Carlos Ghosn : La chute du patron qui se croyait intouchable

vendredi 23 novembre 2018.
 

Le PDG de l’alliance Renault-Nissan (Mitsubishi et Avtocaz) a été arrêté hier au Japon, sur la base de soupçons de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux au titre de ses fonctions chez le constructeur nippon. Une déchéance brutale pour cette star mondiale du CAC 40 et de l’automobile.

L’homme qui valait 13 millions d’euros a finalement chuté. Super-PDG cumulant les casquettes à la tête de Renault, Nissan, Mitsubishi et Avtovaz, survolant les fuseaux horaires, de l’Hexagone jusqu’au pays du Soleil-Levant (avec son avion privé), Carlos Ghosn a été arrêté hier au Japon sur la base de soupçons de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux au titre de son mandat de président du conseil d’administration chez Nissan. D’après le quotidien nippon The Asahi Shimbun, le magnat de l’automobile est accusé d’avoir sous-déclaré des éléments de son salaire à hauteur de 5 milliards de yens, soit près de 38,78 millions d’euros. Un autre dirigeant du groupe, Greg Kelly, est également mis en cause pour complicité dans cette affaire.

Ce serait une enquête interne menée par Nissan sur la base d’accusations formulées par un lanceur d’alerte qui aurait mis au jour des pratiques de malversation, a fait savoir le constructeur automobile dans un communiqué. Nissan affirme que, « pendant de nombreuses années », Carlos Ghosn et Greg Kelly ont déclaré au fisc japonais des montants de rémunération inférieurs au revenu réel du premier. « De nombreux actes irréguliers ont été découverts, comme l’utilisation des biens de la société à des fins personnelles », explique en outre le groupe japonais, dont l’actuel PDG, Hiroto Saikawa, a proposé la démission de Carlos Ghosn.

Une déchéance aussi brutale que spectaculaire pour celui qui a joui du statut de sauveur de la marque nippone depuis la prise de contrôle de Nissan par Renault, en 1999, alors que cette première périclitait, lestée de 17 milliards d’euros de dettes. Ironiquement, c’est donc à Nissan que Carlos Ghosn doit sa chute. Une nouvelle preuve que, dans le monde du business, la reconnaissance n’est jamais éternelle.

Après avoir redressé l’entreprise au forceps en faisant le ménage dans les fournisseurs, mais aussi en fermant les usines les moins productives pour surcharger les autres, Carlos Ghosn – alors directeur général de Nissan – avait acquis une réputation de « cost killer » [le « tueur de coûts », autrement dit des salaires, avec accentuation de l’intensité du travail, un temps de travail fragmenté, une précarisation, la sous-traitance, délocalisation, etc.] Des méthodes radicales qui l’avaient propulsé comme directeur général de Renault en 2005, pour reprendre le flambeau de Louis Schweitzer. Depuis, le PDG a décliné sa méthode Nissan de compression des coûts et des délais de production des véhicules chez Renault, quitte à faire plonger la qualité des véhicules. Et au prix d’une facture sociale pour le moins salée.

Un bilan humain dramatique avec des suicides dans les usines

La CGT Renault déplorait déjà plus de 23’500 suppressions d’emplois dans le groupe en 2015, faisant le bilan de dix ans de gestion Ghosn. « Intensification du travail, explosion des collectifs de travail, individualisation, mises en concurrence, turnover permanent, mise en incertitude économique… Les dirigeants ont édifié un système managérial dramatique sur le plan humain et contre-productif sur le plan économique au long cours. Le bilan humain est dramatique, avec des suicides dans les usines (filiales comprises) et au technocentre, mais aussi l’explosion des maladies professionnelles », dénonçait en outre le syndicat. Gel des salaires, mutualisations et augmentation de la productivité sont alors les maîtres mots des deux accords de compétitivité que la direction de Renault met en place en 2013 et 2017.

Hier, dans un communiqué, la CGT rappelle en outre que la production de véhicules en France a chuté de 53 % du volume total de Renault dans le monde en 2004 à 17 % en 2017. Artisan et homme fort de l’alliance Renault-Nissan, un attelage capitalistique original avec prises de participations croisées entre les deux groupes, le grand patron a souvent été accusé de privilégier le développement de la marque nippone au détriment de celle au losange (Renault). Celui-ci plaidait notamment depuis des années pour une fusion capitalistique entre les deux groupes, quitte à faire perdre à Renault, et à l’Etat français actionnaire au sein de ce dernier, sa prééminence dans l’alliance. Le constructeur hexagonal détient en effet 43,4 % de Nissan, quand la marque japonaise ne détient que 15 % de Renault, la privant ainsi de droit de vote dans le groupe au losange.

Franco-libano-brésilien polyglotte, ce grand patron de choc, surnommé Seven-Eleven (« sept-onze » en français) en raison de ses amplitudes horaires de travail, avait acquis au fil des années une stature de dirigeant en apparence intouchable. Figurant systématiquement dans le haut du classement des dirigeants les mieux payés de France, Carlos Ghosn engrangeait chaque année sans embarras des salaires mirobolants, quitte à passer outre l’avis de ses propres actionnaires. Au premier rang desquels l’Etat, qui détient encore 15,01 % du constructeur. En 2016, le conseil d’administration (CA) de la marque au losange a ainsi maintenu la rémunération de 7,2 millions d’euros versée à Carlos Ghosn, malgré son rejet par l’assemblée générale des actionnaires à 54,12 %, dont les représentants de l’Etat faisaient partie. Un événement inédit dans le monde feutré du CAC 40, peu propice à être choqué par le niveau de rémunération des PDG. « Pour un grand patron comme Carlos Ghosn, il y a une forme d’impunité qui se construit à travers (la) sociabilité (des plus riches), dans les mêmes quartiers. Ils veulent aussi rester entre eux aux conseils d’administration ? », analyse Monique Pinçon-Charlot. Et la sociologue de préciser que « chez Renault, les syndicalistes représentants les ouvriers au CA n’ont pas le droit de siéger dans le comité de rémunération, ce qui garantit des milliers d’euros de rémunération au PDG ».

Loan Nguyen


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