L’impasse coréenne et la menace nucléaire (Pierre Rousset)

mercredi 20 septembre 2017.
 

La Guerre de Corée (1950-1953) n’a jamais été soldée par un traité de paix. La plaie s’est aujourd’hui ravivée avec des implications profondes pour toute la région et pour le monde. Le bras de fer entre Washington et Pyongyang rend aujourd’hui la situation instable et l’avenir aléatoire.

La spirale conflictuelle en cours n’avait rien d’inéluctable. Il aurait suffi, pour faire baisser les tensions dans la péninsule, que les Etats-Unis suspendent les grandes manœuvres militaires engagées avec la Corée du Sud contre la Corée du Nord – ou que Pyongyang réponde favorablement aux offres de dialogue du nouveau président sud-coréen Moon Jae-in présentées dès sa récente élection.

Ce que veut Kim Jong-un. Il veut assurer la survie du régime face à un environnement international très hostile et veut forcer pour cela la signature par les USA d’un traité de paix en bonne et due forme – celui qui n’a jamais été signé après l’armistice de 1953 – et qui reconnaisse la Corée du Nord comme un Etat nucléaire. Vu le sort infligé à l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Khadafi, Kim est convaincu que la possession d’un tel arsenal est, à terme, une garantie indispensable d’indépendance, sachant que la « protection » chinoise s’avère, à l’avenir, aléatoire.

Pyongyang fait régulièrement savoir que l’abandon de son programme nucléaire est envisageable au cas où les Etats-Unis mettraient fin aux hostilités (ce que les grands médias occidentaux ne mentionnent presque jamais). C’était la position nord-coréenne lors des négociations diplomatiques des années 1990 ou 2000. On peut cependant douter qu’aujourd’hui, vu les progrès réalisés en ce domaine, le régime soit prêt à ce faire, sans du moins obtenir des garanties considérables impliquant, par exemple, la dénucléarisation de la péninsule coréenne tout entière et des environs.

La place accordée à l’armement nucléaire est une « marque de fabrique » de Kim Jong-un. Il a en effet radicalement modifié la politique menée avant lui par son père et son grand-père sur de deux axes : d’une part, en accélérant brutalement ce programme (multiplication des tests et des tirs, augmentation de la portée des engins balistiques, miniaturisation et constructions d’ogives en nombre, recherches sur la bombe à hydrogène …) et, d’autre part, en permettant la libéralisation partielle d’une économie de marché afin de stabiliser la situation sociale interne qui reste très fragile.

Sa politique est « rationnelle », comme le soulignent bien des experts, mais elle n’en a pas moins des conséquences très graves : relance de la course aux armements, montée du militarisme dans la région (au Japon en particulier), coup d’arrêt porté à l’ouverture initiée en Corée du Sud après le renversement de la droite revancharde. Le nouveau président, Moon Jae-in, appartient à une tradition politique qui accorde une grande importance à la question nationale, à la réunification du pays, et donc à une ouverture en direction de Pyongyang. Ses offres de dialogue n’étaient probablement pas factices.

Cependant, Kim Jong-un ne veut négocier qu’avec les Etats-Unis et traite en quantité négligeable le président Moon. Dans ces conditions, ce dernier se croit aujourd’hui forcé d’accepter le renforcement de la présence militaire US dans son pays et le déploiement de nouvelles batteries de missiles antimissiles Thaad, ce qu’il refusait au lendemain de son élection.

Ce que veut Donald Trump. Il veut tout d’abord ce que veut l’establishement démocrate comme républicain : ne pas reconnaître la Corée du Nord. Les progrès diplomatiques initiés dans les années 1990 sous Bill Clinton ont été sabordés par George Bush junior (qui a placé Pyongyang dans « l’axe du mal ») et Barak Obama qui a poursuivi la même politique.

Le contexte présent renforce cette posture agressive. L’état légal de guerre dans la péninsule (de non-paix) permet de maintenir les bases militaires US en Corée du Sud, voire de les renforcer. Aux yeux de Washington, cet enjeu stratégique est particulièrement important alors qu’en mer de Chine du Sud, l’hégémonie chinoise se renforce : l’hégémonie US doit d’autant plus s’affirmer avec force dans le Pacifique Nord.

Rappelons que les missiles Thaad implantés en Corée du Sud ont une portée opérationnelle qui couvre une grande partie du territoire chinois et pas simplement la Corée du Nord – ce qui suscite beaucoup d’inquiétude à Pékin, car cela neutralise pour une bonne part leur propre arsenal nucléaire… De fait, à l’occasion de la crise coréenne, Trump veut faire pression sur Pékin pour des raisons d’ordre général : la grande puissance établie (à savoir les Etats-Unis) ne voit pas d’un bon œil le déploiement international de la jeune puissance montante (la Chine).

Donald Trump et le haut commandement des forces armées veulent en plus obtenir une augmentation considérable du budget militaire, ce qui est loin d’être acquis – un « climat de guerre » est un argument de poids dans les négociations au Congrès US. Il souhaite aussi faire oublier la situation désastreuse qui est la sienne sur le plan interne (scandales, impopularité croissante…).

Jugé trop imprévisible, ce macho invétéré voudra-t-il un jour donner consistance à sa rhétorique vengeresse et à ses annonces apocalyptiques, quitte à créer l’incident qui déclenche une réaction en chaine, incontrôlable ?

Le tout constitue un cocktail redoutable qui inquiète jusqu’aux plus proches alliés internationaux des Etats-Unis.

Autre facteur potentiel d’instabilité, l’évolution de la situation en Corée du Nord. Jusqu’à maintenant, les sanctions économiques internationales n’ont pas atteint leurs objectifs. Le régime a des moyens de les contourner (bien qu’à un coût financier notable) et il peut compter sur le nationalisme de la population qui n’a pas oublié à quel point le pays a été littéralement réduit en poussière par les bombardements US dans les années 50. Le régime a tenu jusqu’à maintenant et purge sans état d’âme tout dirigeant nord-coréen susceptible d’apparaître comme une alternative à Kim Jong-un. Si cependant des fissurent apparaissent demain dans l’appareil du parti-Etat, quelles en seront les conséquences ?

La course aux armements nucléaires

La responsabilité historique des Etats-Unis dans l’état de crise présent ne fait aucun doute. Cependant, le régime nord-coréen est lui-même devenu un facteur actif de militarisation dans le Pacifique Nord – et au-delà. Or, toute confrontation militaire dans cette partie du monde, même « accidentelle », peut devenir nucléaire.

La course aux armements nucléaires s’élargit. Les Etats-Unis, la France… cherchent à créer les conditions politiques d’utilisation effective de bombes prétendument « tactiques ». La mise au point de « boucliers » antimissiles par les Etats-Unis (peu testés) pousse la Russie à maintenir à un niveau très élevé son arsenal et la Chine à l’augmenter. Le parc d’ogives chinois est en effet réduit ; il était jugé suffisant dans la conjoncture passée, mais plus maintenant : il doit être modernisé, augmenté et dispersé dans les océans, grâce à une flotte de sous-marins stratégiques dont Moscou est doté, mais pas encore Pékin.

Le Traité de non-prolifération nucléaire est caduc.

Il est dramatique, dans ces conditions, qu’il n’y ait en France aucun mouvement significatif pour le désarmement nucléaire et contre la politique gouvernementale (de tous les gouvernements) en ce domaine.

Pierre Rousset


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