Transition énergétique C’est pour quand ?

vendredi 22 février 2019.
 

- Entretien avec Mathilde Panot, députée de la France insoumise.

Il y a un an, les militants de la FI avaient mené campagne autour d’un double mot d’ordre : « sortie du nucléaire » et « 100% d’énergies renouvelables ». Quelles ont été les suites de cette initiative ?

Cette campagne était notre façon d’affirmer que l’énergie est une question politique et pas une question technique. C’est au peuple de décider de son avenir énergétique. La campagne nous a aussi permis d’anticiper les discussions sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, la « PPE » – c’est-à-dire le décret, élaboré par le gouvernement, qui donne les orientations énergétiques du pays pour les prochaines années.

Nous avons organisé une votation citoyenne, laquelle a recueilli un peu plus de 300 000 votants. Il s’agit de la plus grande votation jamais réalisée sur le sujet, avec des réunions publiques et des débats dans toute la France. Nous avons aussi animé des « ateliers des lois », où des citoyens se retrouvaient pour réfléchir à la sortie du nucléaire. De ces 10 ateliers est sorti un texte d’une quarantaine d’articles, que nous avons retravaillé avec des juristes et des spécialistes de l’énergie. Tout cela abouti à une proposition de loi, que nous avons déposée cet automne.

C’est une proposition de loi sérieuse qui planifie une sortie du nucléaire et prend en compte les grands oubliés du débat, les salariés du nucléaire. La sortie du nucléaire se fera avec les travailleurs dans leur meilleur intérêt, salariés comme citoyens. La proposition de loi insiste notamment sur la sous-traitance, utilisée de façon massive : 80% des activités de maintenance sont effectuées par des travailleurs sous-traitants qui reçoivent les plus fortes doses de radioactivité alors qu’ils sont moins protégés que les travailleurs statutaires. Il est décisif de créer un statut plancher pour protéger ces sous-traitants. Notre texte traite aussi, bien sûr, des énergies renouvelables, car il ne s’agit pas de sortir du nucléaire pour développer le recours au charbon ou aux énergies carbonées. Nous avons transmis la proposition de loi au ministre Rugy, qui nous a dit qu’il était prêt à en débattre. Nous y sommes prêts aussi !

Le gouvernement vient tout juste de présenter la PPE. Macron et Rugy ont-ils tenu compte des propositions de la FI ?

Bien sûr que non. Ce plan est catastrophique. Il témoigne d’un attachement sans faille à la filière nucléaire. À son arrivée au pouvoir, Macron a présenté l’objectif d’une réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025 comme intenable : pourtant, il est inscrit dans la loi ! Désormais, c’est officiel : l’objectif est repoussé à 2035. Par ailleurs, on ne fermera aucune centrale au cours du quinquennat, à part Fessenheim. On aura donc, d’ici 2035, 44 réacteurs avec 50 ans de fonctionnement, alors qu’ils ont été construits pour 30 ans et que les alertes se multiplient sur l’état des installations. Enfin, les énergies renouvelables ne seront pas développées. La PPE acte la fin de toute ambition en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, notamment sur les hydroliennes. Bref, la PPE consacre la toute-puissance du nucléaire. Le comble : cette PPE est portée par un François de Rugy qui, lors des primaires de la gauche, avait promis 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050 et l’arrêt de toutes les centrales d’ici 2040…

Comment expliquer une telle permanence de l’option nucléaire ?

Le gouvernement argumente que le nucléaire est une énergie « propre ». Mais cela ne tient pas. Un rapport de Greenpeace est récemment sorti sur l’état des déchets nucléaires dans le monde. En France, nous les stockons dans des piscines. A partir de 2030, elles seront saturées. Or la PPE prévoit que l’on continue à procéder ainsi jusqu’en 2040 au moins. Nous parlons là de déchets dont la durée de vie se mesure en millions d’années. Propre, le nucléaire ? C’est une plaisanterie.

En vérité, les raisons de cette prépondérance du nucléaire sont ailleurs. Depuis 1973 et le Plan Messmer, la France est engagée dans la voie du tout-nucléaire. C’est un dogme, qui n’est pas questionné politiquement. Il l’est d’autant moins que le secret règne autour de ces questions (y compris pour les parlementaires qui chercheraient à en savoir plus), que des intérêts financiers gigantesques sont en jeu et que de grands groupes sont à la manœuvre. Rappelons-nous que notre Premier ministre vient directement d’Areva, où il exerçait comme lobbyiste.

Cette hégémonie est aussi renforcée par l’idée que du nucléaire dépend la grandeur industrielle de la France. Le nucléaire français aurait ainsi vocation à conquérir tous les marchés aux quatre coins du globe. On a parlé cette année de vendre 6 EPR français à l’Inde, pour créer la plus grande centrale nucléaire au monde, sur une faille sismique et à côté de la mer… C’est absurde. La France pourrait être industriellement forte sur les énergies renouvelables, créer des emplois, diffuser son savoir-faire, plutôt que de s’enfoncer toujours un peu plus dans le bourbier nucléaire.

Peut-on réellement envisager une sortie du nucléaire et un basculement vers les énergies renouvelables ?

Oui ! Mais attention : il ne s’agit pas de remplacer les centrales nucléaires par des champs d’éoliennes à gogo. Il s’agit de combiner énergies renouvelables, sobriété et efficacité énergétique. De changer, en même temps que nos sources d’énergie, notre consommation et certains modes de vie. On ne va pas continuer à installer, dans les rues, les métros, les gares, des panneaux lumineux qui brillent en permanence. On ne va pas s’accommoder d’un aménagement du territoire où les gens sont obligés d’accomplir plusieurs heures de trajet par jour pour se rendre à leur travail… Il faut viser la sobriété et l’efficacité énergétique. Cela passe aussi par des rénovations de logements, qui permettront de réduire la consommation.

Justement, la conversion des modes de chauffage et la rénovation des bâtiments sont mis en avant dans la PPE…

Oui, mais sans que le gouvernement ne détaille les mesures d’accompagnement, ni ne dégage les moyens nécessaires. Il faudrait que l’Etat investisse massivement dans la rénovation des logements, dans la relocalisation des activités… Sans moyens, les grands objectifs affichés ne valent rien. En outre, le gouvernement se contente de jouer sur l’incitation. Or, on sait que cela ne fonctionne qu’à la marge et l’on prend ainsi un retard considérable. Il faut obliger à rénover les logements et à revoir les systèmes de chauffage. Le mot d’obligation fait peur. Mais il ne s’agirait pas d’écologie punitive ! D’abord, des mesures d’accompagnement doivent être mises en place pour aider les classes moyennes et les plus pauvres. Ensuite, les habitants de logements rénovés y trouveront leur compte : plus de confort ; des factures d’énergie revues à la baisse ; des bâtiments plus sains, donc moins dégradés. Aujourd’hui 7 millions de personnes ont froid dans leur logement. Tout le monde a intérêt à un changement rapide en matière énergétique : c’est cela, l’écologie populaire

Le gouvernement et les grands médias semblent considérer qu’entre l’écologie et le social, il faut choisir. A les entendre, c’est ce qu’aurait démontré la crise ouverte par les gilets jaunes.

Ils posent le problème à l’envers. Le mouvement des gilets jaunes est certes parti d’une protestation contre la taxe sur les carburants. Mais les gens qui défilent, dans leur immense majorité, ne sont pas contre l’écologie. Ils demandent à vivre dignement, à boucler leurs fins de mois ; dans l’état actuel de l’organisation sociale, cela suppose qu’ils puissent se déplacer à bas coût, avec leur voiture individuelle.

Si l’on n’avait pas saccagé les transports publics - notamment Emmanuel Macron, promoteurs des cars-pour-pauvres ; si l’on n’avait pas chassé les classes populaires des grandes villes où se concentre l’emploi ; si les services publics n’étaient pas de plus en plus rares et de plus en plus éloignés des citoyens, on n’en serait pas là. Il faut bien comprendre que le problème est systémique. Nos modes d’organisation, de production et de consommation, capitalistes et anti-sociaux, sont en cause. Le social n’est pas l’ennemi de l’écologie : une politique sociale, solidaire et populaire est précisément la condition d’une société écologique. Ceux qui organisent les fins de mois difficiles sont les mêmes que ceux qui préparent la fin du monde.

En quelques mots, en quoi consisterait une PPE qui serait à la hauteur des enjeux historiques ?

Il faudrait d’abord décider – dès maintenant – qu’on va sortir du nucléaire, ce qui nous permettrait de planifier, d’échelonner, et d’ici à 2050, de faire les choses correctement.

Ensuite : investir dans les énergies renouvelables – la technologie, les installations, la formation. Et lancer un plan d’investissement massif, beaucoup plus ambitieux, pour la rénovation thermique des logements. Enfin, je l’ai dit, revoir l’aménagement du territoire, rapprocher espaces de vie et espaces de travail : relocaliser l’économie, revenir sur les traités de libre-échange, reconstruire une trame de services publics… pour éviter des dépenses d’énergie irrationnelles.

Propos recueillis par Antoine Prat.


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