la main droite et le drapeau dans la gauche, comme le montrent les images de France 3 :

https://www.youtube.com/watch?v=5th...

Or, sur des images de CNews prises pendant la charge, que Le Monde a recoupées dès lundi avec les témoignages des photographes présents au moment des faits, on voit un policier se déplacer vers la gauche du cadre et pousser une personne tenant un gilet jaune (à partir de la 20e seconde). La personne poussée est hors champ et n’est donc pas identifiable :

Une photo prise par Claude Paris, pour l’agence Associated Press, montrant Geneviève Legay en train de chuter, semble dévoiler ce qui se passe en dehors du champ de la caméra de CNews, juste après que le policier a poussé la personne tenant un gilet jaune :

Plusieurs éléments permettent d’établir que ce cliché correspond au hors-champ de CNews. Dans la capture d’écran de la vidéo (ci-dessous), la position du policier (cerclé de rouge) qui pousse une personne, ses lunettes de soleil (plus visibles dans la vidéo) – même s’il n’est pas le seul policier à en porter – et les détails sur son uniforme (l’écusson sur le bras gauche, là où la plupart de ses collègues portent des protections) semblent indiquer qu’il peut correspondre au policier situé à droite dans la photo d’AP, non loin de Geneviève Legay au sol :

Le positionnement de trois de ses collègues derrière lui (entourés en vert) – dont un commissaire portant un casque blanc – conforte la correspondance entre les scènes capturées par la vidéo et la photo. Leur mise en dialogue incite à penser que la personne poussée hors champ par un policier est susceptible d’être Geneviève Legay.

Après avoir pris connaissance de cette vidéo, Me Arié Alimi, l’avocat de la famille de Mme Legay, avait déclaré au Monde lundi qu’il « réclamait la démission du procureur de Nice compte tenu de ces nouvelles images. » L’avocat, qui a déposé plainte contre X au nom des trois filles de la manifestante pour « violences volontaires commises en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique, avec usage d’une arme, et sur personne vulnérable » et « subornation de témoin », a par ailleurs sollicité le dépaysement du dossier, justifié selon lui par un manque d’objectivité du parquet de Nice dans ce dossier « particulièrement sensible ». L’AFP, Libération et Arrêt sur images ont fait la même analyse des vidéos disponibles.

Contacté par Le Monde, Jean-Michel Prêtre assure néanmoins « rester sur sa ligne de lundi ». « Je vais vérifier si ces images ont bien été prises en compte, mais je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de vidéos qui aient échappé à notre enquête », assure le procureur, selon qui la justice « détient des images de très près qui ne laissent aucun doute » (il ne s’agit pas d’images de caméras de surveillance, « trop loin » pour avoir une idée précise de l’action). Selon le magistrat, les faits sont donc « indiscutables ».

Contactée par Le Monde, la préfecture des Alpes-Maritimes s’abstient de tout commentaire et renvoie « vers l’enquête du procureur en cours ». De son côté, Jean-François Illy, directeur départemental de la sécurité publique des Alpes-Maritimes, a simplement annoncé jeudi avoir saisi le procureur de la République après que des internautes ont injurié et menacé nommément des policiers niçois sur les réseaux sociaux.

Jeudi soir, Mediapart affirmait avoir consulté un rapport policier, établi le jour même de la manifestation, qui atteste qu’un « homme avec un bouclier » a touché la manifestante.

2. « Elle a été immédiatement secourue par deux “street medics” »

C’est un autre point sensible de l’affaire. Le procureur a affirmé lundi que Geneviève Legay avait été immédiatement secourue par des « street medics », des secouristes militants identifiables par leur blouse blanche, souvent pompiers volontaires ou travailleurs hospitaliers restant aux côtés des forces de l’ordre pendant les manifestations pour intervenir en cas de besoin.

Or, selon plusieurs témoignages concordants, ces derniers ont en réalité été bloqués par un commissaire de police alors qu’ils voulaient venir en aide à la militante blessée. « Un gendarme et un manifestant sont venus nous appeler pour nous demander d’aider, mais un commissaire nous a interdit de nous approcher. Puis, ils nous ont tous embarqués », explique au Monde Thierry Paysant, un hospitalier et secouriste présent samedi.

Plus surprenant encore : dix « Street Medics » ont ensuite été placés en garde à vue pendant près de dix heures, selon le témoignage de plusieurs d’entre eux confirmé au Monde par Thierry Paysant. Le procureur n’a fait aucune mention de ces arrestations lors de son point presse.

Sur les images de France 3, on aperçoit bien deux hommes en noir, non identifiés comme « street medics », venant en aide à Geneviève Legay tombée à terre. Leur présence alimente d’ailleurs nombre de rumeurs chez les groupes Facebook de « gilets jaunes », qui les soupçonnent d’être « des flics en civils ».

https://www.youtube.com/watch?v=8Nw...

Mais selon Street Medic 06, il ne s’agit « pas de policiers ». Plusieurs témoignages indiquent en effet qu’il s’agit de secouristes présents sur les lieux qui, ayant aperçu les « street medics » en train de se faire embarquer, auraient réagi en se fabriquant rapidement une croix rouge au ruban adhésif afin de porter secours à la militante.

3. « L’action n’a pu surprendre personne »

C’est ce qu’assure le procureur. Si le commissaire divisionnaire a bien effectué les sommations prévues dans le cadre de la loi, la violence de la charge, elle, a pourtant eu de quoi surprendre, affirment plusieurs photographes présents sur place. Habitués aux manifestations des « gilets jaunes », tous ceux qui ont été contactés par Le Monde estiment que la charge policière a été d’une violence « totalement disproportionnée ». « L’ambiance était très tranquille », et le groupe était « composé essentiellement de femmes et de personnes âgées, sans casse, sans projectiles », expliquent-ils, avant d’ajouter : « La force de la réponse était presque criminelle. »

Les manifestants n’étaient qu’une cinquantaine, samedi matin place Garibaldi, avant que les policiers se décident à les disperser. Une intervention musclée qui s’inscrit dans un contexte particulier. En fin de semaine dernière, le maire LR de Nice, Christian Estrosi, avait interpellé le gouvernement pour faire interdire toute manifestation dans sa ville au cours du week-end, après un appel national des « gilets jaunes » à s’y rendre et en prévision de la venue du président chinois, Xi Jinping. Il avait obtenu des renforts de police, assurant une impressionnante supériorité numérique aux forces de l’ordre.

Sofia Fischer

En cliquant sur l’adresse URL portée en source, notre lecteur pourra consulter plusieurs documents photo et vidéo complétant le texte ci-dessus.


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