Si Sarkozy a été élu, c’est parce que le programme de Royal ne portait pas d’alternative claire (Par Yves SALESSE des collectifs antilibéraux)

mercredi 16 mai 2007.
 

« La France est à droite. » C’est, paraît-il, une affaire entendue. Une telle affirmation rend incompréhensible l’histoire politique et sociale de ces vingt-cinq dernières années, y compris les plus récentes. A droite, la France qui soutient massivement les grèves de 1995 ? A droite, le non à l’Europe libérale ? A droite, la France qui défend les services publics, inflige une cinglante défaite à la droite aux élections européennes et régionales, rejette le CPE ? Non. La réalité est plus complexe et instable.

Notre pays est confronté à la violence du capitalisme mondial. Presque toutes les couches sociales, frappées d’une façon ou d’une autre, sont traversées par des mouvements et des aspirations contradictoires. Il en est de même pour les individus. Ils cherchent une issue, d’un côté et de l’autre. Sarkozy a gagné essentiellement sur une promesse de volontarisme politique et d’efficacité que la gauche lui a laissée. On ne peut dire que cette promesse est de droite.

Si la France n’est pas à droite, elle pourrait le devenir. Elle le deviendra si la gauche s’avère durablement incapable d’apporter une alternative sérieuse et crédible. Là est la question centrale. Le mystificateur de Neuilly, candidat d’un Medef « enthousiaste », a attiré une partie des couches populaires grâce à la faillite de la gauche. Nous avons dit depuis longtemps que le social-libéralisme n’est pas le mieux placé pour battre la droite.

La perception de la campagne de Ségolène Royal vient de l’illustrer. Le flou du projet, les renoncements et l’insuffisance des réponses sont vite apparus. Sarkozy a un projet et des mesures. Sa cohérence a fait sa force. Et si la gauche ne défend pas sérieusement la protection sociale, assure que la puissance publique est désarmée face à la mondialisation, une partie des milieux populaires veut qu’au moins on lui promette d’être protégée de l’agresseur, voire de l’étranger. L’approfondissement de l’adaptation à la mondialisation libérale prônée à l’intérieur et à l’extérieur du PS ne résoudra pas le problème mais l’amplifiera.

La faillite de la gauche ne s’arrête évidemment pas à celle du social-libéralisme. Parce qu’il n’apporte par de réponse à la hauteur, la division de ceux qui portent une autre orientation à gauche fait des ravages. La surprise de cette élection n’aurait pas dû être Bayrou, mais la percée de cette gauche alternative. Les directions de la LCR et du PCF en ont décidé autrement.

Alors que faire ? Résister, démystifier, convaincre, construire. Organiser bien sûr la résistance aux coups qui vont tomber, avec toutes les forces disponibles. Mais cela ne peut suffire. Le désarroi exige un travail en profondeur. La mystification sarkozyste doit être démontée, y compris sur le plan idéologique. Il faut nous adresser à ceux qu’elle a ébranlés. Cela ne sera vraiment possible qu’avec la refondation d’une gauche authentique : une gauche de gauche, une gauche de transformation sociale.

Il est indispensable d’approfondir le débat sur le projet et les propositions. Nous héritons d’un siècle tragique qui a connu un double échec stratégique. Les tentatives de transformation révolutionnaire ont engendré des dictatures bureaucratiques et policières. Et les sociaux-démocrates qui prétendaient subvertir le capitalisme par une accumulation de réformes structurelles ont finalement été subvertis par lui. Ce double échec nourrit un doute qui taraude tout le monde : est-il vraiment possible de résister aux puissances financières, de construire « un autre monde » ? A ce doute on ne peut répondre en promettant « les lendemains qui chantent ».

Depuis longtemps je défends que nous devons être en mesure de proposer une politique applicable dans le monde actuel, avec ses mutations, ses dangers, ses défis. J’ai formulé des propositions précises sur l’Europe, les relations Nord-Sud, l’importance nouvelle des services publics, l’Etat. Bien d’autres travaux individuels se sont engagés sur cette voie. Mais il faut déboucher sur des propositions collectives, qui font largement accord. Nous avons, dans les collectifs unitaires, élaboré « 125 propositions » qui tiennent la comparaison avec celles des « grands » partis, mais sont insuffisantes. Ce travail programmatique doit être approfondi.

Ce travail ne prendra véritablement son sens que si apparaît une force capable de porter une telle politique de transformation, d’agir et de poursuivre la réflexion et le débat. Sans une telle force, les meilleures propositions seront incapables de créer une dynamique populaire.

Malgré les difficultés, nous devons poursuivre l’effort de regroupement de toutes les forces de la gauche de transformation sociale. Regroupement nécessaire pour que l’alternative au libéralisme devienne majoritaire dans ce pays et en Europe. La catastrophe électorale ne doit pas effacer ce qui s’est passé pendant cette campagne. Des forces existent pour poursuivre cette bataille : collectifs unitaires divers, réseaux, minorités dans le PCF, la LCR, les Verts, le PS. Sauront-elles résister au découragement et à l’éparpillement ?

Yves Salesse membre des collectifs unitaires antilibéraux. Derniers ouvrages parus : Réformes et révolution. Propositions pour une gauche de gauche (Agone, 2001) ; Manifeste pour une autre Europe (Félin, 2004).


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