Les droites réactionnaires au pouvoir  : attention danger

mardi 11 juillet 2017.
 

Au pouvoir dans plusieurs pays, les droites réactionnaires jettent bas les masques et reviennent aux fondamentaux. Elles mènent des politiques contre les migrants et les syndicats et restaurent un exécutif fort en attaquant les contre-pouvoirs.

La situation est inédite depuis l’après-guerre. Des forces de droite extrême, de droite réactionnaire sont parvenues à se hisser au pouvoir dans des démocraties. Ces forces se sont présentées aux électeurs comme démocratiques. Dans les exemples que nous prenons, leur filiation ne provient pas du fascisme comme c’est le cas du Front national, mais du camp conservateur. Donald Trump a été investi par le Parti républicain des États-Unis  ; le premier ministre hongrois Viktor Orban siège sur les mêmes bancs que «  Les Républicains  » au Parlement européen  ; c’est la droite catholique qui préside aux destinées de la Pologne  ; en Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a longtemps été présenté comme un islamiste démocrate.

Après plusieurs mois ou années passés au gouvernement, les masques tombent. On peut juger sur pièces. Le cas turc est un extrême, avec des milliers d’opposants derrière les barreaux et un Kurdistan mis à feu et à sang depuis qu’en juillet 2016 une partie de l’armée a tenté de ravir le pouvoir à Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci a utilisé cette situation nouvelle comme une opportunité pour justifier et accentuer sa dérive. En Pologne et en Hongrie, ce que l’on observe, c’est le dessein d’un exécutif fort, d’un règne sans partage. Dans ces deux pays, la Cour constitutionnelle, contre-pouvoir indispensable, a été mise à mal par les droites réactionnaires au pouvoir. Les médias perdent en autonomie. Ainsi, en Hongrie, les chaînes de télévision et de radio du service public ont été mises au pas, et des journalistes mis à la porte.

Partout, le discours anti-migrants est de mise. C’est d’ailleurs un des thèmes de propagande les plus importants de Donald Trump, qui rêve de copier Viktor Orban, qui a installé un mur à la frontière serbo-hongroise pour limiter l’arrivée de réfugiés.

Enfin, tous adoptent une politique économique et fiscale libérale qui fait la part belle au capital. Même s’ils font usage d’un discours social démagogique, tous ont les syndicats dans leur viseur.

Gaël De Santis, L’Humanité

États-unis. Le nationalisme de Donald Trump fait déjà trembler le monde

Le nouveau président veut «  rendre sa grandeur à l’Amérique  » en lançant une double offensive au service des capitalistes nationaux, grâce à une nouvelle débauche de dépenses militaires et à un placement de la démocratie en résidence surveillée.

Après seulement cent jours à la Maison-Blanche, le nouveau président des États-Unis a dévoilé ses batteries nationales-libérales. Pour «  rendre à l’Amérique sa grandeur  », selon le mot d’ordre vedette affiché durant sa campagne, il suit une feuille de route qui constitue une menace pour la paix dans le monde et pour la démocratie dans son pays.

La stratégie du président Trump, que Marine Le Pen affiche si ouvertement en modèle de ce côté-ci de l’Atlantique, repose sur une «  diplomatie du deal  », faisant jouer les premiers rôles à la force armée au service d’un déploiement plus dominateur des principaux acteurs du capitalisme états-unien. Certains des épisodes de la tonitruante entrée en matière du nouveau président illustrent déjà l’aiguisement des périls qui menacent la planète.

Donald Trump a décidé d’augmenter de près de 10 % en 2018 un budget militaire qui est pourtant déjà aujourd’hui à 597,5 milliards de dollars (570 milliards d’euros), l’équivalent du budget cumulé des dix pays qui, de la Chine (2e) au Brésil (11e), arrivent derrière eux sur la liste des puissances militaires. Et comme pour faire la démonstration du sérieux avec lequel il faut prendre cette volonté de jouer de la force, le commandant en chef a, à peine installé à la Maison-Blanche, fait bombarder, sans aucun feu vert des Nations unies, une base du régime syrien, usé tout aussi unilatéralement de la plus grosse des bombes conventionnelles en Afghanistan et fait dangereusement monter les tensions, en ce moment même, dans la péninsule coréenne (lire également page 17).

Cette démonstration de force est relayée au plan économique par la volonté de déclencher une guerre fiscale afin de permettre aux groupes états-uniens de «  renforcer leur prospérité et leur compétitivité sur le marché mondial  » en abaissant de 35 % à 15 % l’impôt sur les sociétés. Pour conforter la puissance financière de Wall Street, les timides mesures de régulation adoptées au lendemain du krach de 2008 avaient été abrogées dès l’entrée en fonction du président.

Les conséquences de cette priorité à l’expansion de la domination du capital ne sont pas moins redoutables au plan intérieur. La majorité républicaine du Congrès veut la généralisation à l’échelle nationale des lois dites «  right to work  » (droit au travail). Déjà appliquées dans certains États, elles visent en fait l’asphyxie financière des syndicats. Cette offensive antisociale relève de la même obsession des nationalistes pour «  le renforcement de la compétitivité  » des groupes états-uniens.

Les attaques répétées contre les droits élémentaires, les migrants, la liberté de la presse ou les juges obéissent à une logique analogue, lourde de périls pour la démocratie. Le chercheur de l’université de Harvard Steven Levitsky appelle à ne pas sous-estimer ces offensives. Loin de les réduire à des opérations «  brouillonnes et chaotiques  », comme le font nombre d’observateurs, il parle, lui, de surenchères délibérées au service d’un «  autoritarisme de la compétitivité  ». On aurait tort de compter sur les seules contradictions du «  trumpisme  » pour faire le gros dos dans l’espoir d’un intermède sans passage à l’acte trop désastreux. Les citoyens du monde et des États-Unis sont prévenus. L’heure est à la conjugaison des résistances.

Hongrie. Orban fait ami-ami avec l’oligarchie

Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orban cherche à affaiblir les contre-pouvoirs judiciaires et médiatiques.

Quand la droite extrême parvient au pouvoir, elle ne le quitte plus. Élu une première fois en 2010 sous les couleurs de la droite libérale, Viktor Orban a été reconduit par les électeurs en 2014, malgré sa dérive autoritaire. Pis, les néofascistes sont désormais la première force d’opposition. Le parti socialiste MSZP s’est discrédité par son appui aux politiques austéritaires de l’Union européenne. Il n’y a pas d’opposants en prison en Hongrie, mais la politique d’Orban a consisté, au nom de la restauration de la grandeur du pays, à saper tout contre-pouvoir. Les journaux sont sous la tutelle d’une «  haute autorité  ». La droite est omniprésente dans les médias privés, mais aussi d’État, qui ont subi une épuration. La loi fondamentale a été remaniée pour ôter tout pouvoir à la Cour constitutionnelle. Les symboles communistes sont prohibés. Des militants ont été traînés devant les tribunaux pour port d’étoile rouge. La politique économique d’Orban vise à aider avant tout ses amis oligarques hongrois, même s’il cherche, en réduisant l’impôt sur les sociétés, à attirer les investisseurs étrangers, notamment allemands. Le dialogue avec les syndicats est nul. Orban fait la chasse aux démunis, surtout aux sans-abri dans l’espace public. « Les plus pauvres n’ont pas accès au système de santé, sauf en cas d’extrême urgence », dénonce Attila Vajnai, secrétaire du Parti des travailleurs. Sur un plan fiscal, Orban s’est fait l’apôtre de la « flat tax », un même impôt sur le revenu de 15 %, qu’on soit riche ou pauvre. G. D. S.

Gaël De Santis journaliste

Pologne. Droits des femmes et justice à l’encan

L’État de droit est menacé depuis la victoire en 2015, contre le pouvoir libéral, de la droite nationaliste du parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski.

Un peu moins d’un an et demi après la large victoire (38 % des voix, majorité absolue en sièges) de la droite conservatrice et nationaliste du parti Droit et Justice (PiS) sur les libéraux de la Plateforme civique (PO), au pouvoir pendant huit ans, où en est la Pologne aujourd’hui  ?

Le pays fait l’objet depuis plus d’un an d’une procédure inédite de l’Union européenne qui pourrait aboutir en théorie à des sanctions, en raison des menaces qui pèsent sur l’État de droit. C’est principalement la réforme de la justice, en particulier du Tribunal constitutionnel, qui a justifié cette «  surveillance  » de la Pologne. En décembre 2015, le PiS a adopté à la va-vite une loi qui visait à contrôler ce contre-pouvoir. Malgré les avertissements de l’UE et des centaines de manifestations dans la rue, le PiS n’a rien cédé et continue son travail de sape sur l’indépendance de la justice. La liberté de la presse en a aussi pris un coup avec une loi qui a permis de limoger des responsables dans les médias publics. Dans le dernier classement de Reporters sans frontières, la Pologne a perdu sept places et se trouve au 54e rang mondial (24e dans l’UE des 28).

Le PiS a tenté en septembre 2016 d’interdire l’avortement en durcissant une des lois les plus restrictives en Europe. Face à la colère des femmes (plus de 100 000 manifestantes, le 3 octobre), il a été contraint de faire marche arrière. Son unique recul pour l’instant. Le PiS reste le parti le plus populaire avec plus de 30 % d’intentions de vote.

Damien Roustel

Turquie. La mise en pratique de la politique du pire

Depuis le référendum constitutionnel du 16 avril, Erdogan concentre tous les pouvoirs. Toute liberté, d’expression, judiciaire ou politique, est bridée.

Neuf mois auront suffi à la Turquie pour que le coup d’État avorté des 15-16 juillet 2016 donne finalement naissance à l’enfant monstrueux du 16 avril 2017. Ce jour-là, les pleins pouvoirs ont été donnés à Recep Tayyip Erdogan après la victoire contestée du oui (51,4 %) au référendum constitutionnel sur la présidentialisation du régime. Durant la gestation, l’embryon de dictature a eu néanmoins le temps de dévorer ce qui restait de démocratie  : 140 000 fonctionnaires ont été radiés, plus de 40 000 personnes arrêtées et emprisonnées, parmi lesquelles 150 journalistes, des centaines d’universitaires et d’élus, dont des dizaines de maires et députés du Parti démocratique des peuples (HDP) – notamment ses deux coprésidents, Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag. Au même moment, au sud-est du pays, la guerre à outrance relancée par l’État et les franges nationalistes de l’armée turque a fait plusieurs milliers de morts dans les régions kurdes.

Malgré des spécificités régionales, les raisons de la fuite en avant autoritaire d’Erdogan ne sont guère éloignées de celles qui amènent aujourd’hui les extrêmes droites nationalistes et les droites extrêmes ultralibérales à se partager le pouvoir en Europe. Les législatives de juin 2015, qui ont vu l’émergence du HDP, parti de la gauche progressiste arrivé troisième du scrutin avec 13 % des voix, ont été perçues comme un danger non seulement dans le camp islamo-conservateur et affairiste de l’AKP, mais aussi dans l’opposition nationaliste et kémaliste, encore très présente dans l’armée. «  Les origines kurdes de ce parti ont joué dans la politique du pire menée par la suite. Erdogan payant aussi son choix de négocier avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)  », rappelle Umit Metin, coordinateur de l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort). Le coup d’État raté des 15-16 juillet 2016 sonne comme le point d’orgue d’un accord tacite que la victoire du HDP avait fait naître entre les deux camps, «  les nationalistes de l’armée échangeant la reprise de la guerre faite aux Kurdes contre l’élimination de la confrérie Gülen marchant sur les plates-bandes islamistes de l’AKP  », conclut Umit Metin. Erdogan est donc resté en place. Neuf mois plus loin, il peut régner par décrets avec une justice à sa main. S’il est élu président en 2019, c’est toute la structure de l’État kémaliste qu’il pourra changer… y compris l’armée. Pas sûr que le calendrier soit respecté.

Stéphane Aubouard Journaliste

Dossier réalisé par le quotidien L’Humanité


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