Crise politique en Ukraine

mardi 10 avril 2007.
 

Assistons-nous à une réédition de la « révolution orange » ? Un nouveau bras de fer oppose « les deux Viktor » : le président ukrainien Iouchtchenko et le premier ministre Ianoukovitch, les deux protagonistes des événements de la fin 2004.

Après l’annonce présidentielle de la dissolution du Parlement, le 2 avril, la tension est montée d’un cran et des milliers de gens sont descendus dans les rues, installant même à nouveau des tentes sur la place de l’Indépendance à Kiev - cette fois, il s’agit de partisans de M. Ianoukovitch. Les déclarations du ministre de la défense donnent la mesure de la gravité de la situation : après avoir assuré publiquement le président de sa loyauté, il a démenti les nouvelles faisant état de mouvements de troupes autour de la capitale.

Le début de cette nouvelle crise remonte au 23 mars, quand sept parlementaires conduits par M. Anatoli Kinakh ont quitté le parti présidentiel « Notre Ukraine », et quatre autres la formation de Mme Ioulia Timochenko, pour rejoindre la coalition de M. Ianoukovitch. C’est la peur de nouvelles défections et la perspective de voir le gouvernement s’appuyer sur 300 parlementaires sur 450 - disposant ainsi de la majorité des deux tiers nécessaire pour modifier la Constitution - qui ont poussé le président à dissoudre le Verkhovna Rada. Une décision jugée « anticonstitutionnelle » et qualifiée de « coup d’Etat » par le premier ministre comme par le président du Parlement Olexandre Moroz, tandis que le président de la Cour constitutionnelle Ivan Dombrovski présentait, lui, sa démission.

Ces développements ont mis fin à la cohabitation instable instaurée en août dernier, dite « pacte d’unité nationale », entre un président « orange » et un premier ministre « bleu ». En fait, ni le pacte ni l’unité n’avaient jamais fonctionné, les partisans de M. Ianoukovith consacrant l’essentiel de leur temps à s’assurer des pouvoirs exécutif comme législatif tout en en y marginalisant aussi bien ceux de M. Iouchtchenko que ceux de Mme Timochenko. Ce qui risquait de contraindre rapidement « Notre Ukraine » à quitter la coalition et à entrer dans l’opposition.

On aurait tort de se satisfaire du cliché selon lequel ce bras de fer opposerait un président « pro-occidental » et un premier ministre « pro-russe ». Ce nouveau développement s’explique bien autrement.

Premièrement, le président Iouchtchenko n’a pas réussi à formuler une vision moderniste et réformiste susceptible d’unir les Ukrainiens. Il n’a pas orienté sa politique, hésitante, dans une direction claire, se contentant d’affirmer une identité enracinée à l’ouest de l’Ukraine : pression pour l’utilisation de la langue ukrainienne dans l’espace public, reconnaissance de la grande famine des années 1930 comme un « génocide », réhabilitation de la résistance ukrainienne pendant la seconde guerre mondiale, appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Autant de mesures qui ont été vécues, à l’est de l’Ukraine, comme partisanes, voire hostiles.

Deuxièmement, les différentes composantes de l’élite politique se sont montrées incapables de coopérer entre elles et de passer des compromis. Après la « révolution orange », les représentants des régions orientales, qui venaient pourtant du cœur industriel du pays, ont été écartés du pouvoir. Puis, les combats fratricides entre les amis de M. Iouchtchenko et de Mme Timochenko ont débouché sur l’éviction de cette dernière du poste de premier ministre. Quant au « gouvernement de coalition » formé l’été dernier, il symbolisait surtout le retour des « gens de l’est » décidés à débusquer leurs adversaires de l’ouest. Bref, l’Ukraine est plus divisée que jamais.

C’est pourquoi - troisième élément - le pays a plus que jamais besoin d’une formule qui respecte les spécificités et les différences régionales tout en mettant en place des institutions qui fonctionnent. C’est ce qui manque aujourd’hui, et qui ne va pas apparaître miraculeusement. Mais il importe de travailler dans ce sens si les Ukrainiens ne veulent pas voir leur pays tomber dans la catégorie des « pays faillis ».

Que des élections législatives aient lieu le 27 mai ou que les événements prennent une autre tournure, l’Ukraine se trouve dans une situation de double pouvoir, comme la Serbie, le Kirghizstan ou de Liban - des pays où des « révolutions non-violentes » du même genre ont conduit à une paralysie institutionnelle comparable.

Ce qui vient de se passer n’est donc qu’un nouveau chapitre dans une longue suite d’événements. Reste à espérer que la crise puisse être surmontée par des négociations, sans quoi elle pourrait devenir incontrôlable...

Vicken Cheterian


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