Fiscalité et famille. Faut-il supprimer le quotient familial pour rendre l’impôt plus juste  ?

dimanche 12 novembre 2017.
 

Mise en débat par plusieurs candidats à l’élection présidentielle, la suppression du quotient familial renvoie à la question d’une réforme fiscale de justice sociale.

A) La mise en place d’une assiette individualisée

PAR Liêm Hoang Ngoc Responsable de l’économie de la France insoumise

La révolution fiscale que propose de lancer la France insoumise concrétise la maxime énoncée dans l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen  : faire participer chaque citoyen à la solidarité nationale selon sa faculté contributive. La faculté contributive dépend d’abord du revenu de chaque foyer fiscal. Ceci justifie l’existence d’un barème progressif. Elle est ensuite tributaire de la composition familiale du foyer. Pour un niveau de revenu équivalent à un foyer sans enfant, le foyer ayant à charge des enfants voit sa faculté contributive réduite. C’est pour tenir compte de la charge de famille que le système du QC et du QF a été instauré à la Libération dans le cadre de la politique familiale. Ce système consiste à diviser le revenu déclaré par un certain nombre de parts pour obtenir le revenu imposable. Il comporte deux défauts. Premier défaut  : le quotient conjugal, mis en place à l’époque où prédominait le modèle de la «  femme au foyer  », est antiféministe. Deuxième défaut  : le système du quotient familial bénéficie avant tout aux familles nombreuses aisées. La réduction d’impôts qu’il occasionne est certes plafonnée à 1 512 euros pour un enfant. Mais les foyers les plus modestes, déclarant moins de 30 000 euros de revenus, n’en bénéficient pas car ils ne sont pas imposables à l’impôt sur le revenu. Quant aux familles modestes imposables, le gain est nettement moins important que celui obtenu par les familles riches. Ainsi, un foyer déclarant 35 000 euros de revenus annuels ne bénéficie que d’un avantage fiscal de 831 euros pour un enfant, contre 1 512 euros pour un foyer déclarant plus de 80 000 euros. Par conséquent, dans le système actuel, un enfant de famille modeste vaut presque deux fois moins qu’un enfant de famille aisée. Pire, un enfant de pauvre, issu d’une famille non imposable à l’IR, ne vaut quasiment rien  !

C’est pour remédier à ces défauts que notre révolution fiscale propose la mise en place d’une assiette individualisée, sans quotients conjugal et familial. Pour un coût budgétaire identique, le QF sera remplacé par un crédit d’impôt forfaitaire de 1 000 euros par enfant. Un enfant de riche et un enfant de pauvre rapporteront le même gain, en conformité avec le principe d’une politique familiale véritablement universaliste.

Cette révolution permettra de surcroît de rendre plus justes les impôts affectés au financement des prestations sociales universelles (santé et famille), qui complètent les cotisations sociales assises sur le salaire. Il deviendra dès lors possible de rendre la CSG progressive, en parant à l’objection systématiquement faite par le Conseil constitutionnel contre ce projet, retoqué en 1999 et en 2015. Le motif, chaque fois invoqué, était que l’assiette de la CSG est individualisée alors que l’assiette actuelle de l’IR tient compte des charges de famille. Rendre la CSG progressive, sans tenir compte des charges de famille, représentait jusqu’alors, aux yeux du Conseil, une entorse à la prise en compte de la faculté contributive. Avec notre système, l’assiette de l’IR devient identique à celle de la CSG. Cette harmonisation permet par conséquent de rendre la CSG progressive tout en tenant compte de la charge de famille, par l’octroi d’un crédit d’impôt universel par enfant. Notre révolution fiscale instaure donc l’égalité sociale dans le financement du modèle social hérité du programme du Conseil national de la Résistance.

Dernier ouvrage paru  : Un insoumis devrait dire ça. Éditions du Cerf.

Révolution fiscale ou casse de la politique familiale  ?

PAR Jean-Marc Durand Fiscaliste, commission économique du PCF

Des programmes présidentiels veulent supprimer le quotient familial (QF) et le quotient conjugal (QC). Rien de très original, François Hollande lui-même le proposait. Il a d’ailleurs commencé à le faire. Outils de solidarité sociale et de politique familiale, ils permettent, à partir des ressources et en fonction de la composition du foyer, de calculer l’impôt sur le revenu (IR) et le montant des prestations. En 2012, le QF a été réduit. Cela a représenté entre 500 et 700 euros d’impôts supplémentaires pour les familles concernées qui n’étaient pas toutes les plus riches. Un constat corroboré par une étude de la direction du Trésor qui, simulant la disparition du QF, a révélé que certes un ménage gagnant moins de trois fois le Smic y gagnerait, mais que 55 % des couples avec deux enfants paieraient au moins 1 000 euros d’impôts supplémentaires sur le revenu et 31 % des couples avec trois enfants, 2 571 euros. In fine, 50 % des contribuables non imposables à l’IR le deviendraient si le QF disparaissait. La suppression du QC produirait les mêmes effets sur l’IR des ménages. Certes, les femmes perçoivent un salaire inférieur à celui des hommes. Mais la vraie égalité femmes-hommes passe par des salaires et une carrière identiques pour chacun-e.

En fait, il s’agit d’une course à la recette fiscale sur les revenus moyens. Les plus hauts revenus ont recours à bien d’autres dispositifs pour alléger leur impôt que le QF, qui est par ailleurs plafonné. En arrière-plan, ce sont aussi les prestations sociales (CAF, allocation logement, aide à la rentrée scolaire, prix des repas dans les cantines scolaires) qui sont attaquées.

Rappelons que le QF est une pierre angulaire de la politique familiale en France, considérée dans un rapport de l’OCDE de 2012 comme l’une des meilleures au monde, 5 % de son PIB, 100 milliards d’euros, y sont consacrés. Remplacer le QF par un crédit d’impôt, c’est basculer le financement de cette politique vers une fiscalisation/étatisation au lieu d’une allocation versée par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), une des branches de la protection sociale financée par les entreprises. En outre, serait mis en cause le supplément familial dans la fonction publique qui entre dans le calcul de la retraite. Mais, derrière la suppression du QF et du QC, se cache une réforme beaucoup plus dangereuse  : le prélèvement à la source de l’IR que complique l’existence d’un foyer fiscal composé de plusieurs personnes encaissant des revenus diversifiés.

Si, aujourd’hui, une réforme du QF doit être faite, il s’agit de l’appliquer dès le premier enfant et de repenser sa progressivité. Il est surtout nécessaire que les foyers fiscaux les plus riches contribuent réellement à l’IR selon leurs moyens. Ce n’est pas en supprimant le QF et le QC qu’on réglera cette question, mais en réformant l’IR afin qu’il soit plus progressif, avec un taux supérieur relevé, qu’il n’intègre plus une multitude de niches fiscales à la différence du QF et du QC qui n’en sont pas et qu’il s’applique à l’identique aux revenus du travail et à ceux du capital.

Sur cette question comme sur d’autres, un débat ouvert, transparent et contradictoire doit être porté devant la population afin qu’elle puisse se faire son opinion et agir pour contre-proposer.

Le quotient, un arbre qui ne doit pas cacher la forêt

PAR Denis Clerc Économiste, fondateur de la revue Alternatives économiques

En France, l’IR est «  familialisé  »  : tous les revenus des personnes qui font une déclar ation commune sont pris en compte (sauf les prestations familiales) et divisés par un certain nombre de parts  : 1 par personne adulte, 0,5 pour chacun des deux premiers enfants à charge et 1 pour chacun des suivants. Le résultat de cette division – le «  quotient familial  » – détermine la tranche d’imposition de la famille. La famille Durand déclare 50 000 euros de revenu (1). Sans enfant, ils ont dû acquitter 3 581 euros au fisc. En réalité, nettement moins, car tout plein de cas permettent de déduire des sommes plus ou moins importantes soit du revenu déclaré, soit des impôts. Des triplés arrivent. Leur impôt passe à 622 euros  : une réduction de 2 959 euros  ! Normal  : il y a plus de bouches à nourrir. La famille Dupont déclare 80 000 euros de revenu  : sans enfant, elle acquitte 10 300 euros d’impôt. Des triplés arrivent  : 4 678 euros d’impôt en moins. Est-il juste que le fisc aide davantage les riches que les moyens et plus les moyens que les pauvres (privés d’aide fiscale car ne payant pas d’impôt)  ? Un premier pas a été franchi avec le plafonnement du QF, l’économie maximale d’impôt qu’une famille peut faire est limitée à 1 512 euros pour chacun des deux premiers enfants à charge, et à 3 024 euros pour chacun des enfants suivants. Faut-il aller au-delà  ?

Tous les autres pays de l’Union européenne à quinze (sauf le Luxembourg) pratiquent une déduction fixe par enfant, que la famille soit riche ou pauvre. Ce serait une solution plus juste que le plafonnement, mais n’en faisons pas un cas de guerre  : il y a bien d’autres injustices plus graves dans la politique familiale. Il s’agit tout d’abord du calcul des parts  : les deux premiers enfants à charge comptent chacun pour 0,5 part, alors que les suivants comptent chacun pour 1. Une mesure qui n’a rien à voir avec le coût d’un enfant, mais beaucoup avec le désir d’inciter les familles à avoir un troisième enfant.

Il s’agit ensuite des allocations familiales. On les croit universelles, alors qu’elles ne sont versées qu’aux familles d’au moins deux enfants à charge (Hamon et Mélenchon proposent de supprimer cette discrimination). En outre, les familles pauvres en sont privées  : on leur verse des allocations familiales, mais leur RSA est amputé d’autant. Il s’agit aussi des allocations pour la garde des jeunes enfants  : les familles du bas de l’échelle en sont privées de facto, faute de capacité à payer une crèche même à tarif réduit, ou à rémunérer une assistante maternelle, alors que les familles imposables peuvent déduire de leur impôt moitié du coût de la garde à domicile. Enfin, la France est le seul pays à cumuler une aide fiscale (QF et garde à domicile) et des prestations familiales défiscalisées. L’aide va à ceux qui payent l’impôt sur le revenu.

Ces réformes ne relèvent pas seulement de la justice, mais aussi de l’efficacité. Pour empêcher que la pauvreté se transmette en héritage, il faut que la collectivité centre ses aides sur les enfants que leur famille ne parvient pas à aider suffisamment  : logement, crèches, école, formation. Toute la société en tirera profit  : les uns parce que leur horizon ne sera plus bouché, les autres parce que le besoin d’aide sociale s’allégera au fil du temps.

La priorité n’est pas d’opposer les familles

PAR Henri Sterdyniak Coanimateur des Économistes atterrés

Le QF est une des caractéristiques de la politique familiale française. L’IR est un impôt progressif qui taxe les ménages selon leur capacité contributive, donc selon leur niveau de vie. Chaque famille se voit attribuer un nombre de parts fiscales, correspondant à sa composition, selon une certaine échelle d’équivalence. Son niveau de vie est évalué en divisant son revenu par son nombre de parts fiscales. Le taux de l’impôt est d’autant plus élevé que le niveau de vie de la famille est élevé. Le QF, composante logique de l’impôt progressif, garantit ainsi que l’impôt est équitablement réparti entre des familles de taille différente. Ce n’est pas une aide aux familles, qui augmenterait avec le revenu. Il serait injuste de faire payer le même IR à un célibataire de 2 000 euros de revenu mensuel et à une femme isolée, de même revenu, avec deux enfants à charge  : leurs capacités contributives ne sont pas les mêmes. La notion de quotient familial est indispensable. Trouve-t-on scandaleux qu’une famille avec deux enfants ait droit à 2,1 fois le RSA d’une personne seule  ? C’est pourtant basé sur un QF. Comme les bourses scolaires, comme le prix de la cantine scolaire. Le quotient familial repose sur un principe normatif  : les parents doivent assurer le même niveau de vie à tous les membres de la famille en partageant équitablement leurs ressources. C’est d’ailleurs ce qu’ils font dans l’immense majorité des cas. La fiscalité, comme la protection sociale, doit le prendre en compte, elle ne peut taxer isolément chaque parent, en prétendant que chacun garde son salaire pour lui tout seul, et en oubliant leurs enfants.

Malheureusement, ce principe simple est oublié aujourd’hui dans le programme de Jean-Luc Mélenchon qui prétend individualiser l’impôt sur le revenu. Selon Liêm Hoang Ngoc, le système du QF serait injuste car il ne bénéficierait pas aux familles les plus pauvres. Les familles pauvres ne paient pas d’impôt sur le revenu. On ne voit pas comment elles pourraient être les victimes du quotient familial. L’IR ne peut pas plus aider les familles pauvres qu’en ne leur faisant pas payer d’impôt. Le système français aide spécifiquement les familles pauvres par le RSA, la prime d’activité, les allocations logement, le complément familial  ; il prend, en faible partie, en charge le coût des enfants par les allocations familiales  ; il est normal qu’il tienne compte de la présence d’enfants pour le calcul de l’impôt sur le revenu.

Peut-on écrire qu’actuellement «  un enfant de famille riche rapporte plus qu’un enfant de famille pauvre  » sans tenir compte du coût des enfants, comme si avoir des enfants était une sorte de niche fiscale  ? En oubliant les prestations familiales et en traitant la baisse d’impôt due à la présence d’enfant comme une aide. En fait, sauf pour les familles les plus pauvres au RSA ou au Smic, la présence d’enfants se traduit toujours par une baisse de niveau de vie, et ce d’autant plus que la famille a déjà des enfants.

Pour avoir le droit de supprimer le QF, il faudrait que la société prenne complètement en charge le coût des enfants. Comme le revenu médian en France par unité de consommation est de l’ordre de 1 740 euros par mois et qu’un enfant représente en moyenne 0,35 unité de consommation, les prestations par enfant devraient être de 610 euros par mois (et pas de 98 euros par enfant comme aujourd’hui pour une famille de 3 enfants ou de 65 euros par enfant pour une famille de 2 enfants, de 0 euro pour une famille à 1 enfant). Les 83 euros que propose Liêm Hoang Ngoc pour compenser la disparition du quotient familial sont vraiment, vraiment, loin du compte. À 0, 65 ou 98 euros de prestations par mois, les parents supportent le coût des enfants et cela réduit fortement leurs capacités contributives. Tant que les allocations familiales ne sont pas de l’ordre de 610 euros par mois, le QF reste indispensable.

Par ailleurs, on ne peut que s’étonner de voir Benoît Hamon envisager un revenu universel d’existence de 600 euros par adulte, en oubliant complètement de tenir compte des enfants. La priorité n’est pas d’opposer les familles entre elles en mettant en cause le quotient familial, mais d’avoir une politique familiale ambitieuse qui passe à la fois par des services publics gratuits (crèches, soins médicaux, activités extrascolaires), par la réduction de la pauvreté des enfants en relevant fortement le niveau des allocations familiales et du RSA pour les familles, et par une prise en compte par le quotient familial de la composition des familles.

(1) Le revenu déclaré moyen était, en 2013, de 45 000 euros pour les couples sans enfant, de 50 000 euros pour les couples avec un enfant et de 53 000 euros pour les couples avec deux enfants.


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