A quoi reconnaît-on une révolution en France ?

mercredi 19 décembre 2018.
 

Une révolution ne se reconnait pas à une couleur de gilets, mais à la fois :

- une situation historique pétrie de contradictions,

- contenus des doléances portées,

- la manière de s’organiser,

- Les symboles mis en avant.

L’objet de cet article est de mesurer à quel point en posant ces questions de fond, l’analyse que l’on peut faire des événements actuels est Révolutionnaire.

Synthétisons : Une Révolution en France, telle que celle de 1789, se caractérise par les éléments suivants :

Remise en cause de l’injustice fiscale,

Remise en cause des inégalités du système,

Non écoute et non prise en compte des jacqueries précédentes (révoltes du pain),

Remise en cause du pouvoir et de ses violences [2],

Scandales politico-financiers,

Écriture de cahiers de doléances,

Mouvement de la Province vers Paris,

Création de symboles unifiant le peuple (Bonnet Phrygien) La Marseillaise et drapeau tricolore),

Centralité de la France dans le monde (Valmy),

Je précise à l’attention du lecteur, que si celui-ci est d’accord avec cette déclinaison, à la limite, il peut ne pas lire l’article.

Que s’est-il passé en 1789 ? Suite à des mauvaises récoltes successives, entraînant des périodes de famine (le pain de fougère), refusant de payer de nouvelles taxes (visant à financer la guerre du « nouveau monde » [3]), le peuple suite à des jacqueries précédentes, obtient la convocation des Etats-Généraux. Devant le refus du Roy, d’accepter le décompte par députés et non par ordre (clergé, noblesse tiers état) les députés porteurs des cahiers de doléances se proclament députés du peuple et jurent de « ne pas se séparer avant que d’avoir donné une constitution à la France » (serment du jeu de paumes). Soulignons que ces députés représentent souvent la « petite bourgeoisie de province » qui ne veut plus payer les plaisirs du Roy. Rajoutons y, le scandale du collier de la reine, la spéculation sur les grains (blé), secouons le tout et l’on tombe sur les dates du 14 Juillet 1789 et du 4 Aout 1789 [4], qui est la vraie nuit de la Révolution basculant la France de monarchie de droit divin en république « une et indivisible ». La fuite du Roy à Varennes et d’autres épisodes visant à combattre la Révolution ne feront qu’enraciner et approfondir son combat.

La bataille de Valmy donne un retentissement mondial à la Révolution car pour la première fois une armée de conscrits mal armés commandés par des « sans culotes » bat une armée de professionnels, au son de La Marseillaise et derrière le drapeau tricolore de la Nation. Goethe présent sur place déclara : « D’aujourd’hui et de ce lieu date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ».

Les répliques : la Révolution de 1789, fut toujours combattue par la noblesse restante et la bourgeoisie financière, qui préfère le retour d’un Roy et ce jusqu’à aujourd’hui… « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même …/… Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. » Macron [5].

C’est pourquoi notre Histoire, celle de la Nation, a connu tant de Révolutions qui sont autant de répliques sismiques du tremblement de terre originel. Les révolutions de 1830, 1848, 1871 en sont les répliques qui à chaque fois ont à la fois élargi et approfondi le contenu Révolutionnaire pour l’émancipation Humaine.

La Résistance fut une Révolution Patriotique : 1944 est souvent juste présentée comme une insurrection patriotique, pour la libération du territoire National, mais cela fut beaucoup plus, car « l’insurrection Nationale » ne se limitait pas à chasser des occupants, mais à installer une nouvelle République, dont l’objectif fut d’appliquer un programme politique dénommé : « les jours Heureux ». C’est ce programme qui définit l’unité de la Résistance (C.N.R / Conseil National de la Résistance) et débouche sur l’insurrection. C’est donc un programme politique, caractérisé comme Révolutionnaire (Sécurité sociale, Nationalisations etc…), qui renverse le pouvoir de Vichy et réinstalle les symboles de la France (La Marseillaise). Vu la profondeur du programme politique intégrant de plus la « planification économique » et la création des « comités d’entreprises » (forme de soviet libéral) [6], on peut aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’une version « sans culotte » de la Révolution bolchévique de 1917, peuple soviétique perçu d’ailleurs alors comme le peuple ayant sauvé l’Europe du joug nazi (17 millions de morts).

Le soulèvement de Novembre 2018 : Si l’on est d’accord avec le premier paragraphe de cet article, alors il faut reprendre point par point et regarder si on y trouve des éléments de cette matrice historique.

1] L’injustice fiscale : Ce fut le déclenchement de l’insurrection. La hausse des taxes sur l’essence et notamment le diesel, qui est le carburant majoritaire utilisé du fait de l’expulsion de centres villes (spéculation immobilière) et des politiques incitatives précédentes qui ont conduit nombre de nos concitoyens, notamment les moins riches, à acheter du diesel, car il était à la fois moins taxé et le véhicule pouvait durer plus longtemps. De plus, comme on l’entend désormais sur tous les ronds-points, l’utilisation du véhicule est obligatoire, car c’est l’outil de mobilité imposé pour aller travailler, c’est-à-dire, survivre. A ce phénomène de taxation des pauvres, s’ajoute en contraste l’extrémisme de l’exonération des riches avec la suppression de l’I.S.F (Impôt sur la fortune et flat tax), dont le graphique ci-dessous représente la violence imposée par la bourgeoisie financière.

La question posée étant celle de l’injustice fiscale perpétrée par ce pouvoir et dont les citoyens mesurent la violence au quotidien. Cette dénonciation des taxes et non de l’impôt renvoyant à la constitution de 1791 de son article 2 : « Que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés », ce qui avec des taxes actuelles frappant tous les revenus de manière égale (impôt proportionnel) développent de fait l’injustice fiscale.

2] Remise en cause des inégalités de système : Depuis une trentaine d’années, les politiques mises en place et appliquées (les profits individuels comme condition du développement général) [7] n’ont fait que développer les inégalités et notamment les inégalités de revenus comme le montre le graphique ci-dessous. Où l’on observe que comme pour les baisses d’impôt, ce sont les revenus les plus élevés, qui ont connus la hausse la plus importante. De plus, comme le montre le graphique de droite, c’est l’accumulation des revenus les plus élevés qui créent le patrimoine, qui par la suite s’accumule, développant encore plus les inégalités sociales. Ces inégalités de patrimoine qui se développent ne sont pas naturelles, elles sont le produit d’un système. Elles sont une violence contre la société. Et de tout temps, comme l’écrivait déjà Victor Hugo : « c’est du malheur des pauvres, qu’est fait le paradis des riches ».

En complément, comme l’objet de l’article, n’est pas de traiter toutes les inégalités économiques du système, je vous propose de lire : http://lintegral.over-blog.com/2016... soulignant de fait que ces violences ne datent pas du seul Macron, qui comme toujours dans l’Histoire hérite aussi des politiques précédentes qu’il ne fait qu’amplifier.

3] Non-écoute et non prise en compte des jacqueries précédentes (révoltes du pain) : Faut-il rappeler que la situation actuelle, comme pour la Révolution de 1789, a été précédé d’événements qui annonçait l’explosion actuelle. Rappelons.

Le référendum de 2005 rejetant le traité Européen (dont le Pouvoir n’a pas tenu compte)

Les révoltes des banlieues de 2005,

Les manifestations contre la crise de 2008,

Les alertes des associations sur le développement des pauvretés.

Les grèves et manifestations contre les réformes sur la retraite et le code du travail.

Nuit debout,

La Z.A.D de notre dame des landes,

4] Remise en cause du pouvoir et de ses violences : Le Président Macron a cru qu’en cour circuitant les corps intermédiaires (Partis politiques, syndicats, associations), il pourrait imposer les réformes de ses donneurs d’ordre des marchés (code du travail, C.S.G I.S.F, S.N.C.F etc.). En 1789, le Roy signait ses décrets, par l’expression « tel est mon bon plaisir », aujourd’hui les décrets du Roy prennent la forme de SMS à la violence absolue, tel que « traverse la rue tu trouves un emploi » qui est d’une violence et d’une morgue sans précédent. Les manifestations « non déclarées », à l’image de la « prise de la Bastille » en 1789, sont le moyen de remise en cause du pouvoir, et l’impuissance des « forces de l’ordre », à l’image des « gardes suisses », démontre aussi que le pouvoir est aux abois…

5] Scandales politico-financiers : Au moment de la Révolution Française la spéculation sur les grains fleurissait, au même titre que la spéculation sur le pétrole aujourd’hui, et s’y rajoutait des scandales secondaires dont celui du « collier de la Reine ». Aujourd’hui Madame Macron (Marie Antoinette ?) a décidé de rénover l’Elysée à grand frais (600.000 euros de moquette) [8], pendant que les immeubles des gueux s’écroulent à Marseille [9]

6] Écriture de cahiers de doléances : Sur les ronds-points, s’écrivent les « cahiers de doléance » des sans culottes de notre temps, dénommés aujourd’hui « gilets-jaunes ». L’examen attentif de ces doléances écrites au monarque du château de l’Elysée dévoile la volonté profonde d’égalité.

7] Mouvement de la Province vers Paris : Le mouvement, à la différence de « nuit debout » est parti de province de la « France profonde » pour aller vers Paris comme en 1789, la nuit du 4 Aout fut la résultante de la grande peur parti des campagnes, envahissant les châteaux, réplique de la prise de la Bastille avant que de remonter sur Paris. Les manifestations de Novembre déboulant sur Paris sont la matérialisation de ce processus.

8] Création de symboles unifiant le peuple (La Marseillaise et drapeau tricolore) : Au moment de la Révolution française de 1789, celle-ci s’est unifiée autour de trois symboles, le drapeau tricolore, La Marseillaise et le bonnet Phrygien… Aujourd’hui nous les « gilets jaunes » se reconnaissent autour de trois symboles. Le gilet jaune, le drapeau tricolore et la Marseillaise…Bientôt, si l’armée rentre sur la scène, s’y rajoutera sans doute, le chant des partisans…

9] Centralité de la France dans le monde : Aujourd’hui comme en 1789, le monde entier regarde ce qui se passe en France [10], la bourgeoisie mondialisée des « tours du business » connaissant l’Histoire, en tremble de peur au point que les cours mondiaux du pétrole, qui étaient à la hausse, sous l’impact de la crise Iranienne (insuffisance de l’offre) viennent de baisser de manière considérable depuis 3 semaines, sans aucune possibilité d’explication par la théorie du marché (Offre-Demande)….

Quelques points complémentaires : Au-delà des points de fixations qui font bégayer l’Histoire, il s’agit de rajouter quelques éléments actuels.

1] La légitimité des ronds-points : A priori, les ronds-points sont des lieux matérialisés visant à simplifier la circulation. Aujourd’hui au-delà de leur fonction de ralentisseur de « flux de marchandises », du capitalisme mondialisé, les ronds-points se transforment en « assemblée citoyenne » et les « sans-culottes » de notre temps, jurent « qu’ils n’en partiront que par la force des baïonnettes »…

2] Les médias déconsidérés obligés de lâcher Jupiter : Les médias se rendant compte de la haine que désormais les gens du peuple portent sur eux, du fait de leur reportage bidon et de l’idéologie sous-jacente, sont obligés pour se sortir de « l’olympe dépendance » de lâcher Jupiter. Et ça se voit. Mais les médias étant la première peau du système, le système est en train de se retrouver à nu.

3] La force armée : Ne tenant plus le peuple, le pouvoir acculé en son château n’a plus que la version « nouveau monde » des gardes suisses pour se protéger des colères du peuple en train de « venir le chercher »…Et toujours Jupiter se défausse.

4] Les reculs à pas comptés : Comme en 1789 avec Louis XVI, les reculs du gouvernement sont toujours trop faibles et trop tard, ce qui permet au mouvement de s’enraciner (élargir ses bases) et d’approfondir des doléances, ce que les médias appellent « radicalisation ». Sur les ronds-points, l’apprentissage et l’éducation politique se font à toute vitesse.

5] La « grande peur » [11] : Allant jusqu’au mimétisme de 1789, le pouvoir actuel pour la manifestation du 8 Décembre 2018, alerte l’opinion visant à la dissuader de manifester à nouveau à Paris, pour cause de danger. Les Politiques et syndicats sont appelés à « calmer le jeu » pour défendre la République attaquée, une ineptie au vue de ce qu’ont fait les pouvoirs successifs à la République, comme expression politique de l’intérêt général…

6] Le gilet jaune de l’obligation à l’émancipation : Beaucoup a été dit sur la symbolique du gilet jaune et notamment que ce sont les invisibles qui ainsi se rendent visibles… Mais il y a pour moi aussi un autre aspect non perçu. Le gilet jaune est une obligation imposé par l’Etat pour tout automobiliste, donc de fait une contrainte. Et comme les esclaves de Spartacus, avec leurs chaines, les « gilets-jaunes » ont fait de leur contrainte un symbole d’émancipation…C’est politiquement très fort.

Avant que de conclure, je voudrais préciser que tout ce qui se passe en ce moment, telle la marmite sur le feu était prévisible, que j’écrivais moi-même au moment de la fin du conflit des cheminots ceci :

« Le gouvernement Macron peut encore gagner contre les cheminots, brisant ainsi les dernières digues de protection collectives, mais les révoltes sociales reviendront encore plus fortes, encore plus puissantes et encore plus massives, pour enfin briser l’encerclement et les chaines.

Alors depuis les chaines de Spartacus, me vient cette phrase qui n’arrête pas de déferler : « A force de regarder ses pieds, on ne peut y voir pousser que des chaines, c’est en levant les yeux et en regardant l’horizon, que l’on embrase l’avenir ». C’est à cette matérialité exigeante que l’humanité est confrontée »

Le début du XXIème siècle / Ouverture

Le sens de l’Histoire : l’histoire depuis K.Marx, n’est pas une succession de dates qui se suivent. L’Histoire, ses évolutions, ses permanences et ses ruptures ont à voir avec l’évolution des « forces productives » (système technique et rapports sociaux) d’une époque. Ainsi la Révolution de 1789 et la fin des corporations (loi Le Chapelier de 1791) augure la révolution industrielle et le passage du moulin et du cheval, au four et à l’énergie mécanique et aux prolétaires (sans code du travail).

Si la guerre de 1914-1918 (réplique de la guerre de 1870) exprime la fin du XIX ème siècle, c’est la Révolution Bolchévique de 1917, en pleine guerre de destruction, qui annonce le XXème siècle (« la Paix du pain »).

Il n’est pas dit dans ce cadre, que le 11 septembre se situe comme la fin du XXème siècle et le soulèvement actuel, s’il va jusqu’au bout, ne soit pas mesuré et analysé ultérieurement, par les historiens, comme le vrai début du XXIème siècle, celui de l’émancipation dont Marx fut le penseur.

Marx écrivait : « Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse [12] - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout ».

C’est à l’aune de cette analyse sans concession, qu’il nous faut ici et partout, regarder, s’informer, analyser et agir sur les événements actuels. Les Révolutions ne se font pas toutes seules.

Fabrice AUBERT


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