La France d’Emmanuel Macron capitule devant les paradis fiscaux et pire, elle les imite

lundi 20 novembre 2017.
 

Les Paradise Papers, les Panama Papers qui les ont précédés, ainsi que les Bahamas Leaks, Foot Leaks, Lux Leaks, Swiss Leaks et autres Offshore Leaks, nous interdisent désormais de douter du caractère systémique du recours aux paradis fiscaux de la part des particuliers fortunés et des grandes entreprises afin de contourner les contraintes fiscales et juridiques des États traditionnels.

Face à ce phénomène, les autorités publiques françaises ont clairement choisi le mois dernier de capituler. Plutôt que de faire la lutte aux paradis fiscaux, voici la France qui les imite. Ses arguments résonnent aujourd’hui tel un aveu d’échec, ou de complicité : l’État a soustrait de l’impôt sur la fortune les gains en capitaux pour éviter que ceux-ci n’aillent ou ne restent à "l’étranger", a déclaré le Premier ministre Édouard Philippe, en n’osant pas traiter explicitement des législations offshore et de la logique de dumping fiscal qu’ils entraînent dans le monde. Même position en ce qui regarde les bénéfices des entreprises, cette fois de la part du ministre des Finances, Bruno Le Maire : c’est au nom de la "concurrence fiscale" que l’impôt sur les sociétés passera en France de 33,3% à 25% d’ici 2022. Lire : les autorités publiques s’inspirent des pratiques de ces paradis fiscaux plutôt que de faire la lutte aux abus législatifs qu’ils commettent.

Les paradis fiscaux abusent de leurs prérogatives. Ils légifèrent sur la façon dont un capital généré à l’extérieur de leur territoire sera administré, s’ingérant donc dans les affaires de tous les États concernés.

Le raisonnement est vicié. Il soumet ces choix politiques à l’idée que les paradis fiscaux constituent des souverainetés politiques dont les décisions ne sauraient, en droit international, faire l’objet d’ingérence de la part d’autres États. On fait comme si le Luxembourg, Singapour, l’île Jersey et le Panama légiféraient en matière économique et fiscale en fonction d’enjeux concernant les opérations ayant cours sur leur seul territoire. Or, c’est plutôt l’inverse qu’on est à même de constater : les paradis fiscaux abusent de leurs prérogatives. Ils légifèrent sur la façon dont un capital généré à l’extérieur de leur territoire sera administré, s’ingérant donc dans les affaires de tous les États concernés. En qualifiant d’"abus" législatif les modalités fiscales prévues dans les paradis fiscaux lorsqu’elle s’en est prise aux politiques complaisantes de l’Irlande envers une société telle qu’Apple, Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, a montré l’an dernier qu’on pouvait emprunter une tout autre voie, à la condition d’établir le bon diagnostic.

La France, elle, fait preuve de restriction mentale, alors qu’il lui faudrait à son tour contester de manière diplomatique, politique et commerciale les législations de complaisance comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, les Bahamas, le Lichtenstein ou les îles Marshall. À quel titre ? Ces législations, le plus souvent, spécifient dans leur droit que les actifs canalisés chez eux feront l’objet d’avantages prodigieux à la condition de ne concerner en rien leur économie réelle. On crée donc dans ces paradis fiscaux des entités de droit telles que les "Exempted companies", "International Companies", "Trusts", "Special Purpose Vehicle" et autres prétendues "fondations caritatives" qui ne regardent aucune activité dans l’État qui les rendent possibles, tout en se révélant hors de portée des institutions publiques des pays concernées par le capital qu’elles administrent.

La France fait preuve de restriction mentale, alors qu’il lui faudrait contester de manière diplomatique, politique et commerciale les législations de complaisance.

Ces législations outrancières permettent à l’oligarchie financière et industrielle mondiale de canaliser des milliers de milliards de dollars dans des régimes anomiques, ce qui a pour conséquence de déstabiliser l’ordre économique mondial, tout en rendant absurdes des données officielles, lesquelles présentent par exemple l’île Jersey comme un grand exportateur de bananes ou les îles Vierges britanniques comme un partenaire commercial d’envergure de la Chine. Plutôt que de faire la lutte au phénomène, des grandes puissances comme la France se plient au jeu comme si ce dernier était sensé. Voici donc qu’il faudrait réduire l’impôt sur le revenu des entreprises de plusieurs points, à l’instar du Royaume-Uni, de la Suède, du Danemark, de la Finlande et de l’Allemagne, sans parler de celui anormalement bas des pays d’Europe de l’Est, parce qu’eux-mêmes plaident la concurrence fiscale avec la Barbade, la Suisse et Hong Kong.

Ces législations outrancières ont pour conséquence de déstabiliser l’ordre économique mondial.

Cette concurrence fiscale coûte chère socialement aux différents peuples concernés, et on comprend ces jours-ci pourquoi. Les fonds délocalisés dans les paradis fiscaux n’entraînent pas seulement des pertes sèches dans les différents trésors publics parce qu’ils ne sont pas imposés, mais ils créent également un phénomène mondial de dumping. Des émules parmi les principaux dirigeants politiques mondiaux, en France maintenant, procèdent en effet à la réduction des taux d’imposition du capital et de ses revenus dans leurs différents régimes d’impôts. Ces coûts se mesurent cruellement, notamment en pertes draconiennes de services et de programmes sociaux, sans parler de la dette publique qui croît de ce fait, ni de la tarification qui s’ajoute auprès de ceux qui tentent de se prévaloir des services publics qu’on n’a pas encore supprimés.

La concurrence fiscale derrière laquelle on se dissimule n’est surtout pas le fait d’une malédiction et d’une évolution naturelle de l’histoire. Elle est au contraire le résultat de politiques ultralibérales qu’on nous vante avec empressement, d’une part, malgré une communication dissonante qui consiste à nous les présenter, d’autre part, comme les causes et les raisons de toutes nos souffrances collectives.


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