La gauche antilibérale aux présidentielles : Le bal des faux-culs (Michel Onfray)

jeudi 26 avril 2007.
 

Voilà, les résultats du premier tour sont désormais connus. Sarkozy a pompé le Front national jusqu’à la moelle, la preuve, on n’a pas entendu le Duce du Front National débiter ce soir ses philippiques à la télévision sur quelque chaîne que ce soit. Or, habituellement, ses saillies coupent brutalement la parole à celui qui débite ses sornettes pour laisser passer les siennes en priorité. Leçon essentielle, majeure, prioritaire : le bipartisme triomphe, les affidés de la télévision d’État retrouvent leurs marques, les professeurs à Science Po respirent, les chroniqueurs appointés par le système peuvent dormir tranquilles - de July à Duhamel en passant par Ockrent et Apathie. La droite est au deuxième tour, la gauche de droite aussi, dormez bonnes gens... Le prochain président de la République est un ouiste pur jus. Ouf !

La gauche antilibérale collectionne les miettes. Bravo : les pauvres peuvent crever, les ouvriers stresser, les pauvres baver, les chômeurs danser devant le buffet - pas Marie Georges, l’autre...-, les SDF grelotter, les précaires trembler, les miséreux, les sans grades, les sans rien du tout, les ouvriers et les prolétaires compter leurs abatis, on va bientôt leur faire la peau en toute discrétion. Les OGM de Bové, le « Mastrique » de Schivari, les « travailleuses, travailleurs » d’Arlette, la gauche « antilibérale et populaire » du Parti Communiste et autres slogans dignes du petit cerveau de Séguéla n’auront pas suffi à refaire un grand soir. Sarkozy fait la course en tête et a déshabillé Le Pen. Il est désormais revêtu de l’uniforme politique du para borgne à moitié nu. Du moins avec ce que Ségolène (valeur-travail, valeur-famille, valeur-patrie) lui aura laissé alors qu’elle s’exhibe drapée dans un drapeau bleu/blanc/rouge et qu’elle se déhanche sur un rythme de rap...

Sur les plateaux de télévision, les faces de rats de Bernard Tapie (menteur, voleur, tricheur, hâbleur, faussaire, escroc, pour tout dire mitterrandien passé au sarkozysme), de DSK (qui cache mal un sourire de satisfaction devant la performance médiocre de toute la gauche, donc devant son avenir ouvert pour les prochaines présidentielles...), de Laurent Fabius (qui cite Jaurès, avec la même conviction que Sarkozy...), de Montebourg, Lang, Rebsamen (des apparatchiks prêts à vendre leur logorrhée au prochain socialisant le plus offrant), de Voynet (disposée à monnayer les picaillons de son score de lilliputienne pour une assiette de lentilles ministérielles), ces faces de rat, donc, se partagent le temps de parole. Débats de professionnels de la politique. Les Français s’en moquent...

Lors de son intervention nationale et télévisée, Bayrou n’a rien dit. Normal, il est dans son rôle. Ni de droite, ni de gauche, il joue son avenir. Donc il ne peut penser seul. Il lui faut réunir son aréopage demain et voir ce qui lui sera le plus favorable. Depuis deux ou trois ans, cet homme joue son avenir et, pour ce faire, prend la France et les Français en otage : il est prêt à sacrifier les lieux communs qui lui servaient d’idées avant, ses slogans anciens, son électorat, son état major et tout ce que l’on voudra. Il sait qu’il est ce soir le plus convoité des perdants. Jour de gloire pour le chrétien modeste... Le Pen est bas, il compte donc pour zéro ; la gauche antilibérale est plus bas que bas : elle compte pour moins que zéro ; le PCF est encore plus bas que plus bas que bas : il est mort, et personne au parti Socialiste ne s’enquiert d’un rendez-vous ; Voynet irradie autant qu’un déchet nucléaire du paléolithique : on se détourne donc sur son passage ; en revanche, Bayrou est un grand petit, donc un important supplétif : chez les arrières petits enfants très pâles de Jaurès on doit à cette heure discuter, parlementer, monnayer : combien coûte le béarnais ? Probablement pas cher.

Déjà DSK, Kouchner (pour une fois sans sac de riz), Rocard (sûrement au lit à cette heure), et les mânes de Bérégovoy (toujours actives un soir de premier tour des présidentielles), complices de celles de Mauroy (patelin, mais rallié tout de même aux libéraux, malgré son casque de mineur sur son bureau, pour la frime...), apportent leur soutien : « lâchez la gauche de la gauche » disent-ils. Et ils ont raison : elle ne pèse rien. « Et ralliez-vous au centre », ils ont raison, il pèse tant. Bayrou qui était à la messe ce dimanche matin se remet du stress de l’eucharistie, il réfléchit, autrement dit, il compte les voix et extrapole. « La gauche antilibérale a été nulle, elle n’est donc rien : pourquoi loucher vers elle ? ». Dès lors, la gauche gouvernementale se détourne d’elle et lorgne vers le centre droit.

Ce mariage de raison ne produira pas de beaux enfants. Sarkozy a ratissé large : de l’extrême droite au centre, il a des réserves - de Le Pen à Bayrou en passant par de Villiers, il dispose d’un (gros) réservoir. Royal a fait le plein, et, en plus, elle ne dispose pas de réserve. Tétanisés par le souvenir de la dernière présidentielle, tous ceux qui, habituellement, votent plus à gauche, ou dans une autre gauche, se sont ralliés à son panache tiède et à son minois pâle. Qui, en plus ou venu d’ailleurs, se ralliera au deuxième tour ?

Devant les journalistes motorisés, Sarkozy pouvait donc bien faire ce soir son Chirac, avec un mètre de moins, dans une voiture qui n’est pas une CX, ce qui fera la seule différence avec un Père qu’il s’évertue à tuer depuis des années. Il triomphe : le pouce dressé ou le « V » de la victoire exhibé face aux caméras de télévisions qui relayent, les vitres (fumées) baissées de son véhicule blindé. Les directeurs de chaînes, ses amis intimes, regardent sur l’écran de contrôle. Pendant ce temps, Ségolène doit boire avec Julien Dray un mousseux tiède, Montebourg grignoter des cacahouètes. Simultanément, François Hollande est dans le train de deuxième classe qui rentre à Tulle et arrivera demain matin. Sarkozy défilera bientôt sur les Champs Élysée. Jaurès, Blum, De Gaulle et Guy Môcquet seront donc bientôt à l’Élysée... Réjouissons-nous !

J’espère qu’à cette heure José Bové boit une bière avec houblon sans OGM, Arlette de l’eau minérale, Schivari un rosé du sud-ouest , Olivier un gros rouge qui tache, Marie Georges une vodka bien frappée, car les pauvres auront été les cocus de l’histoire, comme toujours. Ce soir, cette nuit, je songe à mon petit frère ouvrier dans une carrière. À cette heure tardive de la nuit, il doit dormir. Dans une poignée d’heures, il repartira au travail. Ces élections auront été pour lui comme pour tant d’autres français pauvres une farce de plus. Une farce brutale. Je voudrais le remercier de n’avoir jamais voté Le Pen ou, lui le chasseur, « Chasse, Pêche, Nature et Tradition », mais de voter pour une gauche radicale qui, s’il se soucie d’elle, ne se soucie guère de lui. Et de ses compagnons d’infortune.

Michel Onfray


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