Alain Laffont l’Insoumis, avec patience, avec passion

lundi 9 juillet 2018.
 

Figure de proue des anticapitalistes auvergnats, nous l’avions sans cesse croisé dans tous les combats depuis 50 ans. Il est décédé ce mercredi 13 juin 2018.

Mon ami mon camarade, on va fraternellement s’engueuler une dernière fois : pas d’accord pour t’enterrer. Qu’est que tu crois ? Que l’on va effacer les idéaux qui ont nourri un combat de plus de 40 ans ? C’est tout le contraire qui va arriver : nous allons faire vivre ta passion pour la justice sociale, partager la profonde humanité avec laquelle tu as fait sans relâche ton travail de médecin du peuple, décupler ton appétit de fraternité. Et tous ensemble nous nous engageons à garder tout cela bien vivant.

Nous n’allons pas évoquer tous tes combats. Ce serait trop long. Simplement en rappeler trois. Le premier est au cœur de tes chers quartiers nord de Clermont-Ferrand. C’est la lutte obstinée contre toutes les injustices sociales, raciales ou de genre.. et les trois à la fois. Tu ne supportais pas le mépris avec lequel les puissants de ce monde et les importants traitent les gens du peuple. C’était déjà le sens de ton engagement avec SOS Racisme, contre toutes les discriminations et pour l’égalité. Ton aide précieuse à ceux des quartiers, aux sans papiers, au migrants ne s’est jamais démentie. Sois assuré Alain que nous allons continuer ce combat.

Le second est symbolisé par une lutte de 20 ans contre l’incinérateur, l’usine à empoisonner comme tu disais. A une époque où les questions d’écologie et d’environnement étaient sous estimées voire ignorées, tu a su sonner l’alerte , tu as été précurseur. Le fléau des maladies professionnelles et le soucis de santé publique étaient bien sur au cœur de ta pratique. Tes belles colères et tes démêlées homériques avec quelques bureaucrates de la médecine en portent témoignage. Mais il y a plus puisque avec une constance qui force le respect tu as su faire prendre conscience à large échelle des risques sanitaires et de pollution systémique, tu as rassemblé et fédéré les énergies, tu as organisé la résistance et proposé des solutions écologiques et économes de l’argent public. Au moment où de grands projets inutiles et autres gaspillages se profilent à Clermont-Ferrand, soit assuré Alain que l’on saura faire comme tu nous l’as appris.

Le troisième combat est plus singulier puisque tu l’as mené en portant le fer au sein de ta propre famille politique pour la faire évoluer. Et là aussi tu as été un précurseur. Si tu n’hésitais pas à moquer ces politiques plus habitués aux salons et au bavardages qu’aux manifestations de rue, si tu menais un extraordinaire travail de terrain, tu as toujours eu le souci de donner une traduction électorale à ton activité. Le peuple a besoin d’élus fidèles à leurs engagements et sur lesquels il peut compter. Si l’on en juge par ta présence au second tour des dernières élections législatives, l’électorat populaire de Clermont-Ferrand l’avait parfaitement compris. Là encore Alain, soit rassuré, on a bien retenu la leçon. Tu as fait le quartier en commun, nous ferons la ville en commun.

Une question me travaille : d’où te venait cette énergie inépuisable ? De la fidélité à tes convictions bien sur, d’une culture politique beaucoup plus vaste que ne laissaient supposer tes réparties gouailleuses, c’est certain, mais peut-être surtout de ton goût pour la rencontre et le dialogue avec les gens, partout et à toutes occasion que ce soit dans ton cabinet, sur les marchés,dans les manifestations. Tu savais combiner avec talent l’écoute et l’envie de convaincre. Tu aimais ça. Et assurément la formule ramassée que tu trouvais pour dire les choses et qui faisait mouche ne venait pas de rien : tel patient , tel manifestant, tel habitant du quartier t’avait soufflé la pépite que tu allais faire briller.

D’autres dirons tes autres facettes , Alain la tendresse, Alain l’ami fidèle, Alain la générosité incarnée, Alain amoureux et pudique, Alain au coeur immense, Alain et la recherche des morilles , Alain la sensibilisé à fleur de peau pour pleurer des amis trop tôt disparus, Alain les discussions passionnées autour d’un verre… et souvent deux.

Il me vient pour finir une image et une phrase tirée du superbe roman « Le vieil homme et la mer » d’Ernest Hemingway. Le roman décrit le combat entre un vieux pêcheur pauvre et un gigantesque poisson probablement la plus belle prise de toute sa vie. Ainsi commence une lutte acharnée entre l’homme et le poisson qui durera trois jours et deux nuits. Le vieux n’a plus rien à boire ni à manger, ses mains ensanglantées sont douloureuses, le soleil tape. Ils lutteront jusqu’au bout. Au prix d’efforts incroyables, le vieux est vainqueur. Mais au bout d’une heure arrivent les requins qui ne laisseront de sa prise que la tête et l’arête. Manolo, le vieux pécheur confie alors au jeune garçon qui l’accompagne : « Un homme ce peut être détruit mais pas vaincu ». Et si c’était un peu toi Alain ?

Alain, tu as vécu la vie de façon entière et passionnée. Alain infatigable, jamais blasé ni résigné mais surtout profondément humain dans ton militantisme comme dans ton beau travail de médecin des quartiers, tu restes notre compagnon de lutte et d’espérance. Merci pour tout ce que tu as fais. Tu n’as jamais rien lâché et tu as tout donné. Ce sera un peu plus dur sans toi mais nous poursuivrons le chemin.

Francis Vergne


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