Pédophilie dans l’Église : Les espoirs et les craintes de La Parole Libérée

dimanche 2 septembre 2018.
 

La Parole Libérée est une association de victimes qui a travaillé sur la pétition « Fini le temps des prières et de la miséricorde. Place à l’action »

Il n’y a plus de « loi du silence » dans l’Église face aux affaires de pédophilie impliquant des prêtres, a assuré mercredi 22 août le porte-parole de la Confédération des évêques de France. Olivier Ribadeau-Dumas s’est exprimé sur France Inter [1], au lendemain d’une pétition lancée contre le cardinal Barbarin par un prêtre du diocèse de Valence [2]. Mais pour l’association, La Parole Libérée [3], qui a soutenu l’initiative, il y a toujours des résidus d’une « méthodologie, une mécanique stratégique de non-dénonciation et d’étouffement » des actes de pédophilie dans l’Église par l’Église, qu’il faut maintenant enrayer par « l’action ».

Ce mercredi, le « courage » d’un prêtre, comme le qualifie l’association, embarrasse l’Église de France. Le père Vignon, du diocèse de Valence, a lancé sur Change.org une pétition demandant au cardinal Barbarin de démissionner [4]. « On attendait cette prise de parole de longue date », raconte au HuffPost l’un des fondateurs de l’association, François Devaux.

Le père Preynat, suspecté de pédophilie, l’association La Parole Libérée [5] le connaît bien. Nombre de ses membres en auraient été victimes [6], à commencer par ses deux fondateurs. Les faits remontent à la fin des années 80 et ont duré jusque dans les années 90, à l’encontre de scouts du diocèse de Lyon. Le cardinal Barbarin est actuellement poursuivi [7] pour ne pas avoir dénoncé ces faits à la justice [8].

« Ça vient de gens qui sont pour l’Église, pour sa sauvegarde »

L’association soutient la démarche du père Vignon. Au-dessus du texte de présentation du prêtre sur Change.org, elle reconnaît, en communion avec l’association d’Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles (l’AVREF), le « courage » de l’ecclésiastique, qu’elle reconnaît comme très investi dans la protection des mineurs et se joint à sa demande.

« Cette pétition est très importante, c’est la première fois qu’une dénonciation publique vient de l’intérieur comme ça », salue Alexandre Dussot-Hezez, l’autre membre fondateur de La Parole Libérée. « Ça vient de gens qui sont pour l’Église, pour sa sauvegarde. Ça ne peut pas être taxé de malveillance cette fois », renchérit François Devaux. « [Le père Vignon] cherche la cohérence de son Église, il dénonce, en tant que prêtre, des faits au grand jour. Aujourd’hui c’est la meilleure place pour s’indigner ».

Du Chili à la France, en passant par l’Australie et les États-Unis. La plus grande omerta d’après lui, reposant sur l’Église d’Afrique. Sur France Inter, pour le porte-parole de la conférence des évêques de France, la mécanique s’enraye : « Aujourd’hui, on ne peut plus dire que c’est la loi du silence. Le fait que le père Vignon puisse écrire cette lettre pour dénoncer le prouve. »La lettre « Peuple de Dieu » du Pape [9] [constitue] un évènement important« , explique Monseigneur Ribadeau-Dumas en faisant référence à l’exhortation du pape François, lancée lundi 20 août, au »1,4 milliard de catholiques dans le monde« pour agir contre la pédophilie dans l’Église. »Il est essentiel que toute la communauté des fidèles, et pas seulement le clergé, se mobilise« , a exhorté le Saint Père, dans une lettre diffusée par le Vatican après une enquête révèlant les abus sexuels de 300 »prêtres prédateurs" sur au moins 1000 enfants en Pennsylvanie [10]. Le lendemain de l’invitation du Saint-Siège, le Père Vignon publiait sa pétition.

« C’est du foutage de gueule »

Une prise de position risquée et novatrice, qui a pris du temps. Trois ans pour trouver un prêtre qui accepte de remettre en cause un cardinal.« souligne François Devaux. Avant d’incriminer le pape lui-même. »Son invitation, ce sont des grands mots,des grandes phrases. Il n’y a pas d’action derrière. Ils nous font tous croire qu’ils ne sont pas au courant. On a envoyé des dizaines de lettres au pape, parfois même en mains propres. Jamais eu aucune réponse. C’est du foutage de gueule. Le prêtre qui acceptera de remettre en cause l’inaction du pape, je peux vous dire qu’il n’est pas encore né« , s’indigne ce fondateur de la Parole Libérée. »Le pape doit enfin devenir le chef de l’Église. Et ces problèmes de pédophilie, c’est le défi majeur de l’Eglise pour notre siècle« , corrobore Alexandre Dussot-Hezez, un autre membre de l’association. »Il faut arrêter de protéger les coupables, d’agir par amitié. L’Église, en tant qu’institution, donne une arme de destruction massive à des pervers. Et c’est le pape qui a les pleins pouvoirs d’arrêter ça.«  »Est-ce que la France doit renvoyer des cardinaux ? La question se pose"

La confédération des évêques de France est plus optimiste. Pour elles, les choses avancent au sein de l’Église. « Cela fait deux ans et demi que les évêques de France ont pris des mesures assez claires pour une collaboration avec la justice, la dénonciation des faits, les signalements, l’accueil et l’accompagnement des victimes », explique Monseigneur Ribadeau-Dumas, réagissant à la pétition du Père Vignon contre Barbarin au micro de France Inter. « Est-ce que la France doit renvoyer des cardinaux ? La question se pose », continue-t-il. « Jusqu’à maintenant, je comprends qu’il puisse y avoir une colère, mais il y a une action en justice qui existe. Cette justice doit passer pour qu’une décision puisse être prise. »

Sauf que pour l’instant, l’audience de l’archevêque de Lyon, qui devait initialement être jugé du 4 au 6 avril avec six autres personnes mises en cause par les plaignants dont le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, l’Espagnol Luis Francisco Ladaria Ferrer, a été reportée. Faute de transmission dans les délais impartis de la citation à comparaître de Monseigneur Ladaria Ferrer...

« On est fatigué »

Si La Parole Libérée salue malgré tout l’intervention du porte-parole, elle ne pense pas moins que seules l’opinion publique et les actions des fidèles et des membres du clergé eux-mêmes, à l’image de la pétition du père Vignon, pourront « faire flancher les responsables » de manière efficace.

« Vous savez, on est fatigués », raconte François Devaux. « Ça fait des années qu’on lutte contre la pédophilie dans l’Église qui met en péril tous nos milieux : nos milieux spirituels, familiaux et professionnels. Alors quand on voit qu’on réussit à faire bouger la presse, les victimes et les prêtres eux-mêmes, on se dit que c’est un début de victoire [...] Le changement viendra du bas et de l’intérieur, avec le soutien de l’opinion publique. »

Car pour beaucoup de victimes, le parcours classique de dénonciation aboutit sur un échec : "Vous allez voir votre vicaire, qui va voir l’évêque, qui va voir le nonce et l’on revient vers vous en vous disant ’On va s’en occuper’ et il ne se passe rien. Exemple flagrant : le père Preynat est toujours en exercice malgré les plaintes à son encontre et l’ouverture d’une enquête.

Et le gouvernement dans tout ça ?

Pour l’association, « la séparation de l’Église et de l’État ne justifie pas l’inaction de l’état. L’action doit aussi émaner des élus. »

Dans cette optique, François Devaux explique qu’il s’entretient régulièrement avec un sénateur LR du Rhône, François-Noël Buffet [11], très investi dans la lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs. D’après le fondateur de La Parole Libérée, l’élu aurait insisté auprès du président du Sénat pour ouvrir une enquête parlementaire sur les actes de pédophilie du diocèse et d’en être le rapporteur. Proposition classée sans suite pour l’instant, raconte l’associatif. Pour l’heure, Le HuffPost n’a pas eu de réponse du sénateur rhodanien.

Pour l’association, l’intransigeance de l’État et de la justice sont indissociables du travail des évêques, du clergé en général et des fidèles. « Quand on voit l’ampleur du scandale, il est temps que les gouvernements de tous les pays concernés prennent leur responsabilité. »

Et pour cause : depuis quelques temps, cette cohésion horizontale entre les différents acteurs semble porter ses fruits. Comme la gestion qui a suivi de récentes accusations en France le montre [12]. En mars 2018, une famille a formulé un signalement à la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie de la Conférence des évêques de France [13], pour plusieurs cas d’attouchements sur mineurs dans un Foyer de Charité à Baye, dans la Marne. Quelques jours plus tard, en avril 2018, Monseigneur François Touvet, évêque du diocèse de Châlons-en-Champagne publiait un communiqué dans lequel il annonçait avoir « immédiatement prévenu le procureur de la République ». Le temps de l’enquête, le prêtre accusé aurait ainsi quitté le diocèse, explique l’évêque, pour être incardiné, c’est-à-dire juridiquement rattaché, à celui de Versailles. En plus de l’interdiction d’exercer son magistère auprès des jeunes, il aurait été placé dans un lieu retiré, connu du procureur.

Et La Parole Libérée veut aller encore plus loin dans la coopération, demandant l’ouverture de toutes les archives de l’Église. « Fini le temps des prières et de la miséricorde » longtemps invoqué par les clercs, « place maintenant à l’action ». Et à la réaction.

Mais au micro de BFM TV [14], au lendemain de la demande publique de la démission du primat des Gaules, l’évêque auxiliaire du diocèse de Lyon Monseigneur Emmanuel Gobilliard semble dire que tout a pour l’instant été fait : « Le cardinal a ouvert ses portes. Maintenant, on ne peut pas accuser quelqu’un avant que justice soit faite. », affirme-t-il.

Pourtant il y a deux ans, Philippe Barbarin reconnaissait des « erreurs de gestion » [15]. Et c’est pour ces dernières que Pierre Vignon demande désormais qu’il dépose sa barrette de cardinal. « Pourquoi resteriez-vous indéfiniment en place après les avoir commises ? », interroge-t-il dans son texte sur Change.org avant d’inviter ses confrères « à signer cette pétition ainsi que tous les membres de l’Église conscients de l’importance du mal fait aux victimes d’abus de toutes sortes. » Fidèles compris.

Le mot d’ordre ? Pas de vague

Après sa lettre ouverte, le père Vignon affirme avoir reçu nombre de messages de haine de la part « d’ultras qui se disent catholiques ». Et du côté de sa hiérarchie, c’est « silence radio ». « La règle non écrite, c’est ’pas de vagues’. Mais à la fin, quand on ne fait rien, quand rien n’est réglé, ça devient un tsunami », prévient le père.

N’en déplaise à la Conférence des Évêques, il semblerait qu’en France du moins, la loi du silence persiste plus qu’on ne le pense. Au point que certaines victimes de La Parole Libérée vont désormais jusqu’à demander la démission du pape [16].

Hortense de Montalivet

Notes

[1] https://www.franceinter.fr/emission...

[2] https://www.change.org/p/appel-d-un...

[3] https://www.laparoleliberee.fr/l-as...

[4] https://www.huffingtonpost.fr/2018/...

[5] https://www.facebook.com/laparoleli...

[6] https://www.laparoleliberee.fr/les-...

[7] https://www.huffingtonpost.fr/2017/...

[8] https://www.huffingtonpost.fr/2016/...

[9] https://eglise.catholique.fr/vatica...

[10] https://www.huffingtonpost.fr/2018/...

[11] https://twitter.com/fnb_officiel?lang=en

[12] https://www.la-croix.com/Religion/C...

[13] https://eglise.catholique.fr/struct...

[14] https://www.bfmtv.com/police-justic...

[15] https://www.huffingtonpost.fr/2016/...

[16] https://www.bfmtv.com/police-justic... Copyright


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