"Sarkozy, l’avenir d’une illusion"

vendredi 5 mai 2006.
 

Excédés par la mousse médiatique qui entoure Nicolas Sarkozy, Pierre Defrance et Jean-Luc Gonneau se sont livrés à un minutieux travail de décryptage du discours et de l’action de Nicolas Sarkozy. Dans ce livre publié le 2 mars aux éditions de l’Aube, pas d’anecdotes croustillantes ni de scoops fumants, mais un démontage point par point de la stratégie politique et idéologique de celui qui propose de pousser le libéralisme jusqu’au bout. Pierre Defrance, qui utilise un pseudonyme, est un spécialiste reconnu des questions d’asile et d’immigration. Jean-Luc Gonneau, élu d’arrondissement à Paris, est consultant et enseigne aux universités de Paris X Nanterre et de Cergy Pontoise. Tous deux sont militants de PRS. Nous leur avons demandé de nous présenter leur livre.

Pourquoi avoir choisi d’écrire un livre entier sur Nicolas Sarkozy ? N’est-ce pas lui faire encore de la publicité ? Ne risque t-on pas d’accentuer ainsi son leadership sur la droite française ?

Pierre D. - En somme, seul Nicolas Sarkozy aurait la possibilité de parler de ses propositions ? Sur ce point, pas de doute le personnage a de l’opiniâtreté. Rangeons nous à l’évidence ! Nicolas Sarkozy a mis la main sur le principal parti de la droite française, il est candidat déclaré et la gauche aura à l’affronter selon toute vraisemblance au deuxième tour de l’élection Présidentielle.

Jean-Luc G. - Si les articles critiques sur Sarkozy sont nombreux, ils demeurent parcellaires. Un travail de synthèse et d’analyse plus global, à partir des discours et des actes du personnage nous est apparu utile, tant pour celles et ceux qui, à gauche, le combattent que pour tout citoyen soucieux de s’informer à partir de sources vérifiées.

En quoi le discours et la méthode de Sarkozy sont-ils différents de ceux de la droite française traditionnelle ?

Jean-Luc G. - Sarkozy pousse plus loin que d’autres, sauf quelques marginaux, la logique libérale de la droite. Il a bien compris le trauma sécuritaire d’une partie de nos compatriotes, alimenté notamment par le chômage de masse et la précarité des emplois, mais là où le discours d’un Chirac, par exemple, aligne les vœux pieux sur la fracture sociale, Sarkozy nous montre une France à feu et à sang et alimente lui-même le feu, sinon le sang, et encore.

Pierre D. - Son utilisation systématique de la provocation est inédit dans la droite "classique". Seul Le Pen se servait de ces méthodes. Il n’hésite pas à prendre le contre-pied des valeurs républicaines, vidant de son sens le concept de laïcité, remplaçant l’égalité par l’équité, utilisant les médias "à l’américaine" : mélangeant en un tout vie privée-vie publique, poussant à une logique séparatiste de la société française sur des bases communautaires

Comment analysez-vous l’action de Sarkozy au gouvernement de puis 2002 ? Comment expliquer qu’il arrive à faire croire qu’il est porteur d’une alternative alors qu’il est au pouvoir depuis 4 ans ?

Pierre D. - Nous analysons dans le livre son action en tant que ministre (intérieur, budget, économie), président du Conseil général des Hauts de Seine, Président de l’UMP. Le bilan est mince, très mince, et le plus souvent négatif. Il est en tant que ministre du budget recordman du déficit budgétaire. En tant que ministre de l’Intérieur il est "l’apôtre" du désordre. Mais il joue sur un double registre depuis sa prise de l’UMP : il est certes au pouvoir, tout en prônant la rupture avec ce pouvoir, ce que lui permet son omniprésence médiatique.

Jean-Luc G. - Le "classique" Villepin tout occupé à sa stratégie d’étouffement tombe dans le panneau, en reprenant le discours de Sarkozy et en le traduisant en actes. Le résultat est que Villepin prend les coups, qu’on oublie que les idées viennent de Sarkozy et que celui-ci peut continuer à jouer la "rupture", réalisant au passage un hold up sur ce terme qui relevait jusqu’alors de la gauche. Celle-ci, d’ailleurs, avec son atonie en matière de projet, lui a jusqu’ici facilité le travail.

Pourquoi parler d’"illusion Sarkozy" ? Faut-il y voir un phénomène médiatique qui va se dégonfler ou croyez-vous au contraire que la gauche sous-estime la menace politique qu’il représente ?

Jean-Luc G. - L’illusion, c’est le décalage entre les rodomontades des discours et la réalité des faits et des actions, les trucages des chiffres, les provocations calculées, l’utilisation des affects et des haines plutôt que la prise en compte de l’état de la société. Mais en reprenant les thématiques de l’extrême-droite, Sarkozy s’appuie sur des ressorts nauséabonds mais puissants, qui vont au-delà d’une simple bulle médiatique. Il ne faut donc pas sous-estimer la menace qu’il représente.

Pierre D. - Le Président de l’UMP a une véritable cohérence idéologique s’appuyant sur le communautarisme, l’ultra-libéralisme et le sécuritarisme, un petit Bush à la Française en quelque sorte. Le message qu’il délivre "aides toi et le ciel t’aidera" a tout de même près de deux siècles. Et s’il fallait encore se convaincre de l’illusion que sa potion représente pour la France alors tournons nous vers les Etats-Unis et les dégâts de leur intervention en Irak ou encore l’incurie de l’administration américaine après le cyclone Katrina

Alors que Jean-Marie Le Pen n’a cessé d’accroître son emprise idéologique et culturelle sur la droite française depuis 20 ans, que pensez-vous des analyses qui prétendent que Sarkozy couperait l’herbe sous le pied de l’extrême droite ?

Jean-Luc G. - Ce n’est pas évident car l’original est vieillissant. De Villiers et Sarkozy l’ont compris. Et ce dernier peut jouer sur le registre du "vote utile", cette "plaie démocratique", pour attirer à lui une partie de l’électorat de Le Pen.

Pierre D. - En décomplexant certains électeurs de droite, en stigmatisant des pans entiers de la communauté nationale, il n’affaiblit en rien l’extrême droite, il la banalise et au final je suis persuadé que beaucoup préférerons toujours l’original à la copie.

A quelles conditions la gauche pourra-t-elle efficacement barrer la route à Nicolas Sarkozy ?

Pierre D. et Jean-Luc G. - Une chose est de démontrer ce que appelons l’illusion sarkozyenne, ce à quoi notre ouvrage s’efforce de contribuer. Une autre est de proposer un projet alternatif à celui libéral-sécuritaire de Sarkozy. Car sans projet alternatif de solidarité et de sécurité sociale il n’y aura pas d’unité de la gauche Et c’est ce à quoi nous devons travailler. Notre livre y contribue "en creux", en quelque sorte : en montrant ce qu’il ne faut pas faire, on éclaire ce qu’il faudrait faire. Le reste est du ressort des organisations politiques. Là, notre contribution est celle de citoyens engagés, avec les nuances que cela peut supposer dans un paysage divers.


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