Le processus d’Oslo est mort. Interrogations sur la stratégie palestinienne

dimanche 28 janvier 2018.
 

La décision de Donald Trump de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et de reconnaître cette ville comme capitale d’Israël ont mis en lumière l’impasse totale des accords d’Oslo. Même le président de l’Autorité palestinienne a dû le prendre en compte, en durcissant considérablement son langage. Mais il semble refuser de remettre en cause la stratégie qu’il suit depuis plus de dix ans, comme le prouve la décision de modifier les documents adoptés par le conseil central de l’OLP.

Les 14 et 15 janvier s’est déroulé à Ramallah le conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cette instance est une structure intermédiaire entre le conseil national palestinien, sorte de Parlement représentant les Palestiniens du monde entier, et le comité exécutif, qui comme son nom semble l’indiquer devrait être le pouvoir exécutif de l’OLP. En fait, il a été largement marginalisé par le gouvernement de l’Autorité palestinienne (AP) dirigé, tout comme le comité exécutif, par Mahmoud Abbas (Abou Mazen).

Le fait que le conseil se soit déroulé à Ramallah a fortement affaibli la représentativité des réfugiés, principale force d’opposition à Mahmoud Abbas. À noter aussi le refus du Hamas et du Jihad islamique de participer, comme observateurs, au conseil central, malgré l’invitation d’Abou Mazen. Il n’est pas indifférent non plus de souligner que le Hamas avait gagné les élections municipales de 2005 et les législatives de 2006 dans les territoires administrés par l’AP, mais a préféré laisser au Fatah la constitution du gouvernement… et la gestion des pourparlers avec Israël.

L’heure des comptes

Si personne ne remet en question le leadership du dernier compagnon de route de Yasser Arafat, les critiques de sa politique sont sévères et nombreuses, à la fois dans l’opposition et au sein du Fatah lui-même. Pendant les semaines qui ont précédé la rencontre de Ramallah, de nombreux militants n’ont pas mâché leurs mots sur ce qu’ils appellent l’échec stratégique d’Abou Mazen. En effet, celui-ci avait basé toute sa politique sur des négociations avec Israël sous l’égide de Washington. L’extrême droite au pouvoir en Israël et la victoire de Donald Trump ont enterré ce qui semblait avoir débuté à Oslo. Rappelons également que les accords d’Oslo datent de plus de deux décennies, c’est-à-dire un temps largement suffisant pour en reconnaître l’échec. De très nombreux militants de l’OLP, Fatah compris, tirent la leçon de cet échec, s’attaquant ainsi plus ou moins ouvertement au président Abbas. On pouvait donc s’attendre à un conseil central mouvementé.

Or, pour une fois, Abou Mazen a pris les devants, et dans une large mesure il a su ainsi les neutraliser. Dans un discours-fleuve, le président a fait le bilan de l’impasse du processus négocié d’Oslo, et annoncé sa fin. Ce n’est certes pas une nouvelle retentissante pour les délégués du conseil central, mais de la part de celui qui a passé des années dans les antichambres de la Maison Blanche à attendre des pressions américaines sur le gouvernement de Tel-Aviv, c’est nouveau, et l’aveu d’un échec stratégique.

En l’écoutant on avait le sentiment que le vieux président faisait son testament politique, et se justifiait vis-à-vis de son peuple, vis-à-vis de l’histoire : « Je n’ai jamais bradé les droits légitimes de notre peuple », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il avait même refusé beaucoup d’argent que les Américains et certains États arabes lui proposaient en échange d’un assouplissement des revendications palestiniennes.

« La gifle du siècle »

Alors qu’Abou Mazen est connu pour son langage lisse et diplomatique, il a surpris tout le monde par la dureté de ses propos. D’abord envers les États arabes qu’il a accusés d’interférence dans les affaires internes du peuple palestinien. Ensuite contre les ambassadeurs états-uniens, Nikki Haley à l’ONU et David Friedman à Tel-Aviv. Il décrit ce dernier comme « un colon qui s’oppose même au mot “occupation”. C’est une espèce de malédiction dans l’administration [etats-unienne], et je n’accepterai jamais de le rencontrer, nulle part, ni à Jérusalem, ni à Aman, ni à Washington. » Quant à Haley, « elle menace de frapper avec son talon quiconque s’en prend à Israël. Nous réagirons comme il se doit. » Mais c’est évidemment pour Donald Trump qu’il a gardé les mots les plus durs :

Nous avons dit à Trump que nous n’accepterons pas son plan. Le “deal du siècle” est devenu la gifle du siècle, et nous saurons lui rendre sa gifle. Je veux être tout à fait clair : nous n’accepterons plus le rôle d’intermédiaire qu’ont joué les États-Unis dans les négociations (…) Trump menace de couper les vivres à l’AP parce que nous aurions fait échouer les négociations ? Crève ! (littéralement en arabe : “Que ta maison s’écroule”). Quand a-t-on même commencé des négociations ?

Et puisque l’heure des comptes est arrivée, Abou Mazen s’en est également pris aux Britanniques, responsables de la « Déclaration Balfour » qui a mené à la création de l’État d’Israël et à l’expulsion d’une partie importante de la population arabe autochtone.

La coopération sécuritaire avec Israël en question

Que signifie cette toute nouvelle radicalité du président ? C’est certainement son âge avancé et la volonté d’entrer dans l’histoire comme celui qui, malgré sa modération reconnue et souvent critiquée n’aura pas accepté d’être le vassal de Donald Trump. Mais c’est aussi Jérusalem. L’annonce du président américain sur Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël et les mesures concrètes prises ces dernières semaines pour y transférer l’ambassade des États-Unis ont fait l’effet d’une déclaration de guerre. Jérusalem est la prunelle des yeux des Palestiniens, et même les plus malléables ne peuvent accepter qu’on dépossède les Palestiniens de leur capitale. L’administration Trump n’a pas voulu saisir cette évidence. Pour Mahmoud Abbas, la déclaration du président américain n’est pas seulement la violation à la fois du droit international et d’un consensus dans la communauté internationale, c’est surtout la preuve la plus accablante qu’il puisse y avoir de la fin du processus négocié sous les auspices de Washington.

Sommes-nous vraiment, comme l’affirment certains commentateurs, à un tournant historique dans les relations israélo-palestiniennes ? Majed M. (1), un délégué du Fatah au conseil central, est catégorique : « Il n’y a pas de plan B. Même si Oslo est effectivement enterré, il faudra tôt ou tard revenir à un processus négocié avec Israël. Après Trump et après Nétanyahou ». En attendant, que va faire Abbas ? « Saisir la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye et renforcer les liens avec d’autres partenaires dans la communauté internationale. »

Les délégués du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) au conseil central sont plus catégoriques. L’un d’entre eux nous a expliqué : « Si Abou Mazen était cohérent, il cesserait la coopération sécuritaire avec Israël, comme l’avait déjà décidé le conseil central précédent ». Selon le journal Al-Hayat publié à Londres, le représentant du FPLP au comité exécutif de l’OLP Omar Schéhadé aurait dit à la réunion de cette instance qui avait précédé le conseil central qu’Abbas avait sciemment refusé de mettre en œuvre la décision du conseil central précédent stipulant la fin de la coopération militaire avec Israël.

Reconstruire l’unité nationale

Si Oslo est mort, comme le dit même Abou Mazen, n’est-il pas temps de rendre les clefs et d’obliger Israël à gérer, seul, le quotidien des Palestiniens ? De prendre en charge les infrastructures, l’éducation, la santé ? C’est la question que lui posent non seulement les représentants des partis de gauche, mais aussi nombre de militants du Fatah. L’autodissolution de l’AP obligerait tôt ou tard la communauté internationale à intervenir d’une manière beaucoup plus pressante. Le résultat en serait l’internationalisation du conflit et éventuellement la convocation d’une conférence internationale qui briserait le face à face gravement inégal entre Israël et les Palestiniens.

Une telle éventualité est le cauchemar des autorités israéliennes. C’est néanmoins un cauchemar à long terme : « Trop de bureaucrates et d’hommes d’affaires palestiniens ont intérêt à poursuivre la collaboration avec Israël », affirme Majed M., pourtant militant du Fatah. Bien pire encore serait la fin de la collaboration sécuritaire, qui est pour l’État d’Israël le principal acquis des accords d’Oslo. L’existence d’une police palestinienne qui collabore étroitement avec l’armée israélienne a permis a l’État hébreu de réduire substantiellement ses troupes en Cisjordanie, et les informations fournies quotidiennement par les services de renseignement palestiniens au Shin Beit sont d’une valeur inestimable.

Or, dans son discours-fleuve au conseil central, Abou Mazen ne remet pas en question la collaboration militaire. Autant dire qu’il ne remet pas en question l’essentiel. Porter plainte devant la CIJ est certainement une bonne chose, mais, comme le commente Nassar L., un ancien cadre du FPLP de Bethléem, « ce n’est qu’en mettant fin à la collaboration sécuritaire avec Israël qu’on pourra remettre sur pied une résistance populaire et unifiée contre l’occupation israélienne. Le fait qu’Abou Mazen n’ait pas touché à cet aspect relativise grandement la portée de son discours au conseil. »

Le mot de la fin sera pour Naim J., un vieux militant communiste de Jérusalem :

Abou Mazen le reconnait, le processus d’Oslo est mort. Ce qui est urgent maintenant c’est de développer une stratégie alternative à celle qui a dominé le champ politique palestinien depuis vingt ans. C’est loin d’être une question simple, et nous avons besoin d’un véritable “grand débat national”. La précondition étant de reconstruire l’unité nationale, sans exclusive aucune. Pour le court terme, c’est le combat prioritaire.

Michel Warschawski, Journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC).

Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.

(1) Les interviewés ont requis l’anonymat.


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