Banlieues : Le rapport Borloo n’était pas « macron-compatible »

jeudi 21 juin 2018.
 

« La situation est facile à résumer : près de 6 millions d’habitants vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autres par quelques faits divers ». C’est par ces mots, malheureux mais justes, que s’ouvre le rapport de Jean-Louis Borloo sur les banlieues, présenté le 26 avril dernier. Sa couverture promet dès lors de « Vivre Ensemble, Vivre Grand ». Vaste programme !

À l’origine de la commande : Emmanuel Macron en personne, qui ne semblait pas gêné – à l’automne dernier – que « deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un et l’autre un rapport » comme il l’a déclaré depuis pour enterrer le rapport en question.

Jusqu’au grand show présidentiel organisé le 22 mai par l’Élysée, les banlieues pauvres semblaient donc avoir enfin suscité l’intérêt du Président. « Enfin », car il aura tout de même fallu attendre la suppression de l’ISF, l’augmentation de la CSG, la casse du code du travail, la diminution des APL, l’affaiblissement du droit d’asile et la généralisation de la sélection à l’université avant que l’exécutif ne dévoile ses intentions pour les quartiers populaires.

Le jour-J, Emmanuel Macron déroula durant une heure et trente minutes « une philosophie et une méthode » afin de redonner « une chance pour chacun » en appelant à « une mobilisation générale ». Il a affirmé vouloir s’écarter des méthodes habituelles de ses prédécesseurs. Il est vrai que tous se sont en effet succédé à la barre du tribunal des inégalités pour jurer, main sur le cœur et voix empathique s’il le fallait, que tous les moyens seraient enfin mis en œuvre pour soigner les maux des quartiers. Les paroles s’envolent, les chiffres restent

Le 29 juin 1988, Michel Rocard promettait déjà devant l’Assemblée nationale que les projets de l’exécutif d’alors étaient « un nouvel espoir pour ceux dont la réalité quotidienne est faite d’ascenseurs en panne, de boîtes aux lettres cassées, de logements trop vétustes, de loyers trop chers. »

Trente ans ont passé depuis mais les ascenseurs sont toujours en panne, des milliers de logements sont encore en attente de rénovation et les loyers ne cessent d’augmenter. De la patience, il en faut quand on habite un quartier populaire. Mais comme le dit à juste titre Don Quichotte à Sancho Panza sur la route de Barcelone : « La patience finit par tomber quand on la charge d’injures. » Et les injures ne manquent pas. Du karcher de Sarkozy au mépris de Macron en passant par la désertion de Hollande, les présidents se suivent et les banlieues encaissent.

On accordera au moins à l’actuel chef de l’État d’avoir souligné la démagogie des engagements de ses prédécesseurs et l’usure d’une méthode qui n’a jamais vraiment fonctionné. Le volet « constat » du rapport Borloo en est la preuve chiffrée, démontrée et pour une fois assumée.

Celles et ceux qui en doutaient encore découvriront par exemple que les communes en difficulté disposent de 30% de capacité financière en moins alors que leurs besoins sont 30% supérieurs. Que le taux de lycéens en filière générale dans les quartiers populaires est deux fois inférieur à celui du reste du pays et que le taux de chômage y est trois fois supérieur.

Macron, l’anti-banlieue

Les 19 programmes préconisés ensuite par Jean-Louis Borloo comportaient quelques points intéressants. Mais comme l’a démontré Alexis Corbière, député (LFI) de la Seine-Saint-Denis, à l’occasion d’un débat avec l’ex-ministre délégué à la Ville : « ce plan n’était de toutes façons pas Macron-compatible ».

Car une des erreurs commises depuis toujours a été de croire – et de croire encore – que l’on peut aider les banlieues tout en accablant le pays. Que l’on peut réduire ici les inégalités, quand ailleurs on les encourage. Ainsi, pourquoi proposer de créer 6 000 postes d’adultes relais dans les quartiers quand dans le même temps 15 000 postes d’encadrants associatifs sont supprimés dans tout le pays ? Pourquoi vouloir déployer 5 000 coachs d’insertion par le sport quand près de 25 000 postes d’éducateurs sportifs sont condamnés ? Pourquoi déployer dans chaque quartier deux correspondants de nuit chargés de veiller à la tranquillité publique alors que dans certaines de ces villes, la police a perdu 30% de ses effectifs en moins de vingt ans ?

Le paradoxe que l’Élysée tente en vain de cacher à grand coups de com’ est bien là : détruire le service public et associatif partout ne sera jamais compensé par quelques ajustements ici ou là.

Pour résorber les maux des banlieues, le pays tout entier doit être gouverné avec pour seules boussoles la réduction des inégalités et l’impératif écologique. Pour cela, il est indispensable de renforcer considérablement les services publics et associatifs, qui doivent être considérés non comme un fardeau, mais comme de magnifiques outils de planification sociale et écologique permettant d’atteindre des objectifs d’égalité et de solidarité. Il faut également en finir avec l’entre-soi des plus aisés, car le problème des ghettos de pauvres n’est que le corollaire des ghettos de riches.

Mettre la banlieue au centre

Nous touchons là aux causes de l’échec des quatorze plans banlieues qui se sont succédé depuis 1977. Tous ont considéré à tort que le problème des quartiers était circonscrit à leurs frontières et qu’il suffirait donc de réponses spécifiques appliquées à périmètre restreint. Mais le mal est bien plus large. Les banlieues ne souffrent pas d’une pathologie qui leur est propre : elles sont le symptôme localisé d’une régression généralisée.

Si ruissellement il y a, c’est bien celui des inégalités qu’on observe. Une politique nationale injuste crée partout de l’injustice, à commencer par là où il y en a déjà de trop. Ce phénomène d’accumulation des maux fonctionne à la manière de certaines maladies immunodéficientes : le malade déjà fragilisé – ici le quartier populaire – multiplie les pathologies car ses défenses immunitaires – les politiques et les services publics – sont rendues peu à peu inopérantes par le reste du corps.

Supprimer 120 000 postes de fonctionnaires et 200 000 contrats aidés, assécher les finances locales, fermer les services publics de proximité et mettre à mal le logement social : voilà qui revient à empêcher tout traitement préventif et à n’envisager plus que du palliatif. Plus qu’irresponsable, cela est criminel : ainsi les habitants des quartiers populaires ont-ils deux fois plus de risques que les autres de décéder avant 75 ans.

La principale mesure annoncée par Emmanuel Macron quand il a enterré le rapport Borloo est l’instauration d’une bourse aux stages pour les élèves de troisième. Accueillir quelques milliers de jeunes durant seulement trois jours au sein d’une entreprise ou d’une administration publique, voilà qui devrait, assurément, régler un siècle de concentration des difficultés socio-urbaines.

Il y a un an, Jean-Louis Borloo déclarait dans le Journal Du Dimanche : « Je fais le pari d’Emmanuel Macron ». On sait maintenant qu’Emmanuel Macron n’aura pas, lui, fait le pari de Jean-Louis Borloo. Car avec ou sans plan, le mieux-être des banlieues n’est pas – et ne sera jamais – macron-compatible.

Thomas Mettey


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