L’OM et la Bonne Mère

mardi 8 mai 2018.
 

Comme chaque semaine sauf imprévu, j’étais à Marseille. Je suis donc allé participer au match de l’OM contre Salzbourg. Ça s’est su ! On glosa. Comme s’il pouvait en être autrement ! Je me devais au match comme tout Marseillais, qu’on le soit de longue date ou d’adoption récente, comme moi. De toute façon, le nouveau député d’une ville peut-il ignorer un évènement de cette nature ? Car la ville attendait le match avec fébrilité. Le premier succès avait presque glacé les gens. Y aurait-il une suite ? Je les voyais attendre le grand jour avec l’angoisse d’une veille d’examen. Juste un peu de respect pour mes concitoyens habités d’une passion qui ne nuit à personne me conduisait donc naturellement au stade. Cependant, il y avait davantage pour moi dans cette circonstance. J’avais hâte de voir le public.

Toutefois, je m’ébahis du nombre de commentaires que ma présence a pu produire. La presse parisienne m’a bien brocardé. Il est vrai que la plupart des journalistes parisiens sont supporters du PSG et acceptent des places gratuites du club qatari. Premier prix du front le plus bas au Figaro qui affirme, avec tout le panache de l’info qui n’en est pas une, que « ma conversion comme supporter de l’OM ne convainc pas ». Et que je me pose « en premier fan de l’OM » Ah ! Ah ! Ces types s’inventent un sujet pour amorcer la pompe à clics. À Marseille, je ne suis candidat à rien et en tout cas pas à ce titre de « premier fan ». Mais d’où tirent-ils que cela ne convainc pas ? Un sondage dans leur bureau ? En tous cas, cette couverture de presse inattendue m’a bien amusé. Mais je comprends le souci. Vous imaginez l’aubaine dans une actualité creuse ? Qui aurait été lire un article : « Wauquiez va voir l’OL ». Personne. L’OL branche peu. Et Wauquiez encore moins. Deux mâchons froids. Tandis que l’OM et Mélenchon, ce sont deux clivages passionnels bien balisés. À Marseille, il n’y a que les panisses qui soient tièdes !

Donc, au Vélodrome, j’étais venu voir le public en action : « le douzième homme » comme disent les commentateurs un peu courts. Mais je dois reconnaître combien je me suis aussi fait happer par le match. Le go-ût de la stratégie me faisait avoir un avis sur chaque déploiement. Au fond, c’est normal. Pour la coupe du monde avec Zidane, c’était pareil, par contagion avec l’engouement de mes amis, adultes retournés en adolescence, qui collectionnaient même des vignettes Panini. Je ne vais pourtant pas commenter le match : je ne suis pas assez connaisseur pour ça. Mais j’ai des yeux pour voir. J’ai trouvé qu’il y a eu des moments de vacances sur le terrain. Facile à dire, je le sais. Ce n’est pas moi qui cours pendant 90 minutes entre les buts. J’ai trouvé l’équipe de l’OM élégante et même gracieuse, mais les Autrichiens lourds et brutaux. Pourtant je n’ai que des préjugés raisonnables à propos des Autrichiens en général. Et comme Salzbourg est la ville natale de Mozart, j’étais prêt à beaucoup leur pardonner. Jusqu’au premier croche pied.

En tous cas, je suis arrivé en avance pour bien profiter de toute la séquence. Dès 18h30 je repérais ma place dans la tribune présidentielle, la 16 du rang 19. Avant d’y aller j’avais fait le point « chez Roger » sur le Vieux-Port. Un maître en anthropologie footballistique s’était mis à ma disposition : Gilles Perez. Je connais Gilles depuis qu’il m’a fait parcourir l’expo sur le foot au Mucem, il y a quelques mois. J’avoue donc là une minutieuse préparation à mon premier match. Certes, ce fut à ma manière, un peu livresque j’en conviens.

Bien sûr, ma présence fut interprétée comme un geste à vocation municipale. C’est le maximum de ce qu’une cervelle de commentateur parisien peut imaginer. Il est vrai que j’ai reçu de nombreux encouragements sur ce point, venant de tous les horizons, jusque dans les salons du stade où pourtant il y avait Muselier et même l’Amiral lui-même, Jean-Claude Gaudin, promenant un sourire amusé sur les vagues et les mouettes jalouses qui pullulaient dans ce salon.

Mais moi, à la base, j’étais là pour observer le public. J’avais tellement entendu parler de lui ! Je m’étais fait expliquer la composition des tribunes dans le détail. Les « Fanatics », les « Winners », les « Marseille Trop Puissants » (MTP) et les autres m’étaient connus avant d’arriver dans la loge où le club m’avait si courtoisement invité. Je voulais voir tout cela de mes propres yeux. Je voulais vérifier ce que je crois comprendre de cette ville qui m’a accueilli si vite et si bien. Marseille est une ville à part en ceci que ses habitants sont « fiers d’être Marseillais ». Oui fiers. Cela peut paraitre banal. Cela ne l’est pas. J’ai assez couru le pays pour le savoir. J’ai connu des villes de banlieue où les gens ne savaient pas se nommer. Et des villes d’ennui si profond qu’on s’ignore soi-même. Je ne suis pas certain que les Castelroussins sachent tous qu’ils le sont. Ici, personne ne doute d’être Marseillais. Et « fiers de l’être ». Je crois que l’idée d’en être « fier » ne fait que surligner une seule idée importante. Les gens ressentent très fortement leur lien à la ville. Et parce qu’ils l’aiment, ils s’aiment eux-mêmes. Etre fier de quelque chose c’est s’aimer dans une attitude, non ?

La fierté marseillaise est un phénomène énorme. Dans ce monde devenu intégralement nomade, les uns se vident d’eux-mêmes quand les autres se remplissent dans les passages. Marseille se remplit. Sans fin, sans pause, sans se dissoudre, depuis 2600 ans. Je le sais d’expérience. J’ai touché la terre espérée à mon tour en juin dernier, après un long voyage depuis cet été où j’avais commencé mon odyssée comme petit pied noir. Et cette fois-ci, quand je suis arrivé on a mis mon couvert sans aucune question.

Du coup, quand nous nous demandons pourquoi ils sont tellement marseillais, cherchons à savoir comment ils le deviennent. Je fais donc le tour des creusets où se fondent les métaux si divers dont est faite cette cité. Une recette bien rodée qui navigue les temps depuis presque trois millénaires ! Pour faire l’enquête, le premier venu vous le dira il faut commencer par le stade Vélodrome et l’OM. J’ai vu fonctionner ça. D’autres me saoulent avec Notre-Dame de la Garde, qui est la tour Eiffel de ce coin-ci, en tout respect pour l’un et l’autre de ces bâtiments sans usage concret.

Commençons par le plus important. L’objet de ma soirée. Le Vélodrome un soir de match de l’OM. Qu’il est difficile d’y mettre des mots ! Quand d’un côté à l’autre les virages du stade se répondent au cri de « aux armes », « aux armes », « nous sommes les Marseillais… » Puis quand les tifos sont révélés et que les tribunes centrales les comparent et les applaudissent à l’unisson. Puis, quand les sifflets, d’une pure mauvaise foi brûlante, fusent comme un jet d’acide sur le moindre geste de l’adversaire. Puis quand tout le monde saute sur pied en criant d’enthousiasme. Cette incroyable discipline du désordre ! Cette coordination absolue des chacun en folie ! Alors on sait. Ici, c’est le chaudron central, le creuset de Vulcain lui-même, la marmite qui fait le bouillon marseillais. C’est exactement comme un de ces meetings politiques de masse que nous avons tenus tant de fois au cours de ces deux campagnes électorales présidentielles. Et ceux de Marseille n’étaient-ils pas parmi les mieux communiants ? D’où venait ce savoir vibrer ensemble ? Peut-être aussi du Vélodrome. Et sûrement même. Fumerolles et pétards des manifs syndicalo-politiques, houles du Vélodrome, ce sont les rugissements des Marseillais. Voilà comment jaillit la lave populaire qui fabrique Marseille. Sur les flancs du volcan, à chaque irruption, elle inonde les flancs des collines et grossissent l’humus sur lequel poussent les Marseillais. Au match, on se cultive des récoltes abondantes.

J’ai lu toutes sortes de choses à mon sujet à propos du football. Que je n’y ai pas d’intérêt. C’est vrai. Je ne suis pas à l’affut des classements dominicaux et je n’entends rien aux mystères du hors-jeu dont j’ai renoncé à comprendre la nature. Je me contente de raffoler de quelques personnages du foot qui ont su percer le mur de mon éloignement. Et je me contente de détester, par pur a priori, souvent trop politique et mal placé, telle ou telle équipe. J’adorais Papin par affection pour le Cacolac dont j’ai obtenu la livraison à la buvette de l’Assemblée nationale. Bien sû-r, je raffolais de Guy Roux et de ses remarques de pingre qui me remplissaient d’allégresse ! Je respecte toujours ce que dit Thuram, et Basile Boli, quoique RPR en son temps, m’est incompréhensiblement sympathique. Comme tout Français de bonne tenue je révère Zinedine Zidane et je lui pardonne tout, même le coup de tête ! Bien sûr, comme tout le monde je hais le Bayern de Munich et je garde secrètement une image de Schumacher à qui je plante des aiguilles avant chaque match où une équipe française est obligée de jouer contre ce club. Le Real de Madrid s’appelle « real » ce qui me refroidit comme partisan de la République et ennemi des Bourbons. Mais tout cela est déjà bien daté quand on en est à la génération de Payet !

Bref, ma relation au foot n’a aucun rapport avec l’art du drible, de la passe arrière, du tir au but croisé, ni d’aucune des merveilles appréciées dans ce sport. On sait aussi que je n’aime pas la place du fric dans ce milieu. Je n’ai pas changé d’avis. Ma musette est encore pleine de vacheries à ce sujet, si besoin est. Je m’amuse de voir les pécores des médias en déduire que je n’aime pas le foot à cause de ça. On voit ce que ces gens-là ont dans la tête ! Pour eux, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Le fric ne pourrit pas que le sport. En tous cas pas autant que les médias. La paye d’un « journaliste » à 38 000 euros ou celle d’un autre à 30 000 me paraissent encore moins justifiée que celle des grands du football. Car ceux-ci continuent à jouer au ballon pour garder la paye tandis que les deux autres pour garder la paye ne font plus du journalisme depuis longtemps. Ah ! ah ! Le fait est que j’ai oublié de dire tout le mal que je pensais de ces commentateurs de foot qui enfilaient à longueur de soirée les remarques xénophobes et les plaisanteries de vestiaires. Mais à Marseille, tout cela n’a pas de réalité. Le stade est juste la cornue d’une alchimie inconnue ailleurs. À part peut-être le Red Star, où le foot enfante-t-il un peuple ?

La fierté d’être Marseillais est l’onde longue des merveilles que produit la cité par comparaison à la tribu, le droit du sol par rapport au droit du sang, l’appartenance choisie par rapport à celle qui est obligée. Encore faut-il qu’il y ait un moyen de se savoir unis, de le vouloir. Encore faut-il que la table des noces soit mise. Tels sont l’OM et le stade Vélodrome.

Bon. Pour finir, ce soir-là à Marseille, je suis reparti du stade Vélodrome le dernier. Et j’avais déjà des regrets. J’intrigue pour pouvoir aller à Lyon assister à la finale après que l’OM aura torché ce qui reste d’Autrichiens après le premier essorage au Vélodrome. Et comme les Salzbourgeois n’ont pas mis un but à Marseille, tout ce que marquera Marseille à Salzbourg sera de l’or en barre. En foot, je serai vite connaisseur. Mais pour décrypter Marseille, ça demande davantage de temps.

Une autre légende voudrait que la Bonne Mère à Notre-Dame de la Garde soit un marqueur marseillais. Pas de doute que, pour les touristes, c’est bien le cas. Je suis plus réservé pour ce qui concerne Marseille. En pareil cas, je creuse le thème et l’histoire. De toute façon, je suis bon gouteur du temps long. Je ne lâche pas prise facilement. Par exemple, je m’enrageais de comprendre pourquoi l’entrée de la ville antique se situait à côté d’un quai derrière les galerie Lafayette alors que la mer est plus bas. Gaston Deferre s’en foutait. Il voulait ses immeubles à la place du parking qui se trouvait là. Nul. D’un peu il faisait tout bétonner comme à la Corderie où on s’est battu en vain pour garder la carrière grecque du Vème siècle. Ici, on ne fait pas dans le détail. Décision de Ministre ou pas, manif ou pas : zou ! Pelleteuse et béton prompt. À l’époque, Malraux a mis le paquet pour qu’on ne touche pas à cette entrée de Marseille revenue à la surface au hasard d’un chantier en plein centre-ville. Gaston était furieux. Et moi aujourd’hui, perplexe.

Comment pouvait-il y avoir un quai à cet endroit ? Question sans réponse pour moi depuis la première fois où je suis venu sur le site de la bourse. La réponse est simple pourtant. En fait le vieux port continuait par un bras de mer qui tourne à gauche en quelque sorte. J’ai mis un temps fou à le comprendre. Enfin apaisé de savoir, j’ai passé symboliquement cette entrée de la ville, dans le calme du jardin où elle se trouve. Je marchais sur les pas de Pythéas le grand géographe de Marseille antique déjà accusé par ce prétentieux d’Aristote d’être un menteur. Je m’avançais avec la superbe de Caius Trébonius, légat de César, qui pris la ville aux partisans de Pompée pendant la guerre civile en 49 avant l’ère chrétienne. On a pris la photo. Elle ne rend pas compte de l’ambiance recueillie qui m’habitait, hélas. Le pouvait-elle ?

marseille jlm

Les villes sans histoires m’échappent. Je ne les ingère pas. Si bien que je ne peux pas être tranquille tant que je ne connais pas l’histoire d’un endroit où je vis. Tout m’y ramène, parfois souvent. En tous cas, ici, ça me pique. Je suis bien content de voir la Bonne Mère le matin, quand je suis sur mon balcon quai du vieux port. Mais ça m’agace. Comme le Sacré Cœur à Paris, ce bâtiment a été édifié pour l’expiation des soi-disant péchés populaires pendant la Commune. Je n’aime pas ça du tout. Évidemment je m’apaise en pensant qu’Alger, en face, a aussi une basilique sur les hauteurs. Ces deux villes sont en miroir. Mais là-bas sur fond de faux marbre on lit « nous prions pour nos frères musulmans ». C’est quand même autre chose ! Ici c’est « Notre-Dame de la Garde ». La garde de quoi ? On imagine une bondieuserie sur le sujet. Walou ! J’ai creusé.

Le lieu s’appelait « le champ de la garde » avant la basilique. Un leg des romains. Un leg des césariens. Car, l’armé romaine resta en garnison après que la ville ait été assiégé pour avoir choisi le camp du soi-disant « grand Pompée », 49 ans avant notre ère. Pompée, c’était les patriciens, le fric, l’ordre social connu. Les patriciens Marseillais de l’époque ont choisi son camp contre celui de César dans la guerre civile. Grosse erreur. Après avoir administré une rude tannée aux importants de Marseille, la garnison romaine s’est installée sur la hauteur, histoire de créer une ambiance de travail avec ceux du bas de la colline. À présent les curés tiennent la place. Marseille, avec opportunisme, en fait son petit miel. La semaine du bac, toutes les mamies vont mettre des bougies pour le succès des petits enfants. Comme si la Bonne Mère s’intéressait aux coefficients ! Les veilles de match de l’OM : pareil. Marseille a donc ses crises de bigoterie. Mais la montagne de la Garde est haute ; surtout à pied. Trop haute ; surtout au soleil. La fierté marseillaise n’a rien à voir avec ça. Elle n’est jamais douloureuse.


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