«  Toute la nature est aujourd’hui menacée  » Benoît Fontaine

mercredi 8 août 2018.
 

Deux études, menées par le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS, présentent des résultats alarmants  : en dix-sept ans, un tiers des oiseaux ont disparu des campagnes françaises. Toutes deux pointent les effets de l’agriculture intensive sur la biodiversité.

Vous attendiez-vous à de tels résultats  ?

BENOÎT FONTAINE La situation est catastrophique. Nous, scientifiques, savons que la biodiversité s’effondre, mais nous avons été frappés par l’accélération du phénomène. En quinze ans, on a perdu un tiers des effectifs sur certaines espèces, avec de forts déclins des espèces spécialisées (vivant dans les milieux agricoles), comme l’alouette, qui, en quinze ans, a perdu plus d’un individu sur trois, ou les perdrix, qui sont presque toutes décimées. Mais ce qui est révélateur, c’est que les espèces dites généralistes (comme le pinson, la tourterelle, le merle – NDLR) se portent bien en général, mais déclinent dès lors qu’elles vivent dans un écosystème agricole.

Ces deux études mettent clairement en évidence la corrélation entre ces baisses de population d’oiseaux et les pratiques agricoles intensives…

BENOÎT FONTAINE On a du mal à rattacher cette accélération à un phénomène précis. C’est une conjonction de phénomènes, qui ont un impact sur l’ensemble de la chaîne. La multiplication de grandes surfaces dédiées à la monoculture a conduit à la destruction des milieux favorables aux oiseaux et aux insectes. La tendance à laisser un couvert végétal empêche les oiseaux de trouver des graines, et donc de se nourrir. Et, en 2009, la politique agricole commune a donné un coup d’arrêt aux jachères, ce qui est également néfaste pour la biodiversité. Mises bout à bout, toutes ces pratiques ont un effet délétère sur la biodiversité. Et même si ce n’est pas le seul facteur, les pesticides sont sûrement un gros élément du problème.

Et c’est toute la chaîne alimentaire qui est concernée  ?

BENOÎT FONTAINE L’étude menée par les chercheurs du CNRS dans la zone atelier Plaine et Val de Sèvre montre que le carabe, un coléoptère, a perdu une grosse partie de sa population sur les vingt dernières années. Ce qui, en bout de chaîne, a un impact sur les oiseaux. Les insectes ont en effet besoin de certaines plantes pour pondre leurs œufs. Mais comme on arrose les bords des champs de pesticides pour détruire les adventices, il n’y a plus de plantes sauvages. Sans parler des insecticides destinés à tuer ces insectes… Les oiseaux étant insectivores à un moment de leur vie, ils sont directement impactés. Moins d’insectes, moins de plantes sauvages, moins de graines, donc moins d’oiseaux… C’est donc bien l’ensemble de la chaîne alimentaire qui se trouve bouleversée.

Cette situation est-elle propre à la France  ?

BENOÎT FONTAINE Non, le phénomène est général. Quand on compare nos études avec celles des pays occidentaux dotés d’outils similaires, on s’aperçoit que les résultats sont les mêmes  : eux aussi assistent à un déclin généralisé de certaines espèces. Même en Scandinavie ou en Grande-Bretagne, qui ont mis en œuvre des politiques nationales visant à préserver davantage l’environnement, cela ne suffit pas. On peut donc aisément penser que la situation est certainement plus grave encore dans certains pays.

Vous dites cependant que la situation n’est «  pas encore irréversible  ». Que faut-il faire  ?

BENOÎT FONTAINE L’idée de cette communication, c’est d’attirer l’attention sur la gravité de la situation. C’est toute la nature qui est aujourd’hui menacée. Il faudrait commencer par diminuer drastiquement l’usage des pesticides. Un certain nombre d’études montrent que, malgré l’augmentation des intrants, les rendements plafonnent aujourd’hui. Ce qui tend à démontrer leur inefficacité. Cela passe par des alternatives. Plus largement, c’est un problème de modèle agricole qu’il faut entièrement revoir. Si on veut endiguer le déclin de la biodiversité, il faut en changer, avec les agriculteurs.

Benoît Fontaine, Chercheur au Muséum national d’histoire naturelle

Entretien réalisé par Alexandra Chaignon, L’Humanité


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