L’affaire « Benalla » est en réalité l’affaire « Macron-Collomb »

mardi 31 juillet 2018.
 

Depuis que le journal Le Monde a révélé que l’assistant sécurité au cabinet d’E.Macron, A.Benalla, se déguisait en CRS pour molester des manifestants pacifiques et des passants à partir d’une vidéo d’un camarade de la FI, chaque jour – sinon chaque heure- apporte une nouvelle information. Et nous n’avons probablement pas fini d’avoir de nouvelles révélations.

Au regard de tous les éléments disponibles ayant trait à l’affaire proprement dite où au contexte général, l’affaire Benalla doit désormais être considérée comme l’affaire « Macron-Collomb » et est un révélateur d’une situation politique globale.

Factuellement, cette affaire est éminemment grave. Nous savons aujourd’hui qu’une autre personne rattachée au cabinet (Vincent Crase) a commis des actes similaires et que le directeur de cabinet d’E.Macron, Pierrick Strzoda, était au courant de ces exactions. Il a infligé à A.Benalla une simple mise à pied de quinze jours et, surtout, n’a pas averti le système judiciaire de ces faits. Il a donc lui-même commis un délit. Nous savons également que le ministre de l’intérieur Gérard Collomb était au courant des exactions dès le lendemain des faits et n’a rien fait, commettant le même délit que P.Strzoda. En complément, il semble qu’A.Benalla a bénéficié de complicités à la préfecture de police de Paris, des gradés lui ayant transmis les vidéos des caméras de surveillance.

Dans une démocratie parlementaire classique, P.Strzoda et G.Collomb auraient déjà dû présenter leurs démissions. Or, au moment où ces lignes sont écrites, une procédure a à peine été initiée contre… Alexandre Benalla, tandis que le directeur de cabinet P.Strzoda et le ministre de l’intérieur G.Collomb sont toujours en place.

Au-delà de l’aspect factuel, cette affaire concerne les deux poids deux mesures qu’éclaire cette affaire. Ainsi, les députés de la France Insoumise ont comparé le traitement de choix réservé à A.Benalla avec les mesures disciplinaires contre des actes de protestation anodins par des salariés en grève ou contre les peines de prisons infligées pour une simple chemise arrachée à Air France. Il est possible d’élargir le propos au traitement souvent expéditif et répressif envers la jeunesse des quartiers populaires.

Surtout, les actes d’A.Benalla n’auraient pas été possibles sans le contexte de répression policière en France. C’est ce contexte qui a permis de « couvrir » ces actes avant mêmes P.Strzoda et G.Collomb.

A.Benalla s’est fait passer pour un policier et si un individu, protégé par le pouvoir politique, peut agresser d’autres individus sans être un agent de l’organe répressif de l’Etat alors il n’y a plus d’Etat de droit. Cela est juste mais n’épuise pas la question.

Il est essentiel de ne pas perdre de vu un fait : ces images de violences étaient publiques dès le 1er mai. La révélation a porté sur l’identité de l’auteur de ces violences pas sur leur existence. Aucune enquête n’avait été initiée en raison de ces images de violences.

Aussi bien l’opposition de droite, que les médias mainstream que les députés En Marche veulent réduire la question à celle de l’usurpation de la fonction policière par un individu commettant des actes de violences. La droite rajoute le thème de la couverture par l’Elysée et s’arrête là. Ce raisonnement signifie que si ces actes étaient commis par des vrais policiers, ils seraient légitimes.

Il y a là un véritable combat politique à mener. Non, ces violences n’auraient pas été légitimes même exercés par un vrai policier. Oui des violences similaires, exercés par des agents de l’Etat, ont frappé les mobilisations sociales particulièrement depuis la proclamation de l’Etat d’urgence par F.Hollande puis sa constitutionnalisation par E.Macron. Oui, les situations d’impunité des « forces de l’ordre » renforcent les violences policières racistes tandis que la loi sur la sécurité publique passée par F.Hollande en établissant une forme de présomption de légitime défense pour les policiers (en plus de celui des gendarmes) légitime cette impunité. Cela nous est rappelé par la marche pour les deux ans de la mort d’Adama Traoré dans les mains des gendarmes qui se tiendra à Beaumont-sur-Oise ce samedi 21 juillet ainsi que par les nombreuses autres luttes similaires en cours ou ayant abouti (comme par exemple celle du meurtre d’Amine Bentounsi d’une balle dans le dos par le policier D.Saboundjian condamné à 5 ans de prison… avec sursis).

C’est bien ce contexte de répression et de violences policières qui a fait qu’Alexandre Benalla se sente en mesure de molester des manifestants. Après tout, cette impunité policière n’est-elle pas devenue la norme ? Certainement, et c’est ce qui lui a permis de n’être inquiété que quand son identité a été révélée.

La responsabilité d’E.Macron et de G.Collomb vont ainsi au-delà de leur responsabilité directe et celle de leurs subordonnés immédiats. Elle s’inscrit dans le temps plus long de la gestion sécuritaire et de plus en plus liberticide des rapports sociaux dans la droite lignée du duo Hollande-Valls, c’est ce qui en fait une affaire d’Etat.

Si la procédure judiciaire a été entamée sous le fouet des révélations, cela ne règle pas la question des initiatives politiques. Ainsi, la revendication d’une commission d’enquête parlementaire portée par les députés FI "sur les conditions d’usage et de commandement des forces de l’ordre lors des événements survenus en marge de la manifestation parisienne" est pertinente parce qu’elle permet d’élargir le propos au-delà de l’affaire Benalla aux violences policières (derrière lesquelles Benalla s’est caché pour agir avant d’être couvert par l’Elysée). Les députés PCF ont fait une demande similaire.

Ce n’est pas un hasard si la demande de commission d’enquête portée par la droite est formulée différemment puisqu’elle porte sur "les conditions de la participation le 1er mai d’un collaborateur de la présidence de la République à une opération de maintien de l’ordre, les actes de violence commis à cette occasion et sur le traitement de cette participation par son autorité hiérarchique", en mettant de côté la police.

Après les refus initiaux, une commission d’enquête devrait voir le jour mais plutôt avec son cadrage de droite, à savoir le cas « Benalla » de manière restrictive alors même que ces actes ne peuvent être envisagés en dehors de tout le contexte décrit précédemment. Une tâche politique sera d’utiliser le levier de cette commission pour maintenir la pression et en élargir la portée à ce contexte.

Enfin, il reste des interrogations : quel est le motif d’une sanction aussi faible envers A.Benalla de la part des décideurs de l’Elysée ? Comment fait-il partie du cabinet d’E.Macron alors qu’il avait été licencié au bout de deux semaines par Arnaud Montebourg -qui l’avait eu comme chauffeur- après avoir voulu fuir suite à un accident de la route qu’il avait provoqué, que ses initiatives pour acheter des armes et des flashballs dans le cadre de la campagne d’E.Macron avaient alerté les responsables de cette campagne ? Comment se fait-il que l’Elysée a autant hésité avant d’entamer vendredi une procédure de licenciement alors que le scandale avait déjà pris toute son ampleur et qu’E.Macron, pourtant généralement si prompt dans sa communication, garde le silence ? A ces questions s’ajoutent des éléments nouveaux à partir du témoignage de Jean-Luc Mélenchon et Raquel Garrido affirmant avoir reconnu formellement sur une photo aux côtés d’Alexandre Benalla "l’homme qui lui a donné l’ordre de se retirer" lors de la marche silencieuse pour Mireille Knoll. Tout cela aboutissant à une question qui n’est pas des moindres : Alexandre Benalla est-il la pointe visible d’équipes de barbouzes en lien direct avec l’Elysée ?

Le « nouveau monde » d’Emmanuel Macron est celui de la régression s’appuyant sur les brèches béantes ouvertes par le quinquennat de F.Hollande. Ainsi, il est tellement significatif qu’Alexandre Benalla soit issu des entrailles toxiques du Parti Socialiste, ayant travaillé pour F.Hollande pour se mettre ensuite au service d’E.Macron.

Deux brutes épaisses opèrent depuis le palais de l’Elysée : un Emmanuel Macron casqué et bastonneur aux ordres d’un Alexandre Benalla portant un costume de banquier.

Emre Ongün


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