Européenne. Rapport de force et désobéissance (Emmanuel Maurel)

mardi 22 janvier 2019.
 

Entretien avec Emmanuel Maurel, député européen, fondateur de APRES, candidat de la France Insoumise.

Vous êtes, depuis 2014, député européen. Quel bilan tirez-vous de ces presque 5 années au Parlement ?

Quand j’ai intégré le Parlement européen, j’avais déjà une longue expérience de militant et d’élu. Je n’arrivais pas vierge, je connaissais le Parlement, j’avais enseigné le droit communautaire... Mais j’avais encore quelques illusions sur notre capacité à changer les choses de l’intérieur. Le désenchantement a été rapide. On a assisté à une succession de crises : crise de la zone euro, crise « des réfugiés », Brexit, montée des extrêmes-droites en Europe de l’Est… Face à cela, j’ai eu le sentiment que les dirigeants politiques de l’UE étaient incapables de dresser un diagnostic juste sur l’état de l’Union, incapables d’agir. Mais ce qui m’a vraiment surpris, c’est la violence exercée par les instances européennes au moment de la crise grecque. Il faut se rappeler avec quelle violence, quelle morgue, les dirigeants européens ont traité le gouvernement grec. J’ai un souvenir cuisant de la venue d’Alexis Tsipras au Parlement européen, et de la manière dont il a été maltraité par tous les dirigeants de groupes qui se succédaient pour lui parler comme à un enfant, dispendieux, irresponsable… Alors que deux semaines plus tard, Viktor Orban est venu au Parlement européen et a été accueilli avec complaisance. Là, j’ai basculé dans la colère politique – par rapport à la droite allemande, qui mène la danse au Parlement, mais aussi par rapport à une partie du PSE.

Très tôt, vous vous êtes donc positionné aux marges de votre groupe…

Au sein du groupe social-démocrate (PSE), les contradictions étaient très fortes, et une bonne partie du groupe appartenait à ce qu’on pourrait appeler « la version social-démocrate du néolibéralisme ». D’ailleurs, le fonctionnement du Parlement européen est tel que la logique de la Grande Coalition (accord privilégié entre PPE et PSE) domine, ce qui aboutit à une sorte de capitulation générale : souvent, le PSE recherche l’accord avec le PPE avant même de se tourner vers le reste de la gauche. Pour ma part, je refuse cette ligne. J’ai été un des seuls socialistes à voter contre Juncker quand je suis arrivé. Un des seuls, aussi, à voter contre la commission Juncker. Et, dans la commission « commerce international », où je siégeais, le seul socialiste à voter contre le TAFTA, à refuser ce projet de négociation néfaste et dangereux. J’ai donc été dissident – « frondeur » – au sein du groupe socialiste dès le début. J’ai pris mes distances par rapport au groupe, tout en tâchant, avec quelques camarades, de mener des combats dans mes domaines de compétence. Je me suis engagé contre le TAFTA, le CETA, le traité d’accord avec le Japon. J’ai aussi été membre de la commission d’enquête sur les Panama papers, qui a avancé des propositions de réforme, mais s’est heurtée au refus absolu d’un certain nombre d’États-membres qui ne veulent rien changer en matière de fiscalité.

Votre attitude « frondeuse » vous a finalement conduit à quitter le PS…

La rupture est apparue nécessaire car le PS est incapable de se remettre en cause, reste ambigu par rapport à Macron, n’exclut pas de rappeler Hollande, et a pensé prendre comme tête de file européenne Frans Timmermans, une brute néolibérale, parfaitement convaincue du bien-fondé de la dérégulation et des privatisations. Il m’était impossible de continuer à militer dans cette organisation, qui reste soumise aux dogmes européens.

En quoi consistent ces « dogmes européens » que vous dénoncez ?

L’Union européenne est fondée aujourd’hui sur trois dogmes. C’est ce que j’appelle « la Sainte Trinité ».

D’abord, le principe de la concurrence libre et non faussée, qui prime sur tout, y compris le droit des travailleurs. Un dogme dont les conséquences sont bien connues : délocalisations, fermetures d’usines, privatisations de services…

Ensuite, le libre-échange, l’idée que l’ouverture des frontières et l’intensification des échanges constituent le Bien, et que toute autre considération (qualité des produits, conséquences sociales, impact écologique…) est secondaire.

Enfin, la règle de la libre circulation des capitaux (y compris avec les pays tiers), qui entraîne des situations absurdes, notamment l’incapacité de l’Europe à protéger ses propres secteurs stratégiques.

Vous croyez possible de rompre avec ces dogmes ?

Possible et nécessaire ! Si l’on veut sauver l’idée européenne, l’Europe, il faut procéder à des ruptures fortes, radicales. Cette rupture, la social-démocratie comme Macron sont incapables de la porter. C’est donc à nous, avec les camarades de la FI, de porter cette proposition de rupture – de rupture avec les traités. « Sortir des traités », « renégocier les traités » : ce mot d’ordre a du sens, puisque les politiques de progrès sont rendues impossibles par les règles des traités.

Comment envisagez-vous la campagne ?

Il faudra parler de l’effet concret des politiques européennes sur la vie quotidienne des gens. Un exemple : je me suis particulièrement investi dans les dossiers relatifs au libre-échange. Un sujet qu’on peut juger technique. Mais tout, dans la vie des gens, est affecté par le libre-échange : ce qu’ils ont dans leur assiette, l’état de leur entreprise, les services auxquels ils ont accès, l’aménagement du territoire, leur environnement, etc. Il faudra donc investir fortement la question du protectionnisme, pour protéger enfin nos entreprises, nos territoires,… Autres sujets majeurs : la lutte contre l’évasion fiscale – ou contre « l’optimisation » fiscale, qui revient souvent au même ; mais aussi le refus du travail détaché et le combat pour l’harmonisation sociale. Nous ne défendons pas seulement des objectifs ; nous proposons aussi une méthode. Une méthode qui est fondée sur le rapport de force et la désobéissance. Mon expérience au Parlement européen m’a convaincu qu’il est nécessaire de pratiquer le rapport de force : nos adversaires ne connaissent que ça.

Que répondre à ceux qui jugent qu’il ne servira à rien d’aller voter, parce que le Parlement européen est faible et que les vraies décisions se prennent ailleurs ?

D’abord, il faut rappeler que les élections européennes représentent la première élection intermédiaire après les présidentielles. C’est l’occasion pour les gens de dire ce qu’ils pensent de la politique du gouvernement – laquelle, ça tombe bien, est largement inspirée des préconisations de la commission européenne. Nous devons en faire un référendum anti-Macron. Ensuite, en ce qui concerne l’utilité du Parlement européen, il reste un lieu d’expression et de discussion, le seul lieu du dispositif européen où les idées divergentes peuvent s’exprimer au grand jour. Et où chaque combat a vertu d’exemple. C’est aussi au Parlement que commencent certaines mobilisations. Voyez le cas du TAFTA. S’il n’y avait pas eu, au Parlement européen, des députés prêts à se mobiliser, à accompagner les associations et les militants, nous n’aurions probablement pas réussi à mettre en échec la négociation.

Propos recueillis par Antoine Prat


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