Carnet de voyage en Grande-Bretagne

mardi 9 octobre 2018.
 

L’action internationale a toujours beaucoup compté pour moi. En ce moment, je travaille au regroupement de forces voisines en Europe et dans le monde (rien que ça !). Mais ce regroupement n’est pas inconditionnel. Il y faut du sérieux, de l’exigence sur les programmes. Et de la volonté d’écoute mutuelle. Je suis allé à Londres prendre contact avec Jeremy Corbyn. Reprendre contact. Car Christophe Ventura de « Mémoire des luttes » m’avait organisé une rencontre en 2012. Un moment dont le souvenir m’était resté bien net… tant il avait été déprimant. Aujourd’hui nous venons de reprendre langue. C’est stimulant de savoir que Jeremy est à la tête du Labour.

Comment oublier ce que c’était avant. La honte et la contagion du blairisme dans toute la social-démocratie de la vieille Europe ! Cette infecte lèpre des « new democrats » venus des Clinton aux USA. Hollande et Le Drian en étaient l’avant-garde dès 1983 en France. Cette vague a quasiment détruit tout le mouvement qui œuvrait depuis un siècle dans tous nos pays. En France et en Allemagne, les PS ont fait le sale boulot, en Italie ce sont les dirigeants communistes. D’Alema l’italien siégeait au coin du feu avec Blair sous l’œil protecteur de ce bon Bill ! Les partis communistes polonais, tchèque et hongrois adhéraient à l’internationale socialiste, en Espagne le parti socialiste devenait monarchiste, en Grèce le PASOK couronnait la dynastie des Papandréou. Telle est l’histoire des lendemains de la chute du mur. La page se tourne. Nous sommes là. Nous avons tenu la flamme. Nous sortons des catacombes.

J’ai découvert à Manchester le système de sécurité le plus grotesque du monde. Après avoir tant vu tant d’aéroports interchangeables, il est heureux de constater qu’on peut encore être surpris. Ici, le nombre et le raffinement des humiliations prévues contre les passagers est spécialement raffiné. Si vous avez du respect pour vous-même, évitez l’aéroport de Manchester. A la sortie de cette épreuve, me voici à pied d’œuvre devant le kiosque à journaux. Ici Corbyn prend cher ! Je découvre le « Daily Telegraph », avec ses manchettes aussi légère qu’un journal de France 2 ou une première page du « Monde » sur le Venezuela.

Évidemment « Le Monde » était ici représenté par un énergumène très parisien qui a commencé par tweeter contre moi en m’appelant « Mélanchon », avec un « a » comme dans les meilleurs tweets de l’extrême droite. La photo du tweet complète le tableau. Ce n’est pas moi. En effet on y voit Antoine Léaument. Le bouffi du « Monde » persifle pourtant : « ici on se demande « “qui est ce type ?” ». Léaument se fera connaitre ne vous inquiétez pas ! Dans l’instant, savourons ce genre de Rouletabille prétentieux qui ne connaît ni l’orthographe de mon nom ni mon visage alors qu’il est censé me « suivre » à Liverpool !

Pourtant même dans le journalisme d’opinion un certain professionnalisme n’est jamais de trop. À l’unisson avec le ton ordinaire de son illustrissime employeur, le voici qui se plaint de m’avoir attendu, moi qui n’avais aucune envie de le rencontrer. Ses collègues lèvent les yeux au ciel, exaspérés par sa cuistrerie. Réponse de Léaument qui organise la séquence : « si vous voulez partir on ne vous retient pas ». Puis voici les questions et la pluie serrée de ses obsessions. Il me demande mon avis sur « le chaos qui résulte du Brexit ». Mais il reste cois comme une quiche au poireau quand je lui demande où je pourrais observer ce chaos.

Puis il embraye sur l’antisémitisme de Corbyn à l’instar de ses tweets et de la demi page du « Monde » de la veille. Un tissu de reprises sans recul ni preuve de la propagande de Netanyahou soi-même. En effet le Premier ministre d’Israël, muet sur l’antisémitisme des dirigeants Ukrainiens et autres gugusses pro-américains, s’est pourtant mêlé des élections au Royaume-uni. Juste pour dire qu’un « antisémite comme Corbyn » ne peut être Premier ministre. En général quand une campagne électorale voit un homme de gauche être traité d’antisémite c’est qu’il n’est pas loin du pouvoir. Aucun homme de droite n’est jamais accusé de cela même en cas d’agressions anti-juives caractérisées comme en Ukraine, en Pologne et en Hongrie et sur la plupart des avant-postes des guerres de l’Otan. Ici, au Royaume-Uni, les médias de droite cultivent bien ce bashing.

Curieusement, les Anglais ne sont pas encore passé à la phase de judiciarisation de la vie politique, comme au Brésil, en Équateur, au Mexique ou en France. Ça viendra, j’en suis certain, car les ambassades des États-Unis sont en général assez conformistes dans leurs actions d’influence. Je me rappelle très bien de la campagne mondiale sur « le credo antisémite de Chavez » comme avait écrit « Libération » à partir d’une phrase dans un discours de Noël du président du Venezuela dans une caserne ! Les mêmes quatre phrases mal traduites avaient fait le tour du monde. Et au siège du PS, un agent double avait même fait un communiqué directement traduit des éléments de langage de la fondation des républicains. Bref le bon vieux rayon paralysant est en plein fonctionnement ici. Écœurant.

Naturellement, il n’a aucun effet sur personne car tout le monde sur place, comme partout ailleurs, est excédé de ce vieux film d’horreur éculé. Mais cela peut faire perdre des voix dans les circonscriptions où la communauté juive peut avoir un rôle. « Le Monde » insiste lourdement sur ce point en donnant la parole a de prétendus juifs, évidemment anonymes, qui déclarent ne pouvoir assumer leur fierté d’être juif et travailliste en même temps ! Certes, le procédé est grossier mais il peut être efficace. C’est bien le but : ici les élections sont à un tour et celui qui arrive en tête, même d’une voix, a gagné. De cette façon, le réseau du Likoud aide ses amis conservateurs en essayant de neutraliser un vote communautaire. Personne ne croit que cela marchera mais d’autres me disent que l’effet de répétition peut vite transformer un ragot en certitude. La presse anglaise complète le tableau. Pluie d’injures sur Corbyn et annonces apocalyptiques se combinent dans le cadre de que l’on appelle la liberté de la presse. Chacun annonce l’hiver nucléaire s’il y a des élections et si Corbyn gagne. Beaucoup de « si » mais on n’est jamais assez prudent !

La rencontre avec Corbyn a été bien amicale et très chaleureuse. Évidemment, elle n’a pas valeur d’approbation mutuelle. Le Labour reste un parti de la social-démocratie européenne dont les membres siègent avec le SPD allemand au Parlement européen, votent pour l’OTAN et ainsi de suite. Une puissante fraction de droite y tient la dragée haute à toute tentative de renouveau. À mes yeux, une volonté sociale et un plan d’investissement public après tant d’années de social-libéralisme c’est bien. Mais ce n’est pas la règle verte, ni la planification écologique dont nous estimons qu’ils doivent être la colonne vertébrale de toute politique de relance. On en parlera peut-être bientôt ensemble, avec Corbyn. Je préfère dire cela maintenant.

La convergence internationale est engagée sur bien des points. Je paye de ma personne pour y parvenir. Cette année j’ai rajouté à mon emploi du temps Moscou, Liverpool, Berlin, Madrid, Lisbonne, Athènes, Naples, Barcelone. Je ne le regrette pas. J’ai appris et j’ai fait connaitre notre travail. Il soulève un intérêt partout, sans équivalent pour un autre mouvement français. J’estime que la construction de « Maintenant le peuple » est aussi un résultat à mettre au crédit de ce bâton de pèlerin. Je me sens donc responsable de ne pas engendrer des frustrations du type de celle que nous avons vécu avec l’épisode Tsípras. Je préfère dire que nous avançons sérieusement mais que vraiment beaucoup reste à faire. Partout. Raison de plus pour ne pas ménager ses efforts !


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