Circuits courts  : en quoi manger local est-il un enjeu de société  ?

vendredi 23 juin 2017.
 

Rappel des faits. Dans un monde très peuplé, plus urbain, préserver les ressources et approvisionner les villes est un double défi. Le lien producteurs-consommateurs, une réponse  ?

Relations ville-campagne

par Laure de Biasi, ingénieure en agronomie, chargée d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France

Historiquement, les villes se sont établies sur les terres les plus fertiles pour pouvoir nourrir leur population. En grandissant, elles ont donc, paradoxalement, consommé leur propre hinterland nourricier. Ville et agriculture se sont ensuite peu à peu tourné le dos  : la ville allant chercher des produits toujours plus loin, l’agriculture se spécialisant et répondant aux logiques de marché. Aujourd’hui, le système alimentaire n’inspire plus confiance  : les distances, les intermédiaires et les scandales alimentaires (vache folle, dioxine…) se sont multipliés. Dans ce contexte, les circuits courts sont largement plébiscités comme objet de réassurance, comme reprise en main de notre alimentation. Bien au-delà d’un simple effet de mode, les circuits courts ou de proximité représenteraient 8 % du marché alimentaire national (source  : Conseil économique, social et environnemental, 2016). À côté des traditionnelles ventes à la ferme ou marchés se sont développés de nombreux systèmes de paniers (Amap, Ruche qui dit oui, panier «  fraîcheur  » SNCF…). La grande distribution et la restauration s’emparent également de ces concepts.

En Île-de-France, les circuits courts sont pratiqués par 800 fermes, soit 16 % des exploitations (14 % en France). Les exemples ne manquent pas pour illustrer leur essor. La première Amap a ouvert ses portes en 2003, dix ans après, on en comptait 300 approvisionnant 35 000 personnes. Les Ruches qui disent oui, créées en 2011, sont aujourd’hui plus de 150… Toutefois, l’offre francilienne est bien loin de répondre à la demande.

Pour approvisionner les Amap, un producteur sur deux n’est pas francilien. Sur les marchés parisiens, 10 % seulement des étals sont tenus par des producteurs (1/3 venant de Province), les 90 % restants par des revendeurs qui s’approvisionnent à Rungis. Il faut garder à l’esprit que l’agriculture francilienne ne nourrira pas l’Île-de-France (la région produit moins de 10 % de ses besoins en fruits et légumes, environ 1 % de ses besoins en lait et viande), les circuits courts encore moins…

Derrière l’image d’Épinal véhiculée par ces systèmes considérés comme positifs pour le consommateur (qualité, prix), les agriculteurs (moins d’intermédiaires), l’économie locale (emplois non délocalisables) et l’environnement (distances et émissions GES réduites), la réalité est parfois tout autre. Pratiquer les circuits courts  : c’est pratiquer plusieurs métiers en un – produire, transformer, transporter, distribuer – ce qui demande des compétences et du temps. Il faut rester vigilant quant à leur durabilité économique, sociale et environnementale. Une attention particulière est à porter en termes de mode de production, de logistique, de saisonnalité, de mutualisation des moyens matériels, humains et des connaissances.

Être conscient de ces réalités ne doit pas pour autant freiner le développement de ces systèmes mais au contraire encourager les optimisations. Les circuits courts sont révélateurs des nouveaux rapports à l’alimentation  : après une période d’ignorance réciproque, voire de désamour entre la ville et l’agriculture, les circuits se raccourcissent, l’agriculture entre en ville, invitant à repenser les relations ville-campagne. Ces circuits répondent à des attentes et participent à des objectifs variés  : maintenir et valoriser l’agriculture, reconnecter les urbains à leur alimentation et leur territoire, approfondir la réflexion sur les pratiques culturales et de consommation… Par leur capacité d’adaptation et d’innovation, ce sont aussi de formidables laboratoires d’expérimentations et de réflexions pour faire bouger les lignes des systèmes alimentaires établis.

Alimentation accessible à tous-toutes

par Nicolas Bonnet-Oulaldj, président du groupe des élus communistes et Front de gauche au Conseil de Paris, candidat aux élections législatives

Dans quelques semaines, la première halle alimentaire en circuit court verra le jour à Paris. C’était l’un de nos engagements de campagne en 2014. Aujourd’hui, c’est une politique publique inédite qui est menée par notre ville. Le Conseil de Paris a adopté, sur proposition du groupe communiste-Front de gauche, le dispositif dit des «  4 saisons solidaires  » visant à promouvoir une alimentation saine, de qualité, accessible à toutes et à tous et issue de l’agriculture paysanne et biologique en circuit court. Ce projet trouve sa source dans deux actions militantes. D’abord, la vente solidaire annuelle de fruits et légumes place de la Bastille par les militants communistes et les membres du syndicat agricole des exploitants familiaux (Modef). Cette solidarité entre Paris et les zones rurales est hautement symbolique car plus d’un Français sur dix vit dans un foyer en situation d’insécurité alimentaire. Les marges exorbitantes asphyxient les producteurs et condamnent les consommateurs à payer un prix élevé pour des produits à la qualité incertaine, issus d’une agriculture intensive peu soucieuse de l’environnement. Un autre système de distribution alimentaire est possible  : les producteurs agricoles peuvent être rémunérés au juste prix tout en proposant des prix abordables pour les consommateurs. Par ailleurs, la mobilisation de Parisiennes et de Parisiens contre l’installation de supérettes filiales de grandes enseignes de distribution et plus largement contre la prolifération de ce type de commerce nous avait permis de proposer l’installation d’une halle alimentaire et de l’appuyer sur une structure d’économie sociale et solidaire.

Aujourd’hui, l’urgence écologique nous oblige à retisser des liens entre les territoires urbains et ruraux. Pour cela, il faut recréer un système de distribution alimentaire pensé et appréhendé dans son ensemble. Les circuits courts, par la proximité producteurs-consommateurs et la suppression d’un maximum d’intermédiaires, permettront mécaniquement de ne pas faire peser sur le consommateur une charge trop lourde et d’assurer une consommation bien respectueuse de l’environnement. Réduire les distances de transport est incontournable dans une ville où 95 % des livraisons de marchandises s’effectuent en camions. À ce titre, les circuits courts représentent un progrès à la fois environnemental et social.

Plusieurs études ont démontré que les habitants des quartiers populaires étaient plus frappés par l’insécurité alimentaire. Ce chiffre avoisine même les 15 % à Paris. L’alimentation est liée au niveau de revenu, au lieu de vie, au niveau d’instruction, et participe à l’aggravation des inégalités sociales.

Les halles alimentaires seront des lieux d’accompagnement pédagogique auprès des enfants et des familles. Par ailleurs, la traçabilité des produits est incontournable  : qu’il s’agisse de leur provenance, des produits utilisés, de la juste répartition du prix, tout sera indiqué. Le consommateur saura quelle somme reviendra aux producteurs et tous les fruits et légumes seront de saison.

Cette innovation locale à l’échelle de Paris peut être prolongée au niveau national. Nous proposons une loi qui favorise ce nécessaire retour à une consommation responsable. Une des premières mesures sera d’insérer dans les marchés publics de commandes alimentaires une clause imposant le recours aux circuits courts et à l’économie sociale et solidaire.

C’est reprendre le pouvoir

par Florent Sebban, maraîcher bio à Pussay (Val-d’Oise), coprésident du réseau Amap Île-de-France

Un grand nombre d’électeurs se sont prononcés pour Marine Le Pen en milieu rural à l’occasion des dernières élections présidentielles. Les raisons de ce vote sont multiples. Dans bien des cas, la xénophobie n’est pas la raison principale de ce résultat électoral. Chez de nombreux électeurs, il est assez aisé de distinguer un véritable vote de colère. Un vote exprimant le refus de perdre la main sur son destin. Un vote témoignant d’un sentiment réel de perte de pouvoir. La vie en milieu rural est bien trop souvent rythmée par le recul des services publics, la fermeture des petits commerces, l’obligation d’accepter des offres d’emploi très éloignées des domiciles et donc de subir des conditions de vie de famille compliquées en raison des temps de transport allongés. La vie sociale et associative dans les territoires ruraux est également largement perturbée par ces temps de transport qui ne permettent pas suffisamment aux habitants de ressortir après leur activité professionnelle.

Ces conditions économiques et sociales compliquées pourraient être acceptables si le cadre de vie était bien plus agréable. Mais beaucoup de ruraux estiment qu’en raison de l’activité agricole dominante la population n’a plus vraiment la main sur des questions aussi essentielles que la qualité de l’air et de l’eau, la diversité des paysages ou encore l’alimentation. Ce sentiment de perte de pouvoir conduit dans bien des cas à de la colère.

D’un autre côté, des citoyens-consommateurs et des paysans décident de s’unir pour récupérer ensemble le pouvoir sur leur territoire. En choisissant de consommer en circuit court, de nombreux habitants des zones rurales redeviennent acteurs de leur territoire. En s’impliquant dans les modèles agricoles, ils favorisent une agriculture qui développe la biodiversité, préserve la ressource en eau, respecte les sols, diversifie les paysages, intensifie le lien social.

Cette agriculture qui crée de l’emploi localement permet à de plus en plus de gens d’habiter plus près de leur lieu de travail, évitant ainsi les temps de trajets dévastateurs humainement. À travers ces petits changements dans leur mode de consommation, ces citoyens reprennent la main.

Par ailleurs, la condition des paysans évolue également nettement lorsqu’ils se lancent dans des initiatives de vente directe. Aujourd’hui, de nombreux agriculteurs n’ont en effet plus réellement leur destin en main. Ils dépendent d’un marché mondial sur lequel les prix des denrées alimentaires fluctuent quotidiennement, des banques pour réaliser des investissements et faire évoluer leurs fermes et des subventions publiques pour garantir la pérennité financière de leurs entreprises agricoles.

À l’inverse, des partenariats directs entre les producteurs et les consommateurs tels que les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) redonnent de l’autonomie aux paysans. En préfinançant l’intégralité des charges de la ferme sur une année, en étant solidaires en cas d’aléas climatiques, en s’assurant que les paysans reçoivent une rémunération juste, les citoyens-consommateurs impliqués dans ces démarches permettent aux paysans d’appréhender leur métier d’une manière totalement différente.

Allégés de certaines contraintes économiques et climatiques, ces paysans reprennent le pouvoir sur leurs fermes. Beaucoup d’entre eux utilisent d’ailleurs ce pouvoir pour développer de nouvelles pratiques agro-écologiques, qui redonneront à nouveau du pouvoir aux citoyens-consommateurs sur leur territoire. Quel beau cercle vertueux  !

Florent Sebban

Dossier publié par L’Humanité


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