Programme socialiste La Société future 7 et 8 : « Destruction de la famille » et Confiscation de la propriété

samedi 15 mars 2008.
 

7 : La « Destruction de la famille »

Un des préjugés les plus répandus contre la démocratie socialiste est la croyance qu’elle veut détruire la famille. Nous avons déjà eu l’occasion de dire un mot à ce sujet au chapitre II, aussi pourrons nous être brefs sur ce point.

Personne dans notre parti ne songe à détruire fa famille, à la supprimer légale­ment, à la dissoudre violemment. C’est une fausseté grossière que de lui imputer cette intention, seul un fou peut même s’imaginer qu’une forme de famille peut être créée ou supprimée par décret.

La famille actuelle n’a rien de contraire à la nature de la production coopérative. La réalisation de la société socialiste n’exige donc nullement en soi la dissolution de la forme de famille qui existe.

Ce qui conduit à cette dissolution, ce n’est pas la nature de la production coopé­rative, mais l’évolution économique. Dans le chapitre que nous venons de rappeler nous avons vu comment de nos jours la famille est dissoute, l’homme, la femme, les enfants séparés les uns des autres, comment le célibat et la prostitution deviennent des phénomènes collectifs.

La société socialiste n’entrave pas l’évolution économique, elle lui donnera plutôt une nouvelle impulsion. Cette évolution donc à faire progressivement des travaux du ménage les objet de certaines industries, à transformer l’ouvrière dans son ménage individuel en une ouvrière employée dans la grande industrie. Mais ce changement ne sera plus le passage de l’esclavage domestique à l’esclavage salarié ; elle ne la poussera pas de la famille qui la protège dans les sphères sans défense, sans protec­tion du prolétariat. Par son travail dans la grande industrie coopérative, la femme sera mise sur le même pied que l’homme et obtiendra la même part à la communauté que lui. Elle sera sa libre compagne, émancipée non seulement de l’asservissement domestique mais encore de la sujétion au capital. Disposant librement d’elle-même, l’égale de l’homme, elle mettra un terme à toute prostitution, légale ou illégale, et pour la première fois dans l’histoire du monde, le mariage monogamique, devant qui seront égaux l’homme et la femme, deviendra une institution réelle, où il n’y aura plus seulement le mot, mais encore la chose.

Ce ne sont plus là des propositions utopistes, mais des convictions scientifiques fondées sur des faits déterminés. Pour pouvoir les contester, il faut démontrer d’abord que ces conditions sont inexistantes. Comme on n’y a pas encore réussi, il ne reste plus aux messieurs et aux dames qui ne veulent pas entendre parler de cette évolution qu’un seul procédé de réfutation : ils n’ont plus qu’à témoigner d’une indignation morale et placer dans un jour favorable leur moralité en faisant appel au mensonge et à la fausseté. Mais qu’ils se disent bien que par ce moyen ils n’arrêteront pas une seule minute l’évolution.

Ce qui est établi, c’est que ce n’est pas la démocratie socialiste, ni l’essence de la production socialiste qui provoque la dissolution de la forme familiale traditionnelle, c’est l’évolution économique qui se poursuit sous nos yeux depuis des dizaines d’années. La société socialiste ne l’arrêtera pas, ne peut pas l’arrêter, mais elle dépouillera les conséquences de cette évolution de tous les côtés douloureux et bas qui les accompagnent dans la société capitaliste. Tandis que cette dernière provoque la dissolution de toute société familiale, de tout mariage, dans la société socialiste, la dissolution de la forme actuelle de famille ne se poursuivra que dans la mesure où elle sera supplantée par une forme supérieure.

Et voilà comment la démocratie socialiste poursuit la destruction du mariage et de la famille.

8 : La Confiscation de la propriété

Nos adversaires qui savent mieux que nous-mêmes ce que nous voulons et s’entendent à faire de la « société future » un tableau plus précis que nous ne le saurions, ont trouvé que la démocratie socialiste ne pourrait commencer son règne que par l’expropriation des artisans et des paysans auxquels on confisquerait sans plus tout ce qui leur appartiendrait, non seulement leur maison et leurs biens, mais encore les meubles indispensables et leurs dépôts dans les caisses d’épargne. Après la rupture de tous les liens familiaux que nous voudrions consommer, cette dernière accusation forme un des principaux arguments qu’on nous oppose.

Remarquons d’abord qu’une société socialiste n’implique nullement une semblable confiscation.

Le programme démocrate socialiste n’en souffle pas mot. Ce n’est pas par timidité, pour ne pas choquer, mais simplement parce qu’on ne peut rien affirmer de précis à ce sujet. On ne peut affirmer qu’une chose de précise, c’est que la tendance de l’évolution économique rend nécessaire la transformation des grandes entreprises en propriétés sociales et leur exploitation dans l’intérêt de la société. Nul ne peut dire comment s’opérera cette révolution, si l’expropriation inévitable prendra la forme d’une confiscation ou d’un rachat, si elle se produira pacifiquement ou brutalement. A ce propos, il sert peu de faire appel à l’histoire. Ce passage peut s’effectuer de différentes façons, de même que la suppression des charges imposées par la féodalité s’est produite de différentes façons dans les différents pays. La manière dont se réalisera ce passage dépend de la situation générale où il se produira, de la force, du jugement de chaque classe intéressée, toutes conditions qu’il est impossible de calculer à l’avance. Dans l’évolution historique, l’imprévu joue le plus grand rôle.

Sans doute, les démocrates socialistes désirent que l’expropriation devenue inévitable des grandes entreprises ait lieu le moins douloureusement possible, pacifi­quement, d’un consentement unanime. Mais nos désirs ne déterminent pas plus l’évolution historique que ceux de nos adversaires.

Mais en aucun cas on ne peut dire que l’application du programme démocrate socialiste exige en toutes circonstances que chaque propriété, dont l’expropriation est devenue nécessaire, soit confisquée.

Ce qu’on peut affirmer d’une façon précise, c’est que l’évolution économique ne rend indispensable que l’expropriation d’une partie de la propriété actuelle. Ce qu’elle exige, c’est la propriété collective des moyens de production. La propriété privée des objets d’usage personnel n’en est nullement atteinte. Notre observation ne s’applique pas seulement aux moyens d’existence, aux meubles, etc. Souvenons nous de ce que nous avons dit dans le chapitre précédent sur les banques d’épargne. Elles sont un moyen de mettre à la disposition des capitalistes ce qui appartient aux classes non-capitalistes. Chacune des petites sommes épargnées est trop insignifiante pour permettre l’exploitation d’une entreprise capitaliste. Seule leur réunion leur permet de remplir les fonctions d’un capital. A mesure que les entreprises capitalistes passeront dans la propriété sociale, la possibilité de placer ses épargnes à intérêt diminuera. Elles cesseront d’être un capital, elles constitueront un trésor ne portant pas intérêt , un fonds de consommation. Mais cette transformation n’a rien de commun avec la confiscation des économies.

Une semblable mesure, d’ailleurs, n’est pas seulement inutile pour des raisons économiques , elle est encore absolument invraisemblable pour des raisons politiques . Les petites économies proviennent en grande partie des classes exploitées, de celles dont seule la force est capable d’introduire le socialisme dans la société. Il faut tenir ces classes pour absolument imbéciles pour croire qu’a fin d’avoir les moyens de production entre leurs mains elles commenceront par se priver des sous qu’elles auront économisés.

Mais le passage à la production socialiste non seulement n’implique pas l’expro­priation des moyens de consommation, il n’exige même pas celle de tous les possesseurs de moyens de production .

C’est la grande industrie qui rend nécessaire la société socialiste. La production coopérative exige également la propriété collective des moyens de production. Mais de même que la propriété privée des moyens de production est contradictoire avec le travail coopératif dans la grande industrie, de même la propriété collective ou sociale des moyens de production est en contradiction avec la petite industrie.

Cette dernière, comme nous l’avons vu, implique la propriété privée des moyens de production. L’abolition de cette propriété dans la petite industrie serait d’autant plus vaine que la tendance du socialisme aboutit à mettre les travailleurs en possession des moyens de production nécessaires. Pour les petites exploitations l’expropriation des moyens de production aurait pour résultat d’enlever ces derniers à leurs possesseurs pour les leur rendre ensuite. Ce serait absurde.

Le passage à la société socialiste n’implique donc nullement l’expropriation des petits paysans et des petits artisans . Non seulement cette transition ne leur enlèvera rien, mais elle devrait contraire leur apporter certains avantages. Comme la société socialiste comporte, comme nous l’avons vu, la tendance à remplacer la production marchande par la production pour l’usage direct, elle doit s’efforcer à transformer le paiement en argent par le paiement en nature, blé, vin, bétail, etc., des obligations contractées, envers la société, impôts intérêts des hypothèques passés dans la pro­priété sociale, si toutefois ces charges ne sont pas absolument supprimées. Ce procédé présente des facilités énormes pour le paysan. Il réclame dès maintenant cette substitution. Mais elle est impossible sous le régime de la production marchande. Seule la société socialiste est capable de la réaliser et de supprimer ainsi une des causes principales de ruine pour le paysan.

En fait, ce sont les capitalistes, qui, comme nous l’avons vu exproprient paysans et artisans. La société socialiste mettra un terme à cette expropriation.

Sans doute, le socialisme n’arrêtera pas l’évolution économique. Au contraire, il forme le seul moyen d’en assurer le progrès à un certain moment. Comme dans la société actuelle, dans la société socialiste la grande industrie se développera de plus en plus et absorbera de plus en plus les petites exploitations. Mais l’observation que nous avons faite à propos de la famille et du mariage s’applique également ici. Le sens de l’évolution reste le même, mais le socialisme supprime les douleurs, les horreurs qui accompagnent son cours dans la société actuelle, en en assurant !es avantages à tous.

Aujourd’hui, la transformation du paysan ou de l’artisan d’ouvrier de la petite industrie en travailleur de la grande industrie équivaut à le changer de propriétaire en prolétaire. Dans une société socialiste, le paysan ou l’artisan veut s’adonner an travail dans une grande exploitation coopérative, profite de tous les avantages de la grande industrie. Sa situation s’améliore considérablement ; son passage de la petite à la grande industrie n’a plus rien de comparable avec la transformation d’un propriétaire en prolétaire ; c’est bien plutôt quelqu’un qui, possédant peu autrefois, vient à posséder beaucoup.

La petite industrie est irrémédiablement condamnée à disparaître. Mais seule la démocratie socialiste peut permettre aux paysans et aux artisans de devenir dans leur ensemble des ouvriers de la grande industrie sans pour cela tomber dans le prolé­tariat . Ce n’est que dans une société socialiste que la disparition, devenue inévitable, de l’agriculture paysanne et du métier peut signifier une amélioration du sort du paysan et de l’artisan.

Le ressort de l’évolution économique ne sera plus la concurrence qui proscrit les industries retardataires et exproprie leurs possesseurs, mais l’attrait qu’exercent les exploitations et les formes d’exploitation d’un degré de développement supérieur sur les ouvriers des entreprises et des formes d’entreprises retardataires.

Ce mode d’évolution ne se borne pas à n’être pas douloureux, il se poursuit de plus avec une rapidité plus grande que celui qu’amène la concurrence. Aujourd’hui où l’introduction de nouvelles formes, de formes supérieures d’exploitation ne peut se produire sans l’expropriation des possesseurs d’exploitations retardataires, sans les privations et les souffrances de grandes masses ouvrières devenues inutiles, tout progrès économique se heurte à une résistance opiniâtre. Nous avons vu avec quelle obstination les producteurs s’attachent encore aux formes de production les plus arriérées, comme ils s’y accrochent désespérément tant qu’il leur reste encore un soupçon de force. Jamais un mode de production n’a été si révolutionnaire que le mode actuel, jamais un mode de production n’a, dans l’espace d’un siècle et dans tous les domaines de l’activité humaine, produit des bouleversements aussi gigantesques, et pourtant combien nombreuses sont encore les formes de production surannées, finies, qui subsistent encore à l’état de ruines.

Dès qu’aura disparu la crainte d’être jeté dans le prolétariat par l’abandon d’une exploitation indépendante, que les avantages de la grande industrie sociale seront assurés à tous les participants dans les domaines les plus variés, que chacun aura la possibilité de jouir de ces avantages, seuls des insensés pourront s’efforcer encore de maintenir des formes d’exploitation surannées.

Ce que la grande industrie capitaliste n’a pu accomplir dans le cours d’un siècle, la grande exploitation socialiste le fera en peu de temps : elle absorbera les petites entreprises retardataires. Elle y arrivera sans expropriation, par la seule force d’attraction d’une exploitation plus fructueuse.

Dans les régions où la production agricole n’est pas encore une production mar­chande, mais surtout une production pour la consommation personnelle, l’agricul­ture paysanne subsistera encore quelque temps dans la société socialiste. Mais à la fin, dans ces sphères même, on comprendra les avantages de la grande exploitation coopérative.

Dans l’agriculture, la substitution de la grande à la petite exploitation sera hâtée et facilitée par la disparition de l’antagonisme entre la ville et la campagne, par la ten­dance qui nécessairement doit prévaloir en société socialiste à transporter l’industrie en rase campagne. Il nous faut malheureusement ici nous borner à cette indication, un exposé plus détaillé nous entraînerait trop loin.


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