Mediapart ne compte pas se laisser intimider

samedi 16 février 2019.
 

Pour la première fois dans l’histoire de Mediapart, le parquet de Paris a tenté de perquisitionner la rédaction, lundi 4 février au matin, dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte pour (notamment) atteinte à la vie privée dans l’affaire Benalla, à la suite de nos révélations de la semaine dernière.

Il est 11 h 10, ce lundi 4 février. La traditionnelle conférence de rédaction de Mediapart, durant laquelle il a notamment été question des récentes dérives liberticides du pouvoir sur le droit d’informer [1] et celui de manifester [2], touche à sa fin. Deux procureurs du parquet de Paris, accompagnés de trois policiers, dont un commissaire divisionnaire de la brigade criminelle, sonnent alors à la porte du journal.

C’est une perquisition.

Le représentant de l’autorité judiciaire, le procureur de la République adjoint Yves Badorc, nous informe qu’il souhaite, avec sa collègue du parquet et les policiers qui l’accompagnent, perquisitionner la rédaction dans le cadre de l’affaire Benalla. Mais pas dans n’importe quel cadre de l’affaire Benalla.

Selon les informations fournies par le magistrat, le parquet de Paris a ouvert, après les révélations de Mediapart [3] la semaine dernière, une enquête préliminaire non pas sur le fond des faits mis au jour mais pour (entre autres délits visés) atteinte à l’intimité de la vie privée de l’ancien collaborateur du chef de l’État Alexandre Benalla et/ou de son acolyte, le gendarme Vincent Crase.

Mediapart a publié, jeudi 31 janvier, le fruit d’une enquête de plusieurs mois reposant sur une dizaine de sources indépendantes et des documents inédits, dont des extraits sonores, jetant une nouvelle lumière sur les dessous de l’affaire Benalla, devenue affaire d’État.

L’enquête du parquet vise également les moyens par lesquels ont été réalisés les enregistrements, qui mettent aujourd’hui dans le plus grand des embarras l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron. Le magistrat a évoqué la diffusion des enregistrements portant atteinte à la vie privée de MM. Benalla et Crase ainsi que la possible détention illicite d’appareils d’interception.

Nos révélations permettaient de démontrer que MM. Benalla et Crase avaient violé le contrôle judiciaire auquel ils sont astreints dans le cadre de l’affaire des violences du 1er Mai, en se rencontrant secrètement le 26 juillet, en début d’après-midi, à Paris. Des enregistrements clandestins réalisés ce jour-là, dont Mediapart a diffusé des extraits, le prouvent.

Notre enquête prouvait par ailleurs l’implication personnelle d’Alexandre Benalla dans un contrat sécuritaire avec un oligarque proche de Poutine, alors qu’il travaillait à l’Élysée. Il ressortait également de cette même enquête que MM. Benalla et Crase avaient tout fait pour dissimuler des preuves dans cette même affaire du contrat russe, craignant qu’elles ne soient découvertes par la police.

Et pour cause : l’oligarque au cœur de ce volet du dossier est non seulement un proche de Vladimir Poutine mais il est aussi soupçonné de liens avec le pire des groupes criminels de Moscou, d’après plusieurs magistrats européens.

Face à ces informations, dont aucune n’a été démentie par les intéressés depuis leur publication, qu’a décidé le parquet de Paris ? Ouvrir une enquête judiciaire visant plusieurs délits, dont l’atteinte à la vie privée dont auraient été victimes… MM. Benalla et Crase. Le représentant du parquet n’a pas dit si une plainte des avocats de MM. Benalla et/ou Crase avait été déposée en ce sens préalablement.

Plus tard dans la journée du 4 février, le parquet de Paris a fait savoir que ni Benalla ni Crase n’avaient déposer de plainte, mais qu’il avait été « destinataire d’éléments ayant justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée et de détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception et de télécommunications ou de conversations ».

Mediapart, représenté par les deux responsables des enquêtes du journal Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg (en l’absence du représentant légal de Mediapart Edwy Plenel, retenu au procès intenté par Denis Baupin), s’est formellement opposé à la moindre perquisition dans la rédaction au nom de la protection du secret des sources. C’est la première fois dans l’histoire de Mediapart qu’une autorité judiciaire souhaite perquisitionner nos locaux.

La loi autorise notre refus. En effet, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le parquet doit obtenir l’autorisation préalable de la personne visée avant de mener la perquisition. Le parquet peut toutefois obtenir un mandat du juge des libertés et de la détention (JLD) pour rendre la perquisition obligatoire et coercitive. Le procureur adjoint a mentionné cette possibilité lors de nos discussions.

La volonté du parquet de Paris, soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif, de perquisitionner un journal qui ne fait que son travail – publier des informations vérifiées et d’intérêt général – dans une affaire ouverte en défense des intérêts de Benalla et Crase ne laisse pas de surprendre. Et ce, pour plusieurs raisons.

Primo, Mediapart avait été sollicité, vendredi 1er février, par un service de police agissant sous les ordres des juges d’instruction de l’affaire du 1er Mai, réclamant la copie des extraits sonores révélés par Mediapart. Ainsi que Fabrice Arfi l’a écrit, lundi 4 février, à 9 heures du matin, au responsable de la police en charge de cette enquête, Mediapart a annoncé faire droit à cette demande, dont l’objectif est de documenter en procédure la violation du contrôle judiciaire de MM. Benalla et Crase. L’enjeu n’est pas mince : les deux hommes risquent désormais la détention provisoire.

C’est pourtant le même jour, dans le cadre d’une enquête ouverte en catastrophe, que le parquet de Paris a souhaité perquisitionner Mediapart.

Secundo, cette célérité du parquet tranche singulièrement avec sa lenteur et sa mollesse quand, dans le cadre du dossier sur les violences du 1er Mai, le même parquet a mis 48 heures à perquisitionner le domicile de M. Benalla (faute de clé…) et ne s’est pas ému de la disparition, dans l’intervalle, d’une chambre forte appartenant au même Benalla dans laquelle pouvaient dormir des pièces intéressant l’enquête – ou d’autres enquêtes.

Mediapart ne compte pas se laisser intimider par les protagonistes de cette affaire ni par le parquet. Et continuera de vous informer.

LA RÉDACTION DE MEDIAPART


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