Entretien avec Pedro Santisteve, Maire de Saragosse

lundi 3 septembre 2018.
 

Entretien réalisé par Pierre Loubaut et François Ralle Andreoli

Pedro Santisteve est Maire de Saragosse, la 5ème ville d’Espagne, depuis juin 2015. Entré en politique avec le mouvement des indignés, il s’est présenté sur une liste citoyenne soutenue par Podemos et d’autres partis. Aux AmFis d’été de La France insoumise, il est venu présenter une conférence intitulée « Les villes rebelles en Europe ». Nous l’avons rencontré en marge de cet événement.

Comment avez-vous conquis la Mairie de Saragosse ?

Au printemps 2014, entre militants de mouvements sociaux, nous avons discuté de l’hypothèse de rentrer dans les institutions. Nous étions dans un moment de reflux des mobilisations, il était important d’amener le conflit à l’intérieur des institutions. Nous avons organisé une plate-forme citoyenne, que nous avons réunis au printemps 2014. Durant 9 mois, nous avons construit les candidatures via des primaires ouvertes, auxquelles ont participé 13 000 personnes. La liste a étée construite en fonction des votes et un système de parité a été institué, homme-femme, femme-homme. Nous avons obtenu 9 conseillers, il y en a 31 à la mairie. Le PSOE (Parti socialiste), qui en a eu 6 et Chunta Aragonesista, une organisation indépendantiste de gauche, qui en a eu 2, ont soutenu notre investiture, et la mienne comme maire. Il n’y avait pas de pacte de législature écrit au début. Juste après cet accord d’investiture, les problèmes ont débuté avec ceux qui nous soutenaient dans cette coalition, concrètement avec le PSOE.

C’est important de souligner que le programme s’est élaboré de façon collaborative, à travers des assemblées, dans tous les domaines : le social, l’écologie, etc. Notamment dans le domaine de la culture, environ mille personnes ont participé à l’élaboration du programme.

Depuis ce moment, quelles mesures marquantes ont pu être mises en place au niveau municipal ?

Il a fallu d’abord déconstruire l’héritage de la droite et du parti socialiste. Ce dernier venait de passer 12 ans à la mairie. Durant la crise, il a supprimé des postes, sans remettre en cause les coupes budgétaires effectuées par le Parti Populaire (droite). Il a fallu faire un travail d’ouverture des fenêtres, de transparence.

À partir de ça, nous avons commencé un travail d’élimination des privilèges, par exemple en limitant les salaires à 3 fois et demi le salaire minimum. Nous avons aussi renoncé aux voitures de fonction.

Nous avons aussi promu la participation citoyenne, puis nous avons réglé la question de la gestion économique. Nous nous étions retrouvés dans une mairie quasi-ruinée, avec une dette de 124 % du budget municipal, que nous avons ramenée à 26 %. Nous avons réussi à sortir du plan d’ajustement, qui correspond à des mesures imposées par le gouvernement central. Cela nous a permis d’investir dans des mesures sociales.

Nous faisons aussi un travail stratégique de long terme de lutte contre le changement climatique et contre les coupes budgétaires. On a investi dans l’action sociale et dans la transition vers un mode de gestion de l’environnement plus soutenable.

Comment on agit au niveau local face à la réduction des moyens imposée par le gouvernement ?

C’est difficile mais nous avons réussi à être efficace dans la gestion économique, sans avoir à faire de coupes budgétaires. Nous avons fourni aux services publics une dotation adéquate, et nous avons essayé de fournir une amélioration des services de la part des grandes entreprises qui les assuraient, pour la collecte des déchets, le nettoyage et le transport public, par exemple.

On a renégocié tous ces contrats avec les prestataires, car ils étaient en général très favorables aux entreprises plutôt qu’à la mairie. Nous avons imposé des conditions : clauses sociales, féminisation de l’emploi, meilleures conditions de travail, baisse des prix de ces contrats.

Les problèmes des mairies espagnoles, c’est qu’elles sont en théorie le troisième pouvoir, mais en réalité très peu protégées du point de vue constitutionnel. Il y a très peu d’autonomie locale et pas de financement clair. Nous dépendons d’impôts que nous reverse l’État central, comme la taxe foncière ou la taxe sur les activités économiques.

Le problème que nous avons rencontré, c’est que de toutes les dépenses sociales, les mairies n’en assurent que 14 %, contre 37 % pour les gouvernements régionaux et 47 % pour l’État central. Et avec cette faible enveloppe, nous devons faire face à de nombreuses nécessités, dans un cadre de répartitions des compétences qui n’est pas très clair. En particulier, l’appui financier du niveau régional n’est pas suffisant pour les mairies.

Quel est l’obstacle majeur auquel vous avez dû faire face ?

Le premier problème était nos propres alliés, le PSOE. Ils ont appuyé notre investiture mais ont agi comme une force d’opposition dès le lendemain. Les hauts-fonctionnaires municipaux nous ont aussi posé problème, en fonctionnant de façon autonome. Ce n’a pas été facile de les contrôler, d’avoir une influence politique sur ce corps. Certains avaient peur d’être loyaux à notre majorité, dans la perspective du retour des socialistes ou de la droite.

Autre problème, les syndicats du personnel municipal. Ils ont été les grands vainqueurs des négociations collectives et disposent d’un grand pouvoir qu’il faut prendre en compte. À noter aussi que le démantèlement de l’Etat-Providence en Espagne a touché les effectifs de fonctionnaires : sur 5000 fonctionnaires municipaux, nous en avons perdu 1000, soit 20 %, avec le vieillissement, les départs en retraites et le non-remplacement des départs.

Aussi, il a fallu faire face à la démotivation des fonctionnaires, en raison des méthodes des anciens politiques, qui considéraient la Mairie comme leur propriété, avec une gestion très patrimoniale. Ces méthodes des vieux partis ont frustré des carrières et développé une attitude de soumission vis-à-vis des pouvoirs antérieurs.

Aussi, la politique de clientélisme, de distribution des subventions à ceux qui étaient fidèles au pouvoir précédent a généré des dynamiques négatives. On a dû réunir tous ces acteurs pour redéfinir collectivement une méthode de répartition des subventions.


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