Muriel Pénicaud, les emplois aidés et le désert social

jeudi 21 septembre 2017.
 

Cela a été une exécution en règle. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, y avait mis son esprit d’escalier et tout le tranchant mépris : « Premièrement, les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation. Deuxièmement, ils ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage. Troisièmement, ils ne sont pas un tremplin pour l’insertion professionnelle. » Trois mensonges en une phrase. Premièrement un « emploi aidé » coûte 7000 € au Trésor public, tandis que l’un quelconque des emplois « créés ou conservés » par le CICE coûte 300 000 € ! Deuxièmement, supprimer 260 000 emplois, même « aidés », n’est pas une mesure efficace de lutte contre le chômage. De leur côté les services du ministère du travail affirmaient il y a peu : « ils sont un des outils les plus efficace pour diminuer le chômage à court terme ». Troisièmement les « emplois aidés » supprimés ne créent pour autant aucun tremplin pour l’insertion professionnelle des personnes en grande difficulté qui les occupaient.

Les phrases à l’emporte-pièce de Muriel Pénicaud étaient destinées à effacer l’impression terrible que la lecture des chiffres donnait. La suppression des emplois aidés est en effet le plus grand plan de licenciement collectif jamais vu dans l’histoire de notre pays. La première année, en 2017, il s’agit de 150 000 emplois supprimés. La seconde année, en 2018, il s’agit de 110 000 emplois supplémentaires qui seront détruits. Au total il s’agit de 260 000 emplois en moins ! C’est-à-dire l’équivalent des deux tiers de toutes les destructions d’emplois après la crise financière de 2008 ! Personne n’est en état de dire quel sera l’impact sur l’économie du pays d’un tel plan de licenciement. Mais on devine assez facilement quel effet de réduction de l’activité ces destructions d’emplois vont provoquer. 260 000 personnes jetées dans l’inconnu et la peur du lendemain, privées de revenus, c’est évidemment autant de gens qui consomment beaucoup moins et ne peuvent plus payer leurs charges ordinaires de loyer, électricité, carburant, nourriture.

Tenons compte ensuite du fait que ce choc va venir amplifier celui que va provoquer la perte de revenus occasionnés par le gel du point d’indice des fonctionnaires, l’augmentation de la CSG, la réduction d’un minima social comme les cinq euros sur l’APL ! Mais il ne faut surtout pas oublier l’impact sur la vie quotidienne en général de toutes ces suppressions d’emplois. Elles vont se traduire par une propagation des désordres et des abandons tout à fait spectaculaires. Voyez par exemple comment la première mesure résultant de cette décision a été l’annonce par le resto du cœur de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de servir dorénavant des repas chauds !

Dans l’Éducation nationale, il s’agit de 20 000 postes de travail supprimés ! Tout le monde sait à présent que cela veut dire moins de postes d’accompagnement d’élèves en situation de handicap, moins d’animateurs pour les activités périscolaires, de surveillants, d’aide administrative et ainsi de suite… Dès la rentrée scolaire le chaos s’est installé. À la Réunion, les trois-quarts des communes ont dû repousser de 4 jours la rentrée par manque de personnel et des craintes sur la sécurité pour les élèves. Selon l’AMF, la situation est particulièrement « catastrophique » dans les départements ruraux comme la Meurthe-et-Moselle, le Gard, la Gironde et l’Ardèche. On peut déjà multiplier les exemples locaux où l’on aura vu des situations devenir ingérables du fait de la destruction de ces postes de travail.

Il ne s’agit pas ici de faire une description idyllique et nostalgique de ces « emplois aidés » dont on voyait bien les limites. Mais elles ne sont pas là où les situe Madame Pénicaud ! Les « emplois aidés » les plus efficaces que l’on ait connus ont été ceux créés par le gouvernement de Lionel Jospin. En effet, ils étaient garanti pour cinq ans, tandis que les « emplois aidés » n’allaient que sur un an, ils étaient payés au SMIC et assortis d’une formation obligatoire. Dans ces conditions, 80% de ces « emplois jeunes » ont débouché sur un CDI ou une embauche par concours dans la fonction publique. On connaît aussi les effets d’aubaine que ces « emplois aidés » pouvaient également occasionner. Il va de soi que la principale revendication à leur sujet pour favoriser réellement un débouché sur l’emploi en CDI, c’était évidemment de favoriser les contrats longs qui permettent d’organiser sa vie et ses projets, et de garantir réellement une formation professionnelle qualifiante. Mais aucune de ces critiques ne permet de dire ensuite qu’il est préférable de ne plus avoir « d’emplois aidés » !

On notera que, jusqu’à ce jour, ceux qui ont multiplié les emplois précaires avaient toujours eu pour argument « c’est mieux que rien ». Dorénavant il semble que « rien » devienne la norme. Or il faut savoir que le plan de suppression des « employés » frappe les chômeurs les plus précaires et les plus éloignés de l’emploi. Cela représentait 90% de ces contrats. Le plus souvent, ils permettaient de maintenir à flot des systèmes et des interventions déjà en limite de flottaison du fait du manque de moyens humains. Il s’agit des associations et de très nombreux services publics. Ceux-là représentent les 3/5ème du recours aux « contrats aidés ».

Au total, donc, cette mesure est un désastre humain, économique et pour la vie sociale ! C’est là un de ces « coups de rabot budgétaire » stupides, imaginé de façon purement technocratique, que des énergumènes illuminés par l’idéologie libérale trouvent très saine parce qu’ils pensent que moins il y a d’intervention publique, plus la société va générer spontanément des services privés ! Bientôt on va voir s’écrouler partout autour de soi les derniers filets de sécurité de protection qui continuaient à maintenir vaille que vaille une certaine cohérence de la vie quotidienne en société. Dès lors, la paupérisation va connaître une accélération, de tous ceux qui la transforment aussi en marginalisation et relégation !

Jusqu’à quel point et pendant combien de temps cela sera-t-il supporté ? On ne peut jamais répondre à une telle question. On ne sait quand un système qui se trouve dans une phase sur-critique va voir se déclencher une avalanche. Mais on est certain qu’elle aura lieu et que son amplitude peut être très grande. En toute hypothèse, partout où reculent les services publics, on ne voit jamais de services privés les remplacer. Le recul de l’État et des collectivités ne laisse derrière lui que des déserts. Désert social, désert culturel, désert médical et ainsi de suite. L’histoire montre que les populations y répondent par des initiatives d’auto-organisation destinées à leur garantir ce minimum sans lequel la vie est tout simplement impossible. Tout en menant avec vigueur la bataille contre la destruction des « emplois aidés », nous serons vigilants et inventifs pour participer au remaillage spontané que les délaissés, les oubliés, les abandonnés vont entreprendre.


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