Réchauffement climatique : La demande de pétrole va continuer à augmenter

vendredi 27 avril 2018.
 

Malgré l’accord de Paris sur le climat et la lutte contre les émissions de CO2, la consommation d’or noir devrait encore progresser d’ici à 2040.

Quelle sera la durée de vie du pétrole ? La croissance continue du secteur de la pétrochimie, qui permet notamment de produire des matières plastiques, pourrait bien soutenir, pendant longtemps encore, la demande d’or noir.

Dernier exemple en date : le 11 avril, le groupe pétrolier saoudien Aramco a annoncé un gigantesque projet de raffinage et de pétrochimie en Inde pour 44 milliards de dollars (environ 36 milliards d’euros). « La pétrochimie est le point aveugle du débat sur le pétrole », analysait début mars, devant des journalistes, Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). « Dans les cinq prochaines années, elle pourrait représenter 25 % de la demande », notait M. Birol.

LES BESOINS DE LA PÉTROCHIMIE, NOTAMMENT, SONT CLAIREMENT ORIENTÉS À LA HAUSSE

Cette prédiction du patron de l’AIE sur la pétrochimie vient renforcer une analyse partagée dans les milieux pétroliers : la demande – et donc la consommation – de pétrole va augmenter de manière significative au moins jusqu’en 2040. Et ce, en dépit de l’accord de Paris sur le climat ­visant à limiter les émissions de CO2, de l’émergence rapide du marché des véhicules électriques et de la baisse du coût des énergies renouvelables.

« Il n’y a aucun signe d’un pic de la demande », tranche Fatih Birol. Certes, d’ici à 2040, la demande de pétrole pour les voitures devrait enfin atteindre un plateau, souligne le rapport annuel de l’AIE. Le monde consomme aujourd’hui 20 millions de barils de pétrole par jour pour les véhicules individuels, et ce chiffre devrait légèrement décliner avant 2040, sous l’effet conjugué du développement des véhicules électriques et d’une plus grande efficacité énergétique des moteurs.

Mais, pour tous les autres secteurs, les perspectives sont clairement orientées à la hausse. Les besoins du transport routier pourraient passer de 15 à 19 millions de barils, ceux de l’aviation de 11 à 15,7 millions. Surtout, ceux de la pétrochimie et de l’industrie augmenteraient de 17,4 à 23,6 millions, selon les chiffres de l’AIE.

Stagnation puis déclin aux Etats-Unis, au Japon et en Europe Dans son récent scénario prospectif, le groupe britannique BP se montre plus prudent, mais avertit : même avec une interdiction totale – très hypothétique – de la vente de véhicules à essence en 2040, la consommation de ­pétrole sera tout de même largement supérieure à celle de 2017.

Aucun de ces scénarios ne permet de respecter l’accord de Paris, dans lequel la quasi-totalité des pays du monde se sont engagés à maintenir le réchauffement « bien au-dessous de 2 0C par rapport aux niveaux préindustriels ».

Dans une note intitulée « Les multiples voies vers un pic de la demande », publiée en juillet 2017, plusieurs experts du Boston Consulting Group (BCG) se révèlent un peu plus optimistes. Ils estiment que pour diminuer fortement la demande de pétrole dès 2025 – et, partant, limiter les rejets de CO2 dans l’atmosphère –, trois facteurs peuvent jouer un rôle-clé : une hausse massive et rapide de l’usage de véhicules électriques, une substitution massive du ­ pétrole par le gaz dans la pétro­chimie et, surtout, un ralentissement de la croissance économique mondiale, aujourd’hui tirée par l’Asie.

Car si les Etats-Unis, le Japon et l’Europe doivent voir leur consommation de pétrole stagner puis décliner dans les années à venir, c’est d’Inde et de Chine que viendra la demande d’hydrocarbures. « La moitié de la croissance va venir de ces deux pays », précise Fatih Birol. Mais aussi de nombreux pays en développement, qui ne se voient pas ralentir leur développement économique sous le prétexte de la lutte contre le réchauffement climatique.

« Nos pays ont besoin des hydrocarbures pour survivre », s’est défendu le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), Mohammed Barkindo, lors d’un sommet pétrolier à Houston (Texas), en mars. « Tout le monde se focalise sur les énergies fossiles, mais on devrait plutôt se concentrer sur la lutte contre les émissions de CO2 », a-t-il souligné, faisant mine d’oublier la responsabilité des producteurs de pétrole et de gaz dans les émissions de gaz à effet de serre.

« Transformation en cours »

Cette analyse est majoritaire dans les pays producteurs de pétrole, qu’il s’agisse de l’Arabie saoudite, de la Russie ou des Etats-Unis. « Il serait ridicule de défendre l’idée qu’on se sera débarrassé des énergies fossiles en 2030. Et alors ? On devra vivre comme en 1850, sans électricité ? », plaisantait récemment le « climato­sceptique » Rick Perry, le secrétaire à l’énergie de Donald Trump.

« Oui, il y a une transformation en cours, avec les énergies renouvelables et les véhicules électriques. Mais leur part de marché est extrêmement réduite », a expliqué au Monde en avril Amin Nasser, le PDG de Saudi Aramco. « Et même si cette part va augmenter, il faut prendre en compte d’autres facteurs qui vont peser sur la demande de pétrole : la croissance de la classe moyenne dans de nombreux pays, la demande pour la pétrochimie, l’aviation, le transport maritime, les poids lourds. »

Les compagnies pétrolières partagent dans l’ensemble ce constat de demande en hausse, même si elles restent précautionneuses dans l’analyse. « Certes, il est possible que la consommation de pétrole décroisse, analysait récemment Patrick Pouyanné, le PDG de Total. En 2040, je pense qu’elle sera inférieure à celle de 2018. Mais le monde consommera encore 80 ou 90 millions de barils par jour. »

D’autant que les observateurs du monde du pétrole sont plutôt préoccupés par un autre problème ces derniers mois : la baisse des investissements, due aux prix bas du pétrole ces dernières années. « Ce n’est pas la perspective d’un pic de la demande qui m’empêche de dormir la nuit, confiait il y a peu un dirigeant américain du secteur, c’est plutôt qu’on ne puisse pas pourvoir aux besoins de la ­planète en pétrole. »

Le déclin naturel des champs pétroliers existants n’est pas compensé par la mise en production de suffisamment de champs, avertit l’AIE. « Il y a un vrai problème d’investissement, observe son directeur, Fatih Birol. En plus de la hausse actuelle de la production mondiale, l’industrie pétrolière aurait besoin d’ajouter l’équivalent de la production de la mer du Nord chaque année, pour satisfaire la hausse de la demande. » Même si cela heurte les objectifs fixés par l’accord de Paris.

Nabil Wakim


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