Ordonnances Travail : la division syndicale contre la lutte sociale ?

mercredi 1er novembre 2017.
 

Je veux insister sur le fil conducteur qu’a été une nouvelle fois, pendant tout ce temps, la relation à la lutte sociale. Présents aux côtés de Philippe Christmann condamné à 17 000 € pour avoir jeté des confettis au siège patronal du bâtiment et rejugé en appel à l’initiative du parquet pour le faire condamner à de la prison ferme, nous connaissons le prix de la lutte. Les gouvernements de Valls et de Cazeneuve ont eu la main lourde sur les manifestants et pour criminaliser l’action syndicale ou écologiste. À présent, l’équipe Macron n’a plus qu’à mettre ses pieds dans les brodequins cloutés que ses prédécesseurs ont assouplis. Nous ne perdons donc jamais de vue la nécessité de toujours mener les actions dans le cadre le plus large et avec la plus grande cohésion possible pour éviter la marginalisation qui ne peut profiter qu’à nos adversaires.

C’est avec cet état d’esprit que j’ai conclu la marche du 23 septembre. Toute notre équipe était consciente du piège que pouvait constituer l’opposition permanente que mettaient en scène les médias entre la France insoumise et le mouvement syndical ! J’ai donc été chargé de proposer aux syndicats de prendre la tête de la lutte en assurant d’avance que nous serions derrière eux. J’avais proposé l’idée d’une grande marche sur les Champs-Élysées. Le bilan depuis cette date n’est pas bon. Les syndicats se sont réunis pour rien, une nouvelle journée d’action a été annoncée sans concertation pour le 19 octobre et son succès a été aussi mitigé que les conditions de la convocation… J’ai dit franchement ce que j’en pensais, par écrit sur ce blog, puis oralement sur le plateau de TF1. Il ne peut être question pour nous d’agir autrement qu’a découvert. C’est notre devoir de dire ouvertement ce que nous croyons bon pour tous. Depuis la première heure du combat nous sommes irréprochables sur les bancs de l’Assemblée nationale comme dans la rue. Nous n’avons guère été encouragés et ce fut même parfois le contraire. Dans ces conditions, ce serait nous rendre suspects et incompréhensibles que de faire comme si de rien n’était.

Nous étions prêts à jeter toutes nos forces dans une bataille d’ensemble. Non seulement on ne nous a rien demandé ni proposé mais nous avons été rabroués. Ce n’est pas le plus important, même si cela compte. L’essentiel est de voir où nous avons été conduits par ceux qui revendiquaient la conduite exclusive de l’action. Nous ne sommes pas satisfaits de ce qui se passe. Et nous sommes consternés de voir cent ans de compromis social, concentrés dans le code du travail, perdus en quelques semaines d’un combat mené de façon aussi inefficace. La réplique en anglais faite à ma remarque par Jean-Claude Mailly aggrave le diagnostic. Sans rien proposer, il se sera contenté de me critiquer. Les sempiternels renvois à la charte d’Amiens du syndicalisme français en 1905 ne peuvent servir d’argument pour justifier un tel acharnement à vouloir séparer le mouvement social et le mouvement politique de masse que nous sommes. Mais s’il doit servir d’argument alors ce sera avec le sourire.

Car la charte d’Amiens proclame en effet la séparation du syndicat d’avec les « sectes socialistes » que représentait la division en cinq partis du mouvement socialiste naissant. Le motif de cette séparation était qu’il fallait « préserver l’unité de la classe ouvrière » pour qu’elle puisse faire « la grève générale révolutionnaire » ! À moins que quelqu’un soit en train de préparer une grève générale révolutionnaire, ce dont je doute, on voit que la vocation de la charte d’Amiens est un pur prétexte pour une stratégie politique d’isolement du mouvement social permettant qu’il reste sous la houlette de gens qui refusent de s’unir même pour l’essentiel.

J’ai l’impression que Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT en vient à partager ce diagnostic. Il était ce vendredi au Passage d’Agen dans Lot-et-Garonne, au congrès de l’union départementale de la CGT du Lot-et-Garonne. Il y a publiquement regretté la division syndicale « qui pèse fortement sur la mobilisation » contre les ordonnances réformant le droit du travail tout en constatant : « Il y a encore des gens qui sont mobilisés contre la loi travail… ça ne s’est pas forcément vu dans la rue hier (jeudi) parce qu’il y a besoin aujourd’hui que l’ensemble des syndicats qui contestent les ordonnances s’unissent », et « cette division syndicale pèse fortement sur la mobilisation ». Quant à la réunion intersyndicale prévue pour le 24 octobre, le secrétaire général de la CGT espère qu’elle débouchera « sur une proposition de journée d’action qui conjugue public, privé, jeunes, moins jeunes et qu’on puisse aller vers une journée nationale interprofessionnelle unitaire ». Son point de vue est encore plus proche du notre quand il pointe du doigt la possibilité d’une convergence des colères et des luttes en déclarant : « On parle beaucoup des ordonnances mais il y a aussi la CSG pour les retraités, la sélection à l’entrée de l’université pour la jeunesse (…), la baisse de l’impôt sur la fortune qui va favoriser les plus riches. Il est temps de mettre un gros coup de semonce ».

Le site France 3 local note après cela : « Interrogé sur les frictions internes à la CGT quant aux modes d’action à adopter, Philippe Martinez a répondu : « Qu’il y ait de l’impatience, c’est une très bonne chose. Moi, je veux des militants qui aient envie d’en découdre mais on ne peut pas avoir des actions où il y en a quelques-uns qui bougent et les autres qui les regardent au balcon ». Puis, sans que l’on comprenne pourquoi, il en vient à critiquer notre idée de grande marche nationale. « Le secrétaire général de la CGT confirme : « Une manifestation de 500.000 personnes c’est bien, mais ça fait du monde qui regarde. Il vaut mieux 60% d’arrêts de travail dans toutes les entreprises. Ça inquiète beaucoup plus le patronat et le gouvernement ». » Est-ce une fin de non-recevoir ? Nous allons le savoir bientôt sans doute.

Mais dans l’intervalle, il faut bien comprendre qu’au total il est impossible d’organiser une résistance de masse et collective dans de telles conditions. Impossible d’adosser une rébellion des jeunes sans aucun point d’appui dans le calendrier. Tout frémit, rien ne bout. La débandade n’est plus loin. Les fédérations syndicales des métiers les plus cruciaux pour l’économie négocient une par une le retour au principe de faveur contre l’accord de branche et celui d’entreprise. Routiers, dockers, pétroliers tirent leur épingle du jeu. Qui pourrait le leur reprocher quand rien de collectif n’est proposé ? Les métiers les plus exposés à la surexploitation et à la souffrance au travail n’auront qu’à se débrouiller entreprise par entreprise.

Pour autant, nous ne resterons pas l’arme au pied. Le tract contre le coup d’État social qui explique le contenu des ordonnances continue à être diffusé. Trois millions d’exemplaires, bientôt quatre auront été distribués. Je ne prétends pas que ce soit autre chose qu’un travail sérieux de conscientisation. Il est donc utile et portera ses fruits à un moment ou un autre. Mais notre responsabilité de principale force politique populaire liée au mouvement ouvrier nous oblige à réfléchir sérieusement à ce qui vient de se passer. C’est notre devoir de dire tout haut ce que nous en pensons ! Il y va du lien précieux pour nous de notre crédibilité aux yeux du grand nombre. Aucune complicité ou proximité ne doit nous conduire à partager la responsabilité d’une stratégie dont on nous a dit qu’elle serait meilleure si nous ne nous mêlions pas de sa conduite. Et il nous revient aussi de tracer des pistes pour qu’il en aille autrement dans l’avenir le plus proche.


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