Le Géant tueur fou du Brabant était un gendarme d’élite d’extrême droite

jeudi 1er mars 2018.
 

1) 28 morts pour une stratégie de tension à l’italienne

Source Radio Télévision Belge Francophone

Une théorie a fait beaucoup parler d’elle, à savoir la piste politique et la perspective d’un coup d’Etat. Dans cette optique, les ravages de la bande étaient destinés à favoriser l’installation d’un pouvoir politique fort fondé sur le renforcement de la gendarmerie et de l’armée. Les milieux d’extrême-droite ont longtemps été soupçonnés.

En mai 2014, l’instruction reprise par la juge Martine Michel avait connu un nouveau rebondissement avec l’arrestation de Jean-Marie Tinck, un suspect déjà entendu en 1997 sur base d’un portrait-robot mais qui avait alors été relaxé faute d’éléments. Le septuagénaire au lourd passé judiciaire se serait vanté d’avoir fait partie des Tueurs du Brabant. Sous le coup de neuf chefs d’inculpation, dont celui de meurtre, il a été relaxé depuis lors mais reste toujours suspect.

Trente-cinq ans après les premiers faits, les enquêteurs s’intéressent à présent à la piste de l’ancien gendarme d’Alost, Christian Bolkoffsky, décédé en 2015. Avant sa mort, celui-ci aurait confié à son frère avoir participé aux tueries. Il lui aurait aussi révélé l’implication du groupe Diane -groupe spécial d’intervention de la gendarmerie créé dans les années 1970-, dont Christian Bolkoffsky a fait partie.

A l’époque d’ailleurs, le colonel de gendarmerie Arsène Pint, l’un des fondateurs de la brigade Diane, s’était inquiété des similitudes existantes entre le modus operandi et les tactiques des tueurs lors des attaques et celles apprises au sein du groupe Diane. L’homme, qui indique ne jamais avoir connu Chris B., s’était même exclamé : "Ce ne sont quand même pas les nôtres !" Il déclare encore mercredi, dans les pages du Het Laatste Nieuws, qu’il a l’impression d’avoir créé "un gang de tueurs" et se dit "meurtri". M. Pint était inquiet à l’idée que des gendarmes aient pu tremper dans les tueries.

2) Le "Géant" était un gendarme

Plus de trente ans ont passé et le mystère demeure largement entier sur les crimes perpétrés par les « tueurs fous du Brabant », une série d’attentats au cœur des « années de plomb » en Belgique. Entre septembre 1982 et décembre 1983, puis à l’automne 1985, un commando sème la terreur, attaquant méthodiquement, avec un sang-froid glaçant mais pour des sommes souvent dérisoires – quelques dizaines de milliers d’euros, au maximum, sur les plus gros « braquages » –, des supermarchés dans la région autour de Bruxelles et laissant sur le carreau 28 victimes au total. Le « Vieux », le « Géant » et le « Tueur » : les trois figures au cœur des attaques, dont les portraits-robots ont accompagné les Belges pendant des décennies, n’ont jamais été identifiées jusqu’ici. Mais, après des montagnes de fausses pistes et de diversions, après deux commissions d’enquête parlementaire sur fond de faillite de la justice, de la police et des autorités gouvernementales, la vérité pourrait peut-être finir par apparaître, à quelques années du délai de prescription allongé pour la cause à quarante ans.

Christian Bonkoffsky aurait avoué, sur son lit de mort, être le « Géant »

La justice a recueilli, il y a quelques mois – l’information n’a filtré dans la presse belge que ces derniers jours –, le témoignage du frère d’un ancien gendarme, longtemps membre du groupe Diane, une unité d’élite spécialisée dans l’antiterrorisme et liée à la sûreté de l’État. Selon ce nouvel élément, Christian Bonkoffsky aurait avoué, il y a deux ans, sur son lit de mort, être le « Géant » recherché pour les tueries du Brabant. Depuis, alors que son nom était déjà apparu dans quelques recoins du dossier, mais sans jamais susciter l’attention outre mesure, les enquêteurs ont reconstruit l’emploi du temps dans les années 1980 du gendarme décédé. Ils considèrent à présent, d’après les journaux belges, l’hypothèse de sa participation aux cavalcades meurtrières comme plausible. Au-delà d’une ressemblance saisissante avec le portrait-robot sur les quelques clichés en circulation et sa taille (1,90 mètre) qui permet de l’assimiler au « Géant », le procureur du roi de Liège pointe le fait que, d’après les reconstructions, il a été systématiquement absent à son travail lors des attaques des « tueurs fous du Brabant ». Au lendemain de l’un des massacres, il avait envoyé à sa hiérarchie un certificat médical évoquant une blessure au pied et, lors de l’attentat suivant, à Alost, le 9 novembre 1985 (8 morts et 7 blessés), le « Géant » avait été décrit comme boitillant…

Par ailleurs, selon son frère, Bonkoffsky était ami avec deux ex-gendarmes aux profils barbouzards et néofascistes bien établis, eux, dans les différents dossiers d’instruction  : Madani Bouhouche et Robert Beijer. Au-delà du nom du « Géant », plusieurs gendarmes et ex-gendarmes apparaissent régulièrement dans tous les dossiers connexes aux massacres de ces années-là  : meurtre d’un ingénieur d’une usine de matériel militaire qui en savait trop, découverte de planques d’armes, de faux papiers destinés à la « lutte antisoviétique », etc. Décrites dans des manuels paramilitaires, les méthodes d’attaque des « tueurs fous du Brabant » frappent par leur professionnalisme  : entrée et sortie des véhicules, couverture de tous les angles dans l’attaque, tirs croisés, etc.

Pendant des années, les autorités belges, politiques et judiciaires, ont voulu écarter la piste d’une entreprise de grande ampleur de déstabilisation du pays, alors traversé par un mouvement pacifiste extrêmement puissant contre l’installation de missiles américains sous l’égide de l’Otan, afin de mettre en œuvre, comme en Italie, dans les années 1970, une « stratégie de la tension ». À chaque étape, les enquêtes se sont concentrées sur le pur et simple banditisme. La piste plus importante, la filière boraine, avec quelques malfrats de bas étage, a abouti au tribunal en 1988, mais le procès s’est fini sur un fiasco avec l’acquittement de tous les accusés.

Pourtant, Jean Deprêtre, le magistrat instructeur de l’époque, raillera des années plus tard les quelques enquêteurs qui veulent s’orienter vers la piste de l’extrême droite, bien implantée dans la gendarmerie et dans le groupe Diane en particulier, manipulée par les services secrets américains. « Un jour, on m’a donné un dossier qui partait des tueurs du Brabant pour remonter à la tentative d’assassinat contre le pape Jean-Paul II et arriver au meurtre du premier ministre suédois Olof Palme », expliquera-t-il en 1997. Dans un entretien au quotidien belge le Soir, en 2014, il défend encore sa ligne mordicus  : « Les tueurs sont des prédateurs, des gens très violents capables de tuer pour emporter la caisse d’un supermarché. »

Aujourd’hui, le faisceau d’indices conduisant, pour la première fois, à l’identification de l’un des tueurs présumés rebat toutes les cartes, et l’implacable certitude d’un juge d’instruction ne pèse plus très lourd face à l’imbrication des éléments. Explorée par de nombreux journalistes depuis les années 1980, la piste d’une organisation de barbouzes liés à l’extrême droite revient sur le devant de la scène.

L’infiltration du groupe Diane, ainsi que d’un autre service de la gendarmerie, la Brigade de surveillance et de recherche (BSR), par des groupuscules néonazis comme le Westland New Post (WNP) et le Front de la jeunesse (FJ) – deux organisations manipulées en sous-main par les représentants de l’aile très à droite, et viscéralement anticommuniste, du parti social-chrétien –, est largement établie. Reste à faire éclater la vérité, ce qui, trente ans après l’un des plus grands crimes politiques de l’histoire de la Belgique, demeure encore loin d’être gagné  !

Thomas Lemahieu, L’Humanité


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