Le programme de Corbyn, une rupture en profondeur avec l’hégémonie néolibérale

jeudi 28 septembre 2017.
 

Les politiques proposées par Jeremy Corbyn attaquent résolument la répartition déséquilibrée entre le capital et le travail.

Les conservateurs s’en pourléchaient les babines d’avance, il y a quelques semaines. Une fois le programme du Labour de Jeremy Corbyn connu à la mi-mai, eux qui étaient largement en tête dans les enquêtes d’opinion (autour de 45-48 %, contre 24-26 % pour les travaillistes), ils allaient ramasser la mise en brocardant son «  irréalisme  » ou sa «  ringardise  ». Mais rien ne s’est passé comme ils l’attendaient  : à partir de la publication du document de 128 pages, intitulé «  For the many, not the few  » (Pour le plus grand nombre, pas quelques-uns), le Labour a entamé sa spectaculaire remontée dans les sondages, jusqu’à souffler sur la nuque des tories  : une enquête donne même les travaillistes (39 %) à 1 point derrière les conservateurs (40 %). Signe que, quoi qu’il arrive ce jeudi, l’hégémonie néolibérale a du plomb dans l’aile au sein du Parti travailliste, cette formation qui a inspiré ces dernières décennies tant de conversions aux lois du marché dans la social-démocratie européenne, et dans toute la société britannique…

Pour le privé, le salaire minimum horaire passerait de 8,50 à 11,50 euros

En rupture avec l’austérité blairiste ou conservatrice, le Parti travailliste a, sous l’impulsion de Jeremy Corbyn, réussi le tour de force de substituer, dans les débats, au mantra de Theresa May – le «  Brexit dur  » – la plupart de ses mesures phares en matière économique ou sociale, comme la propriété publique sous contrôle des usagers et des agents des services essentiels privatisés (poste, rail, eau) et encore une augmentation générale des salaires des fonctionnaires gelés depuis des années et, pour le secteur privé, le passage du salaire minimum horaire de 8,50 à 11,50 euros.

Pour l’énergie, les travaillistes qui ont par ailleurs avec Corbyn intégré une série de convictions environnementales – ils prévoient d’interdire l’extraction des gaz de schiste –, comptent sortir des logiques de profit qui conduisent à des hausses de tarifs et au report des investissements indispensables  : les entreprises pourraient, en cas de victoire, être gérées «  démocratiquement  » à l’échelle des régions. Après ce qui a été décrit par la Croix-Rouge comme une «  crise humanitaire  » en janvier dernier, après la mort, faute de lits, de plusieurs patients dans les couloirs des hôpitaux, le système de santé britannique figure en bonne place dans le programme  : les travaillistes entendent graver dans le marbre les moyens nécessaires à son bon fonctionnement et revenir sur la privatisation rampante des soins. Le Labour veut supprimer les contrats zéro heure, qui condamnent les précaires à une subordination totale par rapport à leurs patrons et, d’une manière plus générale, il entend garantir les droits sociaux et syndicaux des travailleurs mis à mal continuellement depuis le triomphe de Margaret Thatcher. Dans plusieurs secteurs (éducation, dépendance, handicap, formation professionnelle, mais aussi logement), il entend investir massivement et garantir un accès gratuit aux services essentiels. Les travaillistes s’engagent à construire 100 000 logements sociaux et à mettre en œuvre un contrôle des loyers. Les frais d’inscription à l’université seraient annulés, alors que les étudiants s’endettent sur plusieurs années pour achever leurs parcours dans l’enseignement supérieur.

Pour financer ces mesures, selon John McDonnell, un très proche de Corbyn, ministre des Finances de son gouvernement fantôme, responsable du programme économique du Labour, il suffit, à rebours des cadeaux des conservateurs au capital financier, que seuls les 5 % les plus riches contribuent à la mesure de leurs fortunes. Avec eux, la redistribution des richesses passe à travers une série d’impôts et taxes visant les multinationales (taxe dite «  Robin des Bois  ») et les grandes fortunes (impôt sur les «  gros bonnets  »). Dans le même esprit, le Parti travailliste refuse le grand dessein de Theresa May pour le Royaume-Uni post-Brexit. Pas question de jouer la concurrence fiscale  : l’impôt sur les sociétés serait ainsi remonté au taux de 26 % (contre 19 % aujourd’hui). Toutes ces recettes nouvelles pourront servir, au-delà du financement des services publics remis en selle, à abonder une nouvelle banque publique d’investissement qui garantirait «  l’accès au crédit pour les petites entreprises, les coopératives et les projets innovants  ».

Thomas Lemahieu, L’Humanité, Rubrique Monde


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