U.E « La Défense au niveau européen n’a pas de sens »

jeudi 14 juin 2018.
 

Entretien avec Bastien Lachaud député FI de la Seine-saint-Denis

Le Sénat vient de voter la Loi de programmation militaire (LPM). De quoi s’agit-il ?

La LPM est censée établir la vision géostratégique de notre pays et déterminer l’engagement des dépenses de défense jusqu’en 2025. On parle là de deux cents milliards d’euros. C’est une loi centrale, parce qu’il en va de la défense nationale, et donc de la souveraineté du peuple. Il n’y a pas de souveraineté si le peuple n’est pas en mesure de se défendre lui-même.

Le gouvernement a annoncé une hausse du budget de la défense. Faut-il s’en satisfaire ?

A dire vrai, le budget n’est pas à la hauteur. Le gouvernement a certes annoncé des hausses de budget, mais, pour l’essentiel, ces hausses sont programmées entre 2022 et 2025, soit après la fin du mandat d’Emmanuel Macron. C’est une promesse qui n’engage pas beaucoup. Or on sait que l’armée française est aujourd’hui à bout de souffle. Elle est engagée sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures. Et le matériel est en fin de vie. Au Mali, par exemple, nos soldats disposent de véhicules dont le blindage est insuffisant pour résister aux engins explosifs artisanaux de nos adversaires. Il faut de l’argent pour rénover d’urgence le matériel. On peut certes désapprouver les opérations extérieures (les « opex »). Mais maintenant que nous sommes engagés, il faut donner aux soldats les moyens de remplir leurs missions. Et le compte n’y est pas. Cela n’est pas surprenant si l’on se rappelle que Macron était déjà à Bercy quand les crédits de défense avaient été coupés sous Hollande

Qu’en est-il de la « doctrine » géopolitique entérinée par la nouvelle LPM ?

Il y a une absence de réflexion géostratégique pour la France et ses intérêts nationaux. Est reconduite la vision, imposée depuis Sarkozy, d’une France enfermée dans l’OTAN, alliée aux Etats-Unis, avec pour adversaires la Chine et la Russie. Les pays qui ne sont pas membres de l’OTAN sont des ennemis ; aucune réflexion n’est menée sur ce que l’on pourrait construire de positif avec eux. Toute la LPM repose sur cette vision du monde binaire et datée.

Pour ne pas être taxé d’atlantisme, le gouvernement affirme sa volonté de construire l’Europe de la défense. Qu’en penser ?

Concevoir la défense au niveau européen n’a pas de sens. Il n’y a pas de peuple européen, pas de souveraineté européenne. Il n’y a que des nations européennes, et des souverainetés populaires. Et il n’y a pas de position commune des pays européens sur les questions de défense. Il n’y a donc aucun sens à vouloir une défense européenne. Prenons un exemple : Jacques Chirac rêvait d’un porte avion franco-britannique ; or, quand les Anglais se sont lancés dans la guerre d’Irak et que les Français ont refusé de s’y engager, qu’aurait dû faire un tel porte-avion ? Exemple plus récent : si nous avions une armée européenne, aurait-elle bombardé la Syrie ? Les Français et les Anglais étaient pour, mais les Allemands et d’autres pays étaient plutôt contre… On le voit, c’est une impasse. J’ajoute qu’en matière de défense, on ne peut pas faire toute confiance à nos partenaires européens. Voyez : avec les Allemands, nous avions signé les accords de Schwerin, qui organisaient la coopération franco-allemande en matière d’observation par satellite : aux Français la technologie optique ; aux Allemands la technologie radar. Or l’Allemagne, en décembre, a tout simplement mis à la corbeille les accords de Schwerin, pour développer la compétence optique en Allemagne. Comment peut-on abandonner notre défense à la bonne volonté de « partenaires » qui ne pensent, finalement, qu’à leurs intérêts propres ? La France ne doit pas être la dupe de ses voisins, et répéter « l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! » quand les autres pays européens défendent d’abord leurs intérêts nationaux.

En avril, dans une intervention en commission de la Défense, vous souteniez l’idée que la défense européenne est et sera, dans les faits, soumise à l’OTAN.

Oui. Le nombre de membres de l’OTAN dans l’UE, et les traités même de l’UE, impliquent clairement que la défense européenne est soumise aux règles de l’OTAN. On ne sort pas du vieil atlantisme. D’ailleurs, les efforts budgétaires faits par le gouvernement pour amener le budget de la défense à 2% du PIB correspondent aux recommandations de l’OTAN et aux injonctions des Etats-Unis. Pour s’y être conformé, le Président Macron a reçu récemment les félicitations de la Maison-Blanche… Car l’OTAN constitue un formidable marché pour les produits du complexe militaro-industriel états-unien. Les USA font le forcing pour écouler leurs équipements en Europe, au détriment des équipements européens. Raison de plus pour briser le carcan atlantiste et sortir de l’OTAN.

Comment la LPM traite-t-elle la question – centrale – de la dissuasion nucléaire ?

La revue stratégique 2017 postulait qu’il n’y avait pas de discussion à avoir sur la dissuasion : au président seul de décider. Et ce que le président a décidé, sans débat, c’est le maintien des deux forces de dissuasion, à savoir la force aéroportée et la force océanique, leur modernisation et leur renouvellement. Cela nous emmène jusqu’en… 2080. Sans qu’il y ait aucun débat, sans qu’on discute la pertinence du choix… La France insoumise ne renonce pas au principe de la dissuasion. Mais avec les avancées technologiques dans le domaine spatial, dans le domaine cyber, on peut s’interroger sur l’utilité de la dissuasion sous ces deux formes. A tout le moins, il aurait fallu que la représentation nationale puisse en débattre. D’autre part, nous sommes partisans d’un désarmement multilatéral. Or le président semble ne pas même envisager cette option. Enfin, il faut comprendre que la dissuasion n’est pas le seul pilier sur lequel doit reposer notre défense nationale.

Sur quel autre pilier bâtir notre système de défense ?

Comme toujours, l’implication populaire. Un peuple doit pouvoir se défendre. Une armée n’est pas une entreprise de sécurité. Elle doit être l’émanation du peuple. Sinon, elle risque à terme de ne plus servir le peuple. De plus, jamais une armée d’occupation n’a réussi à vaincre un peuple uni, organisé, conscient de sa force. Donc, la sauvegarde du territoire national passe aussi par l’organisation d’une mobilisation populaire, sur la longue durée. Nous sommes favorables à la mise en place d’un service national, universel, obligatoire. Pas un service au rabais. Emmanuel Macron semble vouloir un service national d’un mois, avant 16 ans, avec 15 jours en internat – c’est à dire un service qui n’a à peu près rien à voir avec la défense nationale. Cela ne répond absolument pas aux enjeux. Ce que nous préconisons, c’est un service militaire (pour ceux qui le souhaitent) ou civil – pour des missions de protection civile, pour la lutte contre les dérèglements climatiques. Il ne faut absolument pas idéaliser le service militaire « à l’ancienne », très inégalitaire en pratique, sexiste et homophobe. Le service national de la sixième république devra être mixte, sans passe-droits, sans casernement systématique, rémunéré au smic, inclusif. Ce sera un moment de formation civique, de brassage social, de mise au service de l’intérêt général.

Propos recueillis par Antoine Prat


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