Le 26 mai en défense de notre civilisation sociale

vendredi 1er juin 2018.
 

La «  marée populaire  » prévue ce samedi a été lancée seulement la semaine dernière. Le calendrier est serré  ; comment se prépare-t-elle  ?

Willy Pelletier Déjà plus d’une cinquantaine de lieux de manifestations sont recensés. Dans des grandes villes comme Nantes, Rennes, Nice, Reims, Strasbourg, Toulouse, Toulon, Bordeaux, Le Havre… Mais aussi dans des endroits méprisés des élites comme Aubagne, Besançon ou en Dordogne. Partout, l’auto-organisation prévaut. Il est probable que, dans les trois quarts des départements français, des manifestations soient organisées. Face aux inégalités sociales qui contraignent les possibilités de se déplacer, nous avons voulu des manifestations au plus proche des territoires. Car l’objectif de la «  marée populaire  », c’est que le monde en vrai se donne à voir. Celui qui n’en peut plus qu’on l’empêche de vivre à force de révolution libérale. Nous voulons un choc de réalité pour l’entre-soi des élites qui naviguent de ministères en postes de direction dans le CAC 40. Au plan national, le nombre d’organisations continue aussi d’augmenter. Lutte ouvrière dans le champ politique, la FSU dans le monde syndical ou encore Act Up dans la sphère associative viennent d’y appeler. C’est du jamais-vu, surtout en un temps si court, ce qui prouve l’exaspération.

La «  cause commune  » aux organisations signataires est, dites-vous, la défense de la «  civilisation sociale  ». Les services publics et les droits sociaux sont régulièrement attaqués. Pourquoi y a-t-il urgence cette fois  ?

Willy Pelletier Emmanuel Macron réalise à toute vitesse ce que Sarkozy n’avait que rêvé. Et que le Medef théorise depuis longtemps. Le président est objectivement le plus à droite, le plus autoritaire, le plus brutal et le plus enfermé dans un mépris de classe de la Ve République. En face, ce n’est pas une révolte des consciences mais des vies concrètes. La communication politique marketing de Macron relayée par les médias dominants n’y fera rien. Les existences n’en peuvent plus des modernisations libérales qui leur pourrissent la vie et interdisent l’avenir. L’État social protégeait contre le marché qui réduit les personnes à n’être que ressources humaines jetables et corvéables à merci. Il permettait l’égalité dans l’accès à des services essentiels comme la justice, l’hôpital, la poste, les transports… Aujourd’hui, cette égalité est détruite, alors même qu’on aperçoit, pour citer Balzac, «  l’apothéose du coffre-fort  » des très très très riches.

Vous appelez à une mobilisation de résistance, mais aussi d’alternatives. De ce point de vue, y a-t-il un socle commun aux organisations signataires  ?

Willy Pelletier Ce socle commun n’est pas formulé, pas écrit, mais il existe un noyau dur entre toutes les organisations qui peut s’énoncer de façon simple  : le respect des personnes qui ne sont pas des marchandises. Augmenter les budgets des services publics, garantir des statuts pérennes aux personnels, rendre l’impôt redistributif, revenir à un Code du travail protecteur… On peut multiplier les exemples. Nous avons réussi, dans le respect du champ d’intervention de chacun, à construire un cadre commun jamais vu. Quoi qu’en disent les mauvaises langues qui tentent de nous diviser, il n’y a pas d’hégémonie et personne ne la revendique. Chacun habitera les manifestations à son gré. Il n’y aura pas de bus à impériale, pas de carré de tête, nous serons tous à égalité. Ce sera une manifestation résolue, mais aussi très bon enfant, tranquille et joyeuse.

Le gouvernement se pare de la légitimité des élections pour justifier la poursuite de ses réformes. Quelle est la légitimité d’un rassemblement comme la « marée populaire » ?

Willy Pelletier D’abord, Macron n’a aucune légitimité démocratique car il a été élu non pour un programme mais pour faire barrage à Marine Le Pen. Au premier tour, son projet a recueilli un nombre limité de voix. Les manifestations de rue expriment des colères qu’il a aggravées. Celles des locataires pauvres, des précaires encore plus contrôlés, des salariés sans droit du travail, des fonctionnaires menacés, etc. Tout le monde voit bien que sa « start-up nation » est en fait un come back vers le XIXe siècle. En France, une masse considérable de citoyens refusent d’être des entrepreneurs d’eux mêmes, et veulent être des personnes et non pas des pièces du marché. De plus, Macron n’a aucune légitimité pour détruire une civilisation sociale forgée par 200 ans de luttes sociales. L’histoire de ce pays, celle des conquêtes sociales, est toujours l’histoire des grèves et des mobilisations de rue. Il n’y a aucune conquête sociale forte qui n’ait été imposée par les mobilisations populaires. Le scenario va se reproduire. La « marée populaire », dans son caractère historique et inédit, vise la force du nombre qui se déplace pour dire "Assez !". D’autres n’en pensent pas moins et ne se déplaceront pas. Mais une fois que la mécanique est enclenchée, il est difficile de percevoir où elle s’arrêtera. Le gouvernement ferait bien d’y réfléchir.

Entretien réalisé par Julia Hamlaoui, L’Humanité


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