Gilets jaunes : comment les médias « élisent » un (le) porte-parole qui leur convient. Après avoir vu quel était le rôle des réseaux sociaux sur l’action des Gilets jaunes, nous examinons ici grâce à Acrimed comment les médias agissent sur le mouvement en instrumentalisant son caractère protéiforme.
L’irrésistible ascension médiatique de Benjamin Cauchy
Source : Acrimed
https://www.acrimed.org/L-irresisti...
par Jean Pérès, jeudi 20 décembre 2018
Dès ses débuts, le mouvement des gilets jaunes s’est en partie distingué d’autres mobilisations sociales par son hostilité envers toute forme de hiérarchie et sa réticence à désigner en son sein des représentants ou des porte-parole. Une telle attitude ne fait pas du tout l’affaire des médias audiovisuels, qui conçoivent en grande partie l’information sur les mouvements sociaux sous la forme rituelle d’interviews de leurs représentants-vedettes, habitués des plateaux. Et si le mouvement social ne produit pas de tels clients, ou pas ceux qui leur conviennent, les médias se chargent eux-mêmes de rectifier le tir [1], avec l’éventuelle complicité active de quelque candidat en quête de notoriété.
L’histoire médiatique toute récente (et pas encore terminée) de Benjamin Cauchy, pseudo porte-parole des gilets jaunes, illustre bien ce phénomène, qui n’est autre qu’un des « pouvoirs des médias » : celui de co-construire puis de promouvoir la visibilité publique de ceux qui seront désignés aptes et légitimes à s’exprimer « au nom de »…
Benjamin Cauchy est partout. Dans la recension effectuée du 25 novembre au 6 décembre par le service CheckNews du journal Libération (soit 12 jours), il apparaît en 2ème position des gilets jaunes les plus médiatisés avec un total de 91 apparitions, dont 88 sur BFM-TV et parmi celles-ci, 72 rediffusions. Depuis plus d’un mois, ce cadre commercial dans les assurances est devenu, à la faveur du mouvement des gilets jaunes, une personnalité familière des auditeurs et des téléspectateurs, au point qu’il peut paraître légitime de se demander pourquoi et comment.
C’est avec une clarté méritoire que Benjamin Cauchy explique lui-même, au cours d’une des multiples interviews qu’il a accordées, les raisons de son succès médiatique.
Europe 1, matinale du 21 novembre, avec Nikos Aliagas :
Céline Da Costa : Vous recevez ce matin le porte-parole des gilets jaunes à Toulouse, Benjamin Cauchy.
Nikos Aliagas : Bonjour Benjamin Cauchy.
Benjamin Cauchy : Bonjour.
NA : Vous êtes en direct de Toulouse ce matin, on vous présente comme l’un des porte-parole, on vous voit dans les médias, porte-parole des gilets jaunes de Haute-Garonne. Comment devient-on porte-parole ? Vous avez été élu ? Vous vous êtes autoproclamé ? Vous avez juste pris la parole ?
BC : Ni l’un ni l’autre, effectivement, Monsieur Aliagas, j’ai pris la parole ; vos confrères ont souhaité à plusieurs reprises me solliciter et désormais, à l’échelle nationale, nous sommes une petite poignée de porte-parole qui avons été identifiés et, du coup, nous avons désormais plus de facilité vis-à-vis de vous pour porter nos revendications et la colère du peuple français.
NA : J’entends, car il n’y a pas de hiérarchie officielle, il n’y a pas de procédure de désignation de représentants, mais est-ce qu’il y a un chef des gilets jaunes aujourd’hui, après six jours de manifestation ? [2]
Dès l’amorce du dialogue, Nikos Aliagas dévoile ainsi la seule raison de son invitation : « On vous voit dans les médias ». L’animateur n’a pas vérifié à l’avance si Benjamin Cauchy avait été désigné ou élu par un groupe local comme porte-parole : « On vous présente comme… » et « On vous voit dans les médias » sont visiblement deux arguments suffisants. Et Benjamin Cauchy ne s’y trompe pas, confirmant qu’il a « pris la parole », que des journalistes l’ont à ce titre « sollicité » à plusieurs reprises, qu’il est désormais « identifié » et que « du coup », cette identification est un tremplin : il aura dorénavant plus de facilité à être invité dans les médias.
Bref, il est l’élu des médias… selon une logique toute particulière : plus tu es invité, plus tu seras invité. Tu seras même intronisé porte-parole d’un mouvement qui n’a pas de porte-parole, puisque l’on répète partout que tu es un porte-parole.
La carrière médiatique de Benjamin Cauchy commence véritablement au lendemain de la première journée de blocage du 17 novembre, qui inaugure les actions collectives des gilets jaunes. La veille, le 16 novembre [3], il est présenté dans une interview sur Franceinfo comme « le porte-parole du groupe Facebook qui appelle à bloquer la ville de Toulouse dans le cadre du mouvement du 17 novembre ». Le 18 novembre, on le retrouve sur une vidéo régionale d’un blocage. Et le 19 novembre, c’est la consécration : le voici chez Bourdin, présenté comme « porte-parole national des gilets jaunes » (belle et rapide promotion !), avant d’enchaîner l’après-midi du même jour, toujours sur RMC auprès d’Éric Brunet, puis chez Aliagas sur Europe 1 (cf. plus haut) etc., toujours désigné comme « porte-parole des gilets jaunes » (nous y reviendrons).
Mais le 21 novembre, une enquête de France 3 révèle que Benjamin Cauchy est plutôt marqué politiquement : leader dans sa jeunesse du syndicat de droite UNI, ex-élu municipal UMP, suspecté d’entretenir des relations avec l’Union Corporative pour le Défense et l’Entraide Languedocienne (UCODEL), groupuscule de l’ultra droite, il est aussi encarté, selon cette enquête, au parti Debout la France, qui fut l’allié du Front national au second tour de la dernière élection présidentielle. Une autre source, issue du site d’« Information Anti-Autoritaire Toulouse et Alentours », confirme ses liens avec ce parti.
Cela n’empêche pas notre homme de continuer à accumuler les apparitions à l’écran les jours suivants, sans que les journalistes s’intéressent davantage à son parcours [4] ou daignent même faire mention, afin de situer le personnage, de l’enquête de leurs confrères de France 3 [5]. Par exemple, Léa Salamé n’a pas jugé nécessaire de l’évoquer avant de laisser la parole à Benjamin Cauchy lors de « L’émission spéciale gilets jaunes » de France 2, le 2 décembre [6].
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