Le “Hirak” dans le Rif marocain continue sa résistance et la contestation s’étend

mardi 2 janvier 2018.
 

Depuis plus de six mois, un mouvement de contestation populaire massif s’est développé dans la région du Rif au nord du Maroc, et a culminé par un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de manifestant·e·s à dans la ville de al-Hoceima le 18 mai dernier.

Tout a débuté en octobre 2016 lorsqu’un jeune pêcheur, Mohsen Fikri, a été broyé dans une benne à ordures à al-Hoceima. Les populations locales du Rif se sont alors organisées dans des comités locaux, demandant le jugement des responsables de ce décès et de celui de cinq autres Rifains tués dans une agence de la Banque Populaire lors des manifestations populaires du 20 février 2011. Le mouvement de protestation réclame aussi la levée de la militarisation de la province d’al-Hoceima, l’arrêt des poursuites et du harcèlement contre les petits paysans, la libération de tous les prisonniers·ères politiques du Rif et l’augmentation et l’amélioration des services de santé, d’éducation, culturelles, et les infrastructures qui font défaut dans la région. Contre les politiques d’austérités

Ces mobilisations sont le résultat de l’autoritarisme de la monarchie marocaine et surtout des politiques néolibérales destructrices au niveau social pour les classes populaires, encouragées et imposées par les institutions financières et commerciales internationales et les gouvernements des puissances impérialistes. Cela s’est en effet traduit par des politiques démolissant le tissu productif, par le pillage des ressources maritimes et forestières, la faiblesse des principaux services publics et l’absence d’emploi pour les jeunes.

Ces dynamiques populaires sont également liées à la question Amazigh au Maroc, dont la région du Rif est peuplée. En plus de la justice sociale et la dignité, les manifestant·e·s demandent en effet que les services locaux de la fonction publique recrutent des habitant·e·s de la région, et l’adoption de l’amazigh comme langue de l’administration locale. Les autorités monarchiques ont en effet l’habitude d’envoyer des fonctionnaires et policiers d’autres régions du Maroc non Amazigh pour contrôler et intimider les habitant·e·s locaux, souvent en toute impunité. Le Rif a d’ailleurs des spécificités historiques, longtemps exclu par la monarchie, il a une longue histoire de résistance  : de la création de la République du Rif avec Abdekrim el Khattabi, au soulèvement au lendemain de l’indépendance contre le pouvoir central, au cœur des révoltes contre les politiques d’ajustement structurel, particulièrement mobilisé durant le M20 Février. Le drapeau amazigh est d’ailleurs très présent dans les manifestations, associés aux slogans sociaux et démocratiques contre les autorités centrales de Rabat.

L’Etat autoritaire marocain tente de son côté de réprimer et diffamer le mouvement de contestation pour qu’il ne soit pas suivi dans d’autres villes et régions du Maroc qui vivent dans les mêmes conditions de marginalisation, de paupérisation et de répression. Le pouvoir présente notamment les manifestant-es comme des « séparatistes » financés par l’étranger qui contestent l’autorité et l’intégrité territoriales. La répression est également très dure de la part des forces répressives et «  balatgias  » (voyous employés par le régime) contre les manifestant.es.

Ces politiques répressives et autoritaires n’ont néanmoins pas permis de mettre fin au mouvement, qui s’étends même avec des discours et mobilisations de soutien en faveur du mouvement populaire dans le Rif à travers plusieurs villes du pays. Le 28 mai au soir, des rassemblements de solidarité ont eu lieu dans plusieurs villes (Tanger, Nador, Marrakech, M’diq), y compris devant le parlement à Rabat, avec le mouvement du Rif. Plus de 40 personnes du « Hirak » ont été arrêtées par les autorités depuis le début du mouvement du Rif, dont Nasser Zefzafi, le leader de la contestation populaire, incarcéré le 29 mai sous prétexte qu’il avait 3 jours plus tôt interrompu le prêche de l’imam à la mosquée qui accusait les manifestations d’apporter la « fitna » (discorde) dans le Royaume. Le soir même de son arrestation, près de 3000 manifestant·e·s réclamaient sa libération dans les rues d’al-Hoceima et « la liberté, la dignité et la justice sociale ». D’autres manifestations ont également eu lieu dans la région, plus précisément à Nador et dans les villes d’Atroukoute et Imzouren. Ce mouvement de contestation populaire s’est poursuivi toute la semaine.

Le vendredi 2 juin, une grève générale a été lancée depuis la ville d’Al-Hoceïma à l’initiative du « hirak », contre les politiques autoritaires du gouvernement et la libération des activistes du mouvement incarcérés. La grève a été suivi dans plusieurs villes proche d’Al-Hoiceima. Les prêches officiels dans les mosquées ont également été boycottés dans al-Hoceima et ses environs. Cette journée fut marqué par de nombreux affrontements entre manifestant-es et forces répressive de l’état. Le 5 juin, c’était le tour de deux membres de premier plan du « Hirak » (mouvement) d’être arrêtés : Nabil Ahamjik, considéré comme le numéro deux du mouvement, et Silya Ziani, l’une des nouvelles figures des manifestations. Ces arrestations n’ont qu’attiser la colère de plusieurs milliers de manifestant-es qui continuent de se réunir chaque soir à Al-Hoceima et ses environs.

La contestation est loin d’être finie, et la détermination des manifestant-es du Rif persiste. La solidarité se développe en même temps progressivement à travers le pays, malgré les tentatives de la monarchie marocaine d’empêcher tout effet boule de neige à travers le pays. L’extension est la clé de la réussite et de la survie du mouvement. On a notamment observé des manifestations et grèves dans plusieurs villes du pays ces derniers jours pour protester contre leurs marginalisations économiques et sociales. Le 6 juin, une grève et des manifestations ont par exemple eu lieu dans la ville de Imintanoute, proche de Marrakech, contre le coût élevé des factures d’eau et d’électricité qui ont augmenté de plus de 50 %, en plus d’autres revendications sociales et économiques comme la construction d’un hôpital. La contestation continuait dans la ville.

Solidarité avec la lutte pour la liberté, la dignité et la justice sociale des classes populaires du Rif et du Maroc !

Joe Daher

A) Maroc. La révolte du Rif, ligne de faille d’une société inégalitaire

À Al Hoceïma, la contestation ne s’est pas éteinte avec l’arrestation de dizaines de militants, dont Nasser Zefzafi, porte-voix du mouvement. Ailleurs dans le pays, les sit-in de solidarité avec les protestataires rifains sont brutalement réprimés.

Pour la sixième nuit consécutive, malgré l’emprise policière, des milliers de personnes ont encore défilé mercredi soir dans les rues d’Al Hoceïma, épicentre du Rif et de la révolte qui secoue depuis bientôt huit mois cette région septentrionale du Maroc. Les protestataires, qui insistent sur leur démarche «  pacifique  », revendiquent la libération de Nasser Zefzafi, visage et porte-voix de la contestation, et des activistes arrêtés par dizaines depuis vendredi. Ce jour-là, les protestataires faisaient irruption dans la mosquée Mohammed-V, exigeant de l’imam qu’il s’en tienne aux affaires religieuses et cesse ses prêches décourageant les croyants de prendre part au mouvement, baptisé Hirak (la mouvance). Arrêté lundi pour «  entrave à la liberté de culte  », Zefzafi a été transféré, avec 27 autres militants, à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) de Casablanca, où ils sont interrogés sur des accusations d’«  atteinte à la sécurité de l’État  » et d’«  autres actes constituant des crimes en vertu de la loi  ». Mercredi, leur garde à vue de quarante-huit heures a été renouvelée. Leurs avocats font état d’allégations de torture et de mauvais traitements.

Une population exaspérée par les inégalités sociales et la corruption

Les autorités marocaines confirment, avec cette vague d’arrestations, leur choix de la réponse sécuritaire et répressive à ce mouvement social ininterrompu depuis la mort, le 28 octobre, de Mohcine Fikri, ce jeune poissonnier broyé par la benne à ordures en tentant de récupérer sa marchandise saisie. Des milliers de personnes avaient accompagné les funérailles du jeune homme, enterré comme un «  martyr  » dans sa ville natale d’Imzouren. Depuis, la colère n’est pas retombée, relayée par les diatribes en tarifit (langue berbère du Rif) de Zefzafi sur «  l’État makhzénien  » (l’État monarchique) et même, tabou absolu, sur le roi, qui devrait selon lui être «  comptable du bien-être de ses concitoyens ». « C’est un jeune des quartiers populaires d’Al Hoceïma, impliqué dans les mouvements sociaux comme celui des diplômés chômeurs, mais il n’a aucune appartenance associative ni politique. Zefzafi est charismatique, il s’est imposé comme un leader accepté par tous. Son arrestation témoigne d’une volonté de décapiter le mouvement  », résume Khadija Ryadi, de la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains. à Al Hoceïma, l’appel à une grève générale de trois jours était très suivi hier. Interrogée par la police, la nouvelle porte-parole du mouvement, Nawal Benaïssa, a finalement été relâchée dans l’après-midi.

Six ans après les promesses royales de progrès démocratique et social, sous la pression, en 2011, du Mouvement du 20 février, le Hirak a surgi dans un contexte de déception et de tension au Maroc. La nouvelle Constitution n’a pas institué d’État de droit, au contraire, les atteintes aux libertés se multiplient, plus décomplexées que jamais. Sur le front social, la population est partout exaspérée par les inégalités sociales et par la corruption. Mais dans le Rif, région traditionnellement frondeuse, le sentiment de subir la «  hogra  », le mépris des autorités, est décuplé. «  Le mouvement de contestation à Al Hoceïma et ses environs a comme particularité d’être une rencontre entre des problèmes socio-économiques et une mémoire collective traumatisée. (…) Cette mémoire renvoie aussi à un sentiment de marginalisation et d’injustices subies par la région depuis l’indépendance  », remarque l’historien et politologue Nabil Mouline dans les colonnes du magazine TelQuel.

Les contestataires, qui se réclament de la figure d’Abdelkrim El Khattabi, héros de la guerre du Rif, cultivent aussi la mémoire des soulèvements de 1958 et 1984, brutalement réprimés par Hassan II. Le 22 janvier 1984, dans un discours télévisé, le monarque avait qualifié les protestataires rifains de «  awbach  » («  déchets de la société  »), les accusant d’être à la solde des communistes, des «  services secrets sionistes  » et même de l’Iran chiite. Aujourd’hui encore, le pouvoir monarchique présente le Hirak comme un mouvement irrédentiste, fruit d’un complot étranger. «  Nous ne sommes pas des séparatistes  », répète pourtant Zefzafi, tout en assumant la revendication culturelle amazighe qui traverse le mouvement. Et l’écho de la révolte rifaine porte partout dans le pays. Chaque soir, après la rupture du jeûne, des sit-in de solidarité s’organisent. Ils sont très vite violemment réprimés.

Rosa Moussaoui, L’Humanité Journaliste à la rubrique Monde


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