La face cachée du socialisme (par G Bachelay, CN du PS, maire adjoint de Cléon)

jeudi 17 mai 2007.
 

« Rénovation », « re-construction », « re-fondation » : au parti socialiste, depuis la défaite, chacun s’imagine en architecte. Mais pour l’heure, des archéologues seraient plus utiles pour comprendre l’origine de nos désillusions.

Qu’il faille un leader rassembleur et sérieux, c’est entendu. Que le PS soit plus qu’une belle machine électorale, c’est souhaitable. Qu’il doive occuper tout le champ de la gauche depuis les antilibéraux jusqu’aux sociaux-démocrates, sans être l’otage des gauchistes ni la béquille des centristes, c’est recommandé. Reste le hic principal : pourquoi peine-t-il à accéder aux responsabilités depuis qu’on l’a vu à l’oeuvre ?

François Mitterrand avait mis fin à la malédiction qui condamnait son camp à briller dans l’opposition ou à gouverner par éclipses. Un an en 1924 avec le Cartel, à peine plus avec le Front populaire, trois fois cinq ans depuis 1981 : dans la capacité à durer, la tendance est à la hausse. Peut-on en dire autant de la volonté de transformer la société ?

La vérité, c’est que, depuis le tournant de 1983, chaque socialiste est un contorsionniste. Que nous ayons ou non vécu les deux ans qui l’ont précédé, nous ne nous sommes jamais remis du tournis de l’alternance : le vent chaud du changement, l’eau tiède de la pause, au final la douche froide de la rigueur.

Les avancées les plus durables du double septennat mitterrandien furent réalisées au cours des dix-huit premiers mois. Après, la gauche changea de braquet. Il faut dire que ses adversaires avaient spéculé contre la monnaie et que le FMI menaçait d’intervenir... De guerre lasse et la tête basse, la France rejoignit alors le club des nations converties au libéralisme, renonçant à l’État producteur, célébrant l’initiative privée, pratiquant la rigueur salariale et la baisse des prélèvements. On sauva le gouvernement, pas le changement. Bien sûr, pas question de tenir le langage abrupt de l’adaptation ! Ainsi naquirent « la parenthèse de la rigueur », « la société d’économie mixte » puis le « ni-ni ». Plus tard, on parla d’« ouvertures de capital » pour ne pas dire privatisations. Certes, bazarder des décennies de luttes et hypothéquer les réformes sociales sur l’autel de « la rupture avec le capitalisme » était un choix périlleux. Encore aurait-il fallu en débattre collectivement, en mesurer les effets réellement et assumer publiquement.

Mais c’est l’Europe - le maintien dans le SME - qui servit de véritable rideau de fumée pour cacher l’ampleur du revirement. Puisque la France était devenue trop petite pour le socialisme, l’Europe lui servirait d’horizon. Celle-ci serait l’Hexagone en plus grand ; et l’euro, notre franc en plus fort. Jusqu’à Maastricht, les Français qui avaient le coeur à gauche vécurent positivement cette projection et crurent sincèrement que l’Europe allait permettre de préserver notre modèle social. L’ennui, c’est que, loin de stopper la sainte trinité - libéralisation-dérégulation-précarisation -, l’Union européenne l’accéléra. Lors du référendum sur la Constitution en 2005, c’est par la gauche que le non l’emporta. Heureusement, certains l’avaient anticipé et ne l’ont pas oublié depuis.

La politique n’infléchissait plus la logique économique, l’État ne pouvait pas tout et la République ne servait plus à grand-chose ? Qu’à cela ne tienne, le PS changea de terrain. Ses propositions se firent de plus en plus sociétales et morales. Récemment, on y ajouta même une dose de régional et une ration de familial. Résultat : les catégories populaires et les couches moyennes déclassées ont déserté la gauche. On l’a vu le 21 avril 2002. Rebelote en 2007 : au premier tour, le duo Sarkozy-Le Pen a recueilli deux fois plus de suffrages des ouvriers et des employés que Ségolène Royal. Pendant que les inclus des grandes villes, la bourgeoisie d’artistes branchouilles, une partie de la jeunesse et les minorités sont devenus notre base sociale, Sarkozy fait un carton chez les salariés du périurbain et dans le monde rural en parlant travail, pouvoir d’achat, lutte contre les délocalisations et Europe qui protège.

La leçon de cette histoire, c’est que la gauche doit clarifier son rapport au réel. La mondialisation est un fait dont il faut corriger les effets. Le problème, pour un socialiste, commence quand cette contrainte ne lui apparaît plus comme une donnée extérieure à laquelle il peut opposer une politique, mais comme l’intériorisation de l’impossibilité d’agir. C’est alors que le gestionnaire tue le réformiste, que la droite consume la gauche et que les dégelées succèdent aux déroutes.

Et si on parlait enfin de tout cela au PS ?

Guillaume Bachelay est membre du conseil national du PS et maire adjoint de Cléon (76)


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