Après la défaite des présidentielles de 2007 : Intervention de Jean Luc Mélenchon au Conseil national du PS du 12 mai 2007

vendredi 18 mai 2007.
 

D’abord, je remarque qu’on n’est pas à huis clos... Cela nous cloue dans l’alternative du diable que vous connaissez : le silence serait étouffant, le débat serait déchirant. Va trouver ta voie entre les deux. Donc nous sommes tous condamnés à la litote de convenance, l’euphémisme mondain et la fraternité par précaution mutuelle.

Je vais y sacrifier d’autant plus volontiers que, parlant dans cette tradition de la gauche de notre parti, je sais que ce qui se présente, devant nous, pourrait aggraver notre cas collectif, bien sûr si la gauche venait à subir un nouveau revers, mais aggraver encore plus notre cas particulier car il n’y a pas de perspective pour la gauche du parti dans la défaite de la gauche.

Je suis d’accord pour dire que chacun doit procéder à son bilan. Pourquoi pas ?

Je vous propose un mot du mien, sur un point. Je pense avoir eu fondamentalement raison sur l’idée qu’il était absolument nécessaire que l’autre gauche s’unisse pour trouver une dynamique qui renforce toute la gauche elle-même. Je pense que leur division, leur transformation à l’état de poussière n’a servi personne.

Or ce débat, nous l’avons eu auparavant. Et il y a eu deux stratégies concurrentes. A coté du combat pour l’union de l’autre gauche d’autres considéraient comme des quasi transfuges ceux qui s’intéressaient à cette question, travaillaient en public ou dans l’ombre pour exciter des passions contraires en sorte que cette division dont je reconnais qu’elle n’avait pas besoin de beaucoup d’encouragement, s’aggrave et s’approfondisse.

Maintenant, je suis d’accord pour dire qu’il n’y a pas de bilan à gauche qui soit ou tout noir ou tout blanc. Mais si l’on veut la mesure, évitons que l’on proclame trop vite que tout est blanc si l’on ne veut pas obliger les autres à noircir. A la suite du Premier secrétaire, moi aussi j’apprécierais qu’on n’aille pas battre sa coulpe sur ma poitrine.

J’en donne un exemple, et qui est au cœur de nos débats, on dit que l’alternative à ce que nous avons fait, c’est la social-démocratie et la modernisation. A combien de camarades faut-il rappeler, et aux plus brillants et aux plus constants d’entre eux, toi, mon cher Dominique, que c’est la même chose que la discussion que nous avons eue sur le « réalisme de gauche ».Depuis, je ne crois pas que nous avons fait du bolchevisme sous le gouvernement de Lionel Jospin, ni que ce soit l’extrême gauche au pouvoir dans les vingt régions que nous dirigeons. Par conséquent, cette question a déjà été tranchée depuis longtemps par notre histoire commune. Mais je vais au-delà de l’apparence des mots, j’en suis d’accord, je veux bien aller au fond, Dominique. Je comprends ce que veut dire le mot social-démocratie, tu n’as pas envie, j’espère, de reproduire les expériences calamiteuses des social-démocraties du reste de l’Europe. Personne ici ne propose le modèle allemand de cogestion avec la droite, personne ne propose le modèle blairiste, personne ne veut du programme du parti social-démocrate danois qui propose de passer la retraite à soixante-sept ans. On ne parle pas non plus du bilan de la social-démocratie en Amérique latine.

On parle d’autre chose. Il s’agit d’un thème central. : si ce n’est pas la propriété collective des moyens de production, Que faire ? C’est un angle mort de la pensée socialiste, de toutes les branches de la pensée socialiste depuis maintenant vingt ans ou trente ans. On parle donc du compromis entre le capital et le travail. Ca, c’est une bonne discussion. Et ce compromis ne peut pas être résumé à la formule magique que nous aurions trouvée au fond d’un tiroir parce que, enfin, nous serions libérés des contraintes de l’archaïsme qui auraient pesé sur nous jusque là et qui consisterait à dire : pas de loi, vive le contrat ! Ce serait en définitive évacuer l’intérêt général, le législateur, la République elle-même au profit de la négociation de parti à parti chaque fois que se présente une difficulté. On connaît la fin. C’est le contrat de rupture par consentement mutuel, le contrat de travail proposé par la droite. C’est un contrat à quoi nous opposons la loi applicable partout. Mais on ne parle pas de ça. Moi je propose qu’on en parle. Quand nous faisons un compromis, comment est-il en lien avec l’intérêt général de la patrie, de la population et du socialisme ? Ca c’est pour les principes d’action. Mais il y a davantage en cause encore.

La question du compromis est la suivante : avec qui faisons-nous un compromis ? Le capital financier transnationalisé à qui nous donnons les moyens de marchandiser toujours plus les secteurs de production ? Ou bien est-ce que nous faisons ce compromis avec le capital productif, celui qui a besoin d’ouvriers hautement qualifiés et qui donc a besoin d’éducation nationale, qui a besoin de lois, de règles, de la monnaie diplômante émise par l’Etat, et non pas des officines particulières ? Ca, c’est une discussion concrète.

Et cette discussion nous renvoie au fond de la doctrine socialiste. C’est ce fond qu’il faut éclairer en traçant la ligne d’horizon. La droite n’a pas besoin d’une ligne d’horizon, il lui suffit du monde tel qu’il est. Elle le rectifie tantôt d’un côté, tantôt de l’autre suivant où sont ses intérêts.

Sa tactique politique, nous la connaissons, c’est d’agir pour gagner la bataille des têtes car c’est dans la tête qu’est commandé le ventre, et c’est pourquoi on voit tant de miséreux qui vont embrasser la main qui les frappe. Le but idéologique de la droite, c’est de faire que les pauvres votent comme s’ils étaient riches, depuis que la droite existe. C’est donc une bataille qui commence par la bataille culturelle, celle que recommandait Antonio Gramsci. Il est tout de même terrible de voir que c’est la droite qui cite Gramsci et qui applique ses doctrines, et nous qui parlons comme des catalogues. Pensons-nous que le programme socialiste est une espèce de catalogue para syndical de mesures toutes justes, toutes utiles, mais qui ne tracent aucun horizon, sinon la défense des acquis comme on dit. Et la défense, c’est trop court, la protection, c’est utile, mais c’est trop court.

Il faut un horizon. C’est tellement vrai que la candidate l’a immédiatement ressenti en proposant, avec un mot pour le désigner : « l’ordre juste », avec lequel je ne suis pas d’accord, je suis pour l’ordre émancipateur, mais au moins, on a une vision globale. J’avais appelé ça, avec d’autres ici, la République sociale. Nous n’y échapperons pas : il faut indiquer l’horizon vers lequel la société va et poser l’impératif de sa transformation radicale, c’est-à-dire du changement non seulement des valeurs qui sont aux postes de commande, mais des indicateurs de développement de la société. Si les indicateurs sont des indicateurs de développement humain, il en va tout autrement que si l’on essaie cette espèce de magie alchimique injouable de savoir qui du marché ou de la volonté collective a le dernier mot, à quel dosage fonctionne ce carburant.

Nous, nous connaissons notre réponse. Dominique, je t’interpelle : est-ce que, oui ou non, nous en sommes toujours, non pas à l’arbitrage entre le marché et la loi, mais à l’arbitrage entre la société d’économie mixte, où il y a un secteur public structurant qui incarne l’intérêt général, qui oriente la production, qui propose ici et là des éléments de prévision ou de planification, on appelle ça comme on veut ? Ou bien on considère que l’idéal est de libérer totalement les mécanismes du marché et de prévoir une vaste infirmerie qui l’accompagne, avec sa dose de pansements, de médicaments de toutes sortes pour réconforter les blessés et remettre en route les démolis ?

Voilà l’alternative dans laquelle nous sommes. Celle-là, c’est celle du fond. Peut-être qu’on peut converger. C’est seulement ce que je voulais dire. Ayons entre nous l’honnêteté d’accepter le débat théorique, il n’est pas nul, il n’est pas pauvre, il n’est pas abstrait. Depuis que la pensée philosophique s’est construite, elle se construit contre les sophistes, qui disqualifient ceux qui parlent pour ne pas avoir à traiter de leurs arguments. Le sophisme règne aujourd’hui en toutes circonstances, et même parfois parmi nous. Quand on dit : je ne suis pas d’accord avec l’ordre juste, je me suis entendu répondre : « Quoi ? Tu préfères le désordre injuste ? » Ca, c’est le sophisme. La pensée philosophique, elle commence par le discernement et commence par dire : la réalité n’est pas ce que nous voyons, elle est à découvrir, elle est à inventer en quelque sorte, elle est à rechercher avec l’instrument de la raison.

Donc avec l’instrument de la raison, comment pouvons-nous nous émanciper de l’obscurantisme du capitalisme ? J’en profite pour Étendre la question : et de l’obscurantisme que parfois nous-mêmes nous acceptons d’intégrer dans notre fond de doctrine. Je ne parlerai que de l’Évolution d’une certaine forme de féminine qui dorénavant compte lourd. Tous les féminismes, je vous le dis, pour moi, ne sont pas bons à prendre. Je ne suis pas d’accord quand, par exemple Benoîte Groult, Écrit dans une tribune dans « le monde » que si nous avons du mal à voter pour Ségolène Royal, c’est parce que notre cerveau reptilien d’homme nous empêche d’admettre le leadership d’une femme.

Eh bien, entre ça et le génétisme de Nicolas Sarkozy, il n’y a pas de différence. Figurez-vous que ce ne sont pas mes organes génitaux qui m’empêchent de penser comment voter librement.

Bref, acceptons la polémique sur les idées, acceptons la querelle théorique, acceptons la querelle de l’horizon parce que c’est celle qui vaut.

Hélas, chers amis, chers camarades, nous n’avons pas de modèle, nous sommes comme étaient nos pères et nos mères, fondateurs de notre mouvement dans un monde entièrement hostile, car les grandes places fortes du capitalisme n’ont aucune expression du mouvement ouvrier organisé à leur disposition. Et nous devons réinventer la gauche. Je vous le dis, je suis certain de ça : même si nous sommes enfoncés a cette heure, le monde n’en continue pas moins à secouer ses chaînes. Regardons là où il le fait. Je sais que souvent vous brocardez cette idée que l’on la caricature, mais regardons vers l’Amérique latine, où il n’y a certes pas de modèle transposable, mais il y a une énergie, il y a un souffle, il y a une audace, un culot à défier les puissances établies, avec des formes très diverses, peut-être complémentaires, parfois contradictoires, mais c’est là qu’il faut aller chercher aussi. Il faut aller mettre les doigts dans la prise, c’est-à-dire de l’énergie populaire qui, seule, est capable, par son implication, de détruire le vieux moule.


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