Code du travail : Un été meurtrier

jeudi 27 juillet 2017.
 

Après la loi Sapin (2013), les lois Macron et Rebsamen (2015) et la loi El Khomri (2016), une énième réécriture du code du travail est en préparation avec toujours les mêmes obsessions, faciliter les licenciements et la renégociation à la baisse des droits des salariés.

La loi d’habilitation présentée le 28 juin en Conseil des ministres examinée du 10 au 13 juillet par l’Assemblée nationale indique en effet les domaines dans lesquels le gouvernement sera « habilité » à légiférer par ordonnances, c’est à dire sans consultation du Parlement.

Revue des dispositions les plus dangereuses

Élargir le champ des accords d’entreprise pour négocier à la baisse les droits des salariés : Le projet de loi prévoit d’étendre les domaines dans lesquels l’accord d’entreprise peut déroger à la loi ou à l’accord de branche. Pendant longtemps, l’ordre public social s’est imposé : un accord d’entreprise ne pouvait déroger à une norme supérieure (loi ou accord d’entreprise), que dans un sens plus favorable aux salariés. Les lois de 2004 et 2008 avaient déjà écorné ce principe avant que la loi El Khomri n’affirme définitivement la prééminence de l’accord d’entreprise, y compris si celui-ci est plus défavorable que l’accord de branche, dans le domaine de la durée de travail. Il est désormais envisagé d’étendre cette primauté des accords d’entreprise à d’autres domaines (salaires, santé, règles de licenciement…). Le risque de dumping social au sein des branches est donc considérable car c’est au niveau de l’entreprise que le rapport de forces est le plus défavorable aux salariés. C’est donc à ce niveau que seront négociés des accords à la baisse, ce qui conduira les entreprises concurrentes à se lancer à leur tour dans de telles négociations.

Plafonner les indemnités prud’homales dans le cas d’un licenciement illégal : Favoriser les licenciements pour faciliter les embauches, tel est le crédo de ce gouvernement. Ce raisonnement ne tient pourtant pas la route. D’une part, il est déjà malheureusement très facile de licencier (environ un million de ruptures de contrat de travail par an en comptant les ruptures conventionnelles) et, d’autre part, une entreprise embauche quand elle a des commandes et non parce que deux lignes ont été modifiées dans un code du travail qu’elle connaît souvent mal.

C’est pourtant ce raisonnement qui justifie le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal. Aujourd’hui, il est nécessaire de justifier un licenciement, faute de quoi le licenciement est considéré « sans cause réelle et sérieuse », l’employeur s’exposant alors à devoir verser des dommages et intérêts au salarié licencié illégalement. Avec le plafonnement de ces dommages et intérêts, l’employeur connaitra donc le « prix maximum » du licenciement illégal. Il sera donc possible de provisionner à l’avance les fonds nécessaires pour licencier arbitrairement et sans aucune justification des salariés qui sont souvent déjà victimes de discriminations (syndicalistes, femmes, seniors…).

Faciliter les licenciements économiques : Il est envisagé de faciliter les licenciements économiques en abaissant le niveau des obligations qui leur sont rattachées. Actuellement le licenciement économique de 10 personnes ou plus sur une période de 30 jours oblige l’employeur à mettre en place un PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi), qui doit prévoir des mesures favorisant le reclassement et la reconversion des salariés licenciés. Le projet de loi d’habilitation prévoit d’augmenter ce seuil de 10 personnes. Pire, le périmètre d’appréciation de la difficulté économique invoquée lors de tels licenciements pourrait être circonscrit au territoire national, la santé économique des filiales étrangères n’étant alors plus prise en compte. Il n’y aurait dès lors plus aucun garde-fou contre l’organisation artificielle de difficultés économiques dans les filiales françaises afin de privilégier les filiales situées dans les pays à bas coûts.

En finir avec le CDI en facilitant le recours au CDD, à l’intérim et aux contrats de chantier : Le projet de loi d’habilitation prévoit que les accords de branche puissent modifier les motifs de recours, les durées maximales et le nombre de renouvellements des CDD et de l’interim. Un accord de branche pourrait donc lever l’interdiction de recourir à un CDD pour pourvoir à un besoin permanent et/ou permettre que celui-ci soit renouvelé plus de deux fois sur une période dépassant largement 18 mois. C’est donc le CDD à vie qui se profile, alors que 87% des premières embauches se font aujoud’hui en CDD.

Afin de s’assurer de la mort du CDI, le projet de loi souhaite étendre le contrat de chantier à d’autres branches que celle du BTP. Or, ce contrat prévoit que la fin du projet pour lequel on a été embauché constitue un motif de rupture, cette rupture ne donnant lieu à aucune indemnité de précarité contrairement au CDD. C’est donc le CDD avec ses inconvénients, la précarité, mais sans les maigres contreparties qui lui sont attachées.

Permettre à l’employeur d’initier des referendums d’entreprises pour contourner les syndicats : La loi El Khomri avait déjà permis à des syndicats minoritaires de soumettre à référendum un accord d’entreprise refusé par les syndicats majoritaires. Les ordonnances prévoiront que l’employeur initie directement de tels référendums. Curieuse conception du « dialogue social » et du respect des syndicats puisqu’il s’agit de se passer de leur avis. On sait que ces référendums sont des consultations avec pistolet sur la tempe : « Ou vous acceptez de travailler plus et de gagner moins ou bien l’usine est fermée ».

Fusionner les instances de représentation des salariés pour mieux limiter leurs prérogatives : Autre mesure visant à affaiblir la représentation des salariés, la possibilité pour l’employeur de fusionner unilatéralement les délégués du personnel (DP), du comité d’entreprise (CE) et du comité d’hygiène de santé et des conditions de travail (CHSCT) en une instance unique. Il serait aussi possible de définir les moyens et les délais de consultation de cette nouvelle instance unique. Une telle fusion, possible aujourd’hui dans le cas des CE et des CHSCT mais qui reste soumise à un accord dans les entreprises de plus de 300 salariés, risque donc de limiter les moyens de ces instances, voire même de priver le CHSCT de la personnalité juridique. Or, c’est justement cette personnalité juridique qui lui permet aujourd’hui de porter en justice des décisions jugées dangereuses pour la santé et la sécurité des salariés.

Nous ne sommes pas condamnés à accepter les régressions envisagées par ce gouvernement, qui reste, il faut le rappeler, minoritaire. Des projets alternatifs existent, à l’image de celui contenu dans l’Avenir en commun, fondé sur l’instauration d’une véritable démocratie au sein des entreprises et sur la primauté de la loi, laquelle doit assurer des salaires et des conditions de travail de haut niveau aux salariés. La mobilisation de l’ensemble de la société sera donc déterminante pour favoriser l’avènement de cet avenir en commun et faire échouer des projets qui entendent nous ramener aux XIXème siècle.

Noam Ambrourousi


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