Éducation : L’École selon J.M. Blanquer

mardi 5 septembre 2017.
 

Jean-Michel Blanquer ministre de l’Education nationale depuis quelques mois a d’ores et déjà dû – rentrée oblige - annoncer quelques mesures concrètes pour l’année à venir : restauration des classes bi-langues et des heures de latin-grec, « stupidement supprimées » par le gouvernement précédent ; remise en cause des rythmes scolaires imposés en 2013-2014 ; dédoublement des classes REP + (Réseau d’Education Prioritaire renforcé) ; et un dispositif intitulé « devoirs faits », qui doit permettre aux élèves de réaliser les devoirs dans l’établissement, avant de rentrer chez eux.

Des mesures sans moyens

Mais l’austérité reste la règle d’or du gouvernement, et les moyens font défaut.

Latin et grec ne seront restaurés que très partiellement (l’horaire de 5e n’est pas rétabli) et… « chaque fois que c’est possible ». Comprenez : à condition que le chef d’établissement choisisse de privilégier les langues anciennes, et s’arrange pour trouver, à dotation constante, les horaires et personnels nécessaires.

Le dédoublement des classes REP+ en CP/CE1, lui, exige 12 000 nouveaux postes. Nettement plus que les 2500 créations de postes annoncées pour la rentrée, et que les 4000 ou 5000 promises, sur tout le quinquennat, par le candidat Macron. Le ministère va donc pratiquer le « redéploiement », en puisant notamment dans le vivier des « maîtres plus », ces enseignants « volants » qui, dans le cadre du dispositif « Plus de maîtres que de classes », accompagnent leurs collègues quand le besoin s’en fait sentir. Ou comment déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Pour le programme « Devoirs faits », c’est encore la disette : le ministre dit compter « sur l’implication des professeurs en heures supplémentaires », mais aussi sur des bénévoles et sur « une grande mobilisation du service civique ». Au lieu d’enseignants formés, ce sont ainsi « plusieurs milliers de volontaires jeunes, en train de finir leurs études », qui devront assister les élèves. Et qu’importe si les expériences étrangères ont démontré l’inefficacité, voire la nocivité de ces teaching assistants recrutés à l’aveugle.

Un réformateur libéral de choc

Pas question, donc, de créer les postes dont l’École a besoin. En janvier dernier, dans une interview à L’Express, J.-M Blanquer annonçait la couleur en déclarant que la création, par François Hollande, de 60 000 postes dans l’Éducation était « une erreur » et que « dans l’ensemble, la création de postes pose plus de problèmes qu’elle n’en résout ». Bref, le nouveau ministre de l’Éducation Nationale est de ceux qui pensent qu’il faut contenir le nombre de fonctionnaires, et « dégraisser le mammouth », encore et toujours...

Mais on aurait tort de ne voir en J.M. Blanquer qu’un banal praticien de l’austérité. Juriste ambitieux, il a occupé des postes de premier plan dans l’Éducation Nationale – recteur, directeur de cabinet adjoint du ministre de Robien, et finalement Directeur général de l’enseignement scolaire (« Dégésco », c’est-à-dire « numéro 2 » du Ministère) sous Luc Chatel – avant de prendre la tête du groupe (privé) Essec Business School. Associé pendant dix ans aux contre-réformes scolaires de la droite sarkozyste, il a mûri un projet de transformation radicale de l’École, qu’il va maintenant s’efforcer de mettre en œuvre.

Il en a décrit les contours dans un livre-programme, L’École de demain (2016), élaboré sous l’égide du très libéral Institut Montaigne. Dans ce mince ouvrage, où se mêlent grandes déclarations, citations décoratives, novlangue managériale, futurologie bon marché et scientisme béat, J.M. Blanquer dit assez nettement de quelle École il rêve : une École à la carte, pensée sur le modèle de l’entreprise.

Vers l’école-entreprise

Il s’agit d’abord de défaire les cadres nationaux, au nom de la « liberté », de « l’autonomie », de la « souplesse ». La manière dont a été traitée, en cette rentrée, la question des rythmes scolaires (laissés à la libre appréciation « des acteurs locaux ») n’est qu’une préfiguration, encore modeste, de cette différenciation des établissements. Le but est d’aller vers des établissements « plus personnalisé[s] et plus flexible[s] dans [leur] gestion », capables de déterminer plus librement horaires, contenus et pratiques pédagogiques. Tant pis pour l’égalité républicaine sur tout le territoire.

Dans chaque établissement, pensé comme une unité « autonome », ayant ses propres normes, le chef d’établissement jouira de pouvoirs accrus. Il deviendra « un véritable responsable, à la tête d’une équipe rapprochée ». Comme un chef d’entreprise, il pourra pratiquer le « recrutement sur profil ». En effet, dans le « modèle Blanquer », les concours de l’enseignement ne devraient plus conférer qu’une simple « habilitation à enseigner, le recrutement étant de la responsabilité des chefs d’établissement qui publieraient des appels à candidature afin de pourvoir les besoins » qu’ils auront eux-mêmes identifiés. Le ministre n’exclut d’ailleurs pas que ce recrutement se fasse sur des contrats de droit privé.

Établissements et enseignants seront évalués en continu, grâce à un système d’ « indicateurs permettant de mesurer les performances ». L’Inspection sera mobilisée en vue de cette évaluation : réformée, elle sera orientée – comme dans l’entreprise – « vers un travail d’audit ».

Pour motiver les troupes, on introduira, dans le salaire des enseignants, « une part de rémunération variable, fondée sur l’atteinte d’objectifs individuels et collectifs ». Naturellement, les liens entre École et entreprise seront renforcés, notamment grâce à la désignation, par les organisations professionnelles, de « conseillers économiques pour l’École dédiés au rapprochement du système éducatif et de son environnement économique ». La nomination récente de Jean-Marc Huart, grand ami du Medef, au poste de Dégesco devrait faciliter ce mouvement.

Enfin, on pourrait assister à une privatisation rampante d’une partie du service public d’enseignement. Interrogé par l’association SOS Éducation (classée très à droite et proche du mouvement Sens commun) sur la possibilité qu’émerge « une offre scolaire autonome, sur le modèle des écoles à charte », le ministre se disait en effet ainsi prêt à aller «  vers des logiques de délégation », et envisageait sereinement le développement d’établissements à « statut associatif ».

Refuser le traitement de choc

Liquider le cadre national, casser et différencier les statuts, évaluer à tout-va, instaurer la concurrence des établissements et le mercato des enseignants, précariser les équipes, passer enfin à l’école-entreprise : J.M. Blanquer synthétise et assume tous les rêves des réformateurs néolibéraux. Ses recettes ne sont pas nouvelles : elles ont été appliquées, depuis plus de vingt ans, à divers services publics (hôpital, université) avec les reculs que l’on sait. Jamais un ministre de l’Éducation Nationale ne s’était donné une telle feuille de route ni promis un traitement aussi radical. C’est pourquoi il faut, au plus vite, obliger M. Blanquer à revoir sa copie.

Antoine Prat


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