Fascisme japonais et esclaves sexuelles des militaires

mardi 14 août 2018.
 

Le président, Moon Jae-in, a dénoncé l’accord de 2015 signé avec le Japon sur les femmes enlevées par l’armée nippone parce qu’il ne prenait pas en compte l’avis des survivantes.

Au Japon, l’histoire se réécrit jusque dans les chambres d’hôtel. Dans les tiroirs des tables de chevet de la chaîne APA, des essais négationnistes expliquent que le massacre de Nankin, perpétré en 1937, six semaines durant, par les soldats de l’armée impériale japonaise, fut inventé par la Chine afin de nuire au Japon. Ces livres d’extrême droite signés Seiji Fuji, le nom de plume du très influent dirigeant d’APA, Toshio Motoya, consacrent également un chapitre aux bordels de campagne et à la prostitution forcée des femmes asiatiques par l’armée japonaise. Une gabegie selon l’ouvrage, qui préconise d’empêcher l’inscription des «  femmes de réconfort  », ces 200 000 esclaves sexuelles coréennes, chinoises, indonésiennes, philippines, birmanes, taïwanaises, néerlandaises et australiennes de l’armée impériale, au registre de la mémoire du monde de l’Unesco. En bon révisionniste, Toshio Motoya souhaité également contrecarrer les projets de statues et les sommes compensatoires pour les survivantes. En clair, Tokyo doit cesser de présenter ses excuses. Ce texte avait soulevé une vive opposition de la société civile

La question qui empoisonne les relations entre le Japon et ses voisins depuis 1945 est revenue au cœur des débats en ce début d’année. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, vient de remettre en cause l’accord bilatéral de 2015 qui stipulait que l’Archipel présentait ses «  excuses sincères  » et versait 1 milliard de yens (7,5 millions d’euros) de dédommagements à une fondation vouée aux quarante-six «  wianbus  » (prostituées) encore en vie il y a deux ans. Illustrant l’émoi que suscite toujours la question, un Japonais de 81 ans s’était alors immolé par le feu devant l’ambassade de son pays à Séoul pour forcer à la repentance. Or, selon un rapport d’enquête de 31 pages commandité par l’actuel locataire de la Maison-Bleue, la présidence sud-coréenne, le document de 2015 a été «  finalisé essentiellement sur la base des points de vue du gouvernement, sans prendre en compte l’opinion des victimes dans le processus de négociation  ».

Ce texte avait déjà soulevé, à l’époque, une vive opposition de la société sud-coréenne, mais les velléités de rapprochement diplomatique avec Tokyo face à la Corée du Nord et à la montée en puissance chinoise l’avaient finalement emporté. En 2016, les associations présentaient néanmoins un recours devant la Cour constitutionnelle, considérant que le compromis portait atteinte à la dignité humaine, à la propriété et à la protection diplomatique des victimes. L’État leur donne aujourd’hui raison. La ministre sud-coréenne des Affaires étrangères, Kang Kyung-wha, a ainsi présenté ses excuses aux victimes face à un texte jugé «  blessant  », sans toutefois briser l’accord. Car Séoul marche sur des œufs. Dans un contexte de tensions régionales et de relations en dents de scie avec l’allié états-unien, la Corée du Sud a intérêt à ménager le Japon. Kang Kyung-wha spécifie ainsi que son pays prendra «  en compte les éventuelles conséquences sur les relations avec le Japon, en déterminant avec prudence sa position  ».

Malgré ces précautions, Tokyo s’est agacé de voir, jeudi, le président sud-coréen rencontrer plusieurs de ces esclaves sexuelles à la Maison-Bleue et dans un hôpital universitaire de la capitale. «  Le gouvernement fera de son mieux, même s’il est possible que nous ne puissions pas faire tout ce que nos grands-mères voulaient. J’espère juste que vous aurez la paix de l’âme  », a expliqué le chef de l’État, cité par son porte-parole, Park Soo-hyun. L’un des chefs de mission à l’ambassade du Japon à Séoul aurait déjà affirmé au ministère sud-coréen des Affaires étrangères que toute tentative de révision de l’accord se révélerait inacceptable et mettrait les liens bilatéraux en danger. Une levée de boucliers qui n’a pas empêché Moon Jae-in de regretter que son pays n’ait pu protéger ces jeunes filles pendant la colonisation et leur offrir réparation à la libération.

Dans la mémoire coréenne, le sort de l’impératrice Myeongseong semble préfigurer celui de tout un pays. En août 2017, l’exposition d’une photographie présumée de la souveraine par une galerie d’art du centre de Séoul a ainsi suscité l’émotion. Obstacle à l’invasion japonaise, l’impératrice fut violée, poignardée et brûlée par les hommes du lieutenant Miura Goro, en octobre 1895. Un document, exhumé par la Fondation d’histoire d’Asie du Nord-Est en 2015, montrait que le roi Gojong avait demandé des compensations pour le meurtre de sa femme. Déjà.

À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, l’horreur s’étendit à toute la population. Déportation, travail forcé, expériences sur les vivants… C’est bien la colonisation dans son entier qui crée la fracture entre les deux États. Aujourd’hui, les «  femmes de réconfort  » demeurent en quelque sorte le symbole vivant de l’ensemble de ces crimes. Depuis 1992, un rassemblement hebdomadaire continue de se tenir tous les mercredis devant l’ambassade du Japon. Et, début août, des statues représentant ces prostituées de force ont été installées dans des bus de la compagnie de transport public de la capitale afin d’entretenir la mémoire. Le gouvernement sud-coréen envisage de faire du 14 août une journée nationale en mémoire des victimes, ainsi que de leur consacrer un musée d’ici à 2020.

Lina Sankari, L’Humanité


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