Dans Ouest France, Jean-Luc Mélenchon répond aux récentes critiques

dimanche 23 avril 2017.
 

Quelles sont les valeurs qui fondent votre projet ?

Ça tient en trois mots : la République, à travers le processus de l’assemblée constituante ; l’écologie, comme modèle à la fois économique et social ; et l’humanisme, que je place au sommet de la hiérarchie des normes de la société.

Si vous êtes élu, que se passe-t-il dans trois semaines ?

L’installation d’une nouvelle équipe gouvernementale, avec d’autres méthodes de travail, c’est le premier acte. Ensuite, il y a la mise en mouvement immédiate du processus constituant. Et les mesures sociales les plus urgentes pour que les gens puissent commencer à respirer un peu, parce que les situations de détresse se multiplient.

Combien de temps dure le processus constituant ? Il risque de percuter les législatives...

Ce n’est pas un risque, c’est une certitude ! D’abord, nous sommes dans le cadre de la VeRépublique. J’ai bien l’intention d’exercer la totalité des pouvoirs dans le cadre de la Constitution actuelle ! C’est dans le respect de la Constitution - l’article 11 - que va être convoquée l’Assemblée constituante. On va demander au peuple s’il est d’accord ou pas pour convoquer la constituante.

Donc, par référendum ?

On ne peut pas faire autrement ! Donc, tout ça va prendre du temps. Un référendum entre mai et juillet, ce n’est peut-être pas la première chose que l’on va faire. Peut-être qu’il faudra attendre la rentrée. Mais ce sont des choses qu’il serait un peu présomptueux de déterminer alors que l’on n’a pas passé le premier tour ! Entre-temps, il y aura l’élection de la nouvelle Assemblée nationale, dans le cadre des institutions actuelles. Et le premier objectif, ce seront des mesures d’ordre social.

À voter par une Assemblée qui sera ce qu’elle sera !

Une fois que les Français élisent un Président, en général, ils lui donnent les moyens de gouverner. Je ne vois pas pourquoi les gens qui m’auraient élu, tout d’un coup changeraient d’avis ! Mais certaines mesures vont être mises en mouvement du seul fait du calendrier : M. Trump vient pour une discussion sur l’Otan au mois de mai. Donc, c’est dès le mois de mai, à Bruxelles, que va être posée la question du retrait de la France de l’Otan. Il y a aussi une rencontre avec les partenaires européens en juin, après avoir fait le tour des capitales pour proposer la sortie des traités. Le plan A, c’est un processus de discussion, pas de confrontation. Après, permettez que pour des sujets aussi lourds que la planification écologique, le changement de la matrice politique du pays, on prenne le temps de les organiser.

Vous dites rentrer chez vous une fois la nouvelle Constitution adoptée. C’est un effet de style ?

Si nous avons changé de Constitution, je lui donnerai la possibilité de s’appliquer immédiatement en me retirant. À partir de là, le nouveau système sera en place. Alors, vous dire ce que je ferai à ce moment-là, je n’en sais rien. Mon aspiration personnelle est de dire : j’ai fait le travail, j’ai tout mis en route pour la même politique, si elle vous convient. Parce qu’il y aura des élections générales et des gens pour l’appliquer. Mais je ne jouerai pas avec les dates.

Votre projet est considérable : 173 milliards de dépenses, 100 milliards d’investissements. Pour quelles priorités ?

D’abord, il faut bien comprendre qu’injecter de telles sommes dans l’économie est un circuit, avec des recettes à la sortie. Mon programme rapporte plus qu’il ne coûte. Quand le taux de TVA est de 20 %, vous récupérez déjà 20 milliards sur l’investissement. De même, quand on dit 173 milliards, c’est 173 milliards qui se transforment en paie, en consommation, et donc en impôt sur le revenu et à nouveau en taxes. Ce ne sont pas des choses écrites sur un coin de table ! Nous avons fait tourner les modèles économiques. Le FMI, qui n’est pas une organisation gauchiste, dit que, pour un euro investi et emprunté, il y a trois euros d’activité. Nous avons choisi un coefficient multiplicateur de 1,5 et non de 3.

Le retour sur investissement n’est pas immédiat !

Tout le problème que nous aurons à traiter, c’est celui de la montée en puissance pour qu’il n’y ait pas trop de temps entre le moment où la somme est injectée et où le retour s’amorce. Et si 100 milliards ne suffisaient pas, il faudrait recommencer avec 100 milliards au bout de deux ans. Il faut se rendre compte que M. Fillon Premier ministre a fait 600 milliards de dette. Et quand il propose 500 000 fonctionnaires de moins, c’est 500 000 paies en moins, de la consommation en moins, des impôts en moins.

Vous êtes le candidat dont les dépenses supplémentaires sont les plus élevées...

Mettez ce chiffre en parallèle avec les 100 milliards nécessaires pour le carénage des centrales nucléaires. Et là, personne ne dit rien !

Quelle serait la première mesure importante ? Le Smic ?

Quand vous avez un programme qui est mûri pendant plus d’un an de travail commun, c’est assez difficile de dire la mesure du premier jour. 80 % des personnes payées au Smic sont des femmes, le plus souvent des temps partiels. Il est à peine 100 € au-dessus du seuil de pauvreté ! Pour ces personnes, 173 € de plus par mois, c’est une somme considérable.

Pour les entreprises aussi !

Dans le même temps, je prévois une baisse de l’impôt des petites entreprises et un taux d’escompte à 0 % pour elles. De la même manière, s’efforcer que les cantines scolaires deviennent gratuites le plus rapidement possible est un cercle vertueux. Il y a six millions de personnes en insécurité alimentaire ! Et c’est ce qui va donner un coup de fouet à l’agriculture bio de masse, à travers des appels d’offres locaux.

Si les Français se disent que Mélenchon est fou, si les épargnants, les actionnaires prennent peur et quittent le pays, vous faites quoi ?

Je ne le crains pas. La solvabilité d’un pays, c’est un tout. Peu de nations sont aussi solvables que les grandes nations européennes. La dette de la France, c’est du bon papier. Il n’y a aucune raison d’aller mettre ses économies ailleurs. D’ailleurs, ça ne servirait pas à grand-chose : nous allons voter la loi sur l’impôt universel. Du moment que vous êtes Français, où que vous soyez, vous paierez ce que vous devez à la France.

Vous envisagez quand même un blocage des avoirs !

Il y a plusieurs économistes de mon équipe qui disent qu’il faut rétablir un contrôle des capitaux. C’est une affaire technique. Ils se débrouilleront, c’est eux les experts ! On a connu des fuites de capitaux en 1981, mais, aujourd’hui, les chocs sont amortis par la zone euro.

Vous voulez interdire les licenciements boursiers. Ça vise qui ?

Il s’agit de limiter les droits du capital dans les entreprises qui licencient pour faire monter les cours de Bourse. Ça part de l’idée que la qualité du traitement social réservé aux gens contribue à l’essor de l’économie. Aujourd’hui, on pense que plus on maltraite les gens, moins on les paie, mieux ça va aller ! De même, le pouvoir de vote des actionnaires dépendra de la durée de leurs investissements. Il s’agit de combattre ceux qui rachètent des entreprises pour les dépouiller. J’ajoute le droit de préemption des salariés pour racheter leur entreprise quand elle est mise en vente, s’ils se mettent en coopérative.

Vous croyez à une croissance bleue et pas seulement verte ?

La France a le deuxième domaine maritime mondial après celui des États-Unis. Je crois que ce secteur peut permettre la création de 300 000 emplois. Ce chiffre, ce n’est pas moi qui le donne, mais les professionnels de ce secteur. Je pense que ça fera plus si on s’y met sérieusement.

Comment vous-y prenez-vous ?

L’économie de la mer nécessite d’abord la formation de plusieurs dizaines de milliers de cadres, ouvriers, ingénieurs et techniciens. Il faudrait au moins un lycée professionnel de la mer par département côtier. Vous n’en avez pas dans les Bouches-du-Rhône ! Ensuite, on a besoin d’une planification très sérieuse. Tout ne demande qu’à démarrer. Il y a un potentiel et un savoir-faire extraordinaires. Nous avons des chercheurs. Ce qu’il faut, c’est de l’argent.

La gestion du dossier STX vous a-t-elle déçu ?

Je ne comprends pas que les industriels français de ce secteur n’aient pas été plus offensifs. Vous avez un carnet de commandes plein et la garantie de l’État. Ce n’était tout de même pas une folle aventure capitalistique.

Étiez-vous favorable à une nationalisation ?

Vous savez bien ce qui s’est passé. On a accepté l’Italien et, en contrepartie, on a laissé le champ libre à Vivendi en Italie. Moi, je veux que ce chantier naval redevienne français. C’est la plus grande forme dont on dispose en France pour construire des bateaux, notamment militaires. On ne va pas aller les faire en Chine.

Quels traités européens voulez-vous renégocier ?

En 2005 et en 2012, la volonté populaire a été détournée par les Présidents. Et on va attendre que l’Europe se soit effondrée pour réagir ? Les Anglais sont partis. Dans l’Europe de l’Est, on voit apparaître une opinion très antieuropéenne.

Que voulez-vous obtenir dans cette renégociation ?

Il y a déjà sur la table un projet de négociation d’un traité européen. C’est un processus qui est ouvert. Quand j’arriverai, je ne serai donc pas l’iconoclaste qui déclenche un scandale. Je veux qu’on modifie plusieurs points clefs et notamment celui lié à l’harmonisation sociale. Aujourd’hui, elle est interdite.

Mais rien n’interdit des discussions ?

Vous pouvez aussi appeler ça une coopération renforcée. Mais c’est un marché de dupes. Tous les pays doivent être concernés.

Qu’est-ce qui vous choque dans la situation actuelle ?

Aujourd’hui, l’harmonisation se fait par le bas. Certains baissent leurs impôts, d’autres leurs cotisations sociales. On pourrait très bien imaginer des critères de convergence sociale, comme on a eu des critères de convergence économiques au moment du passage à l’euro.

Et si la négociation n’aboutit pas ?

Nous nous en allons. Mais je pense que la parole de la France sera entendue.

C’est un bras de fer risqué…

Vous avez vu comment Monsieur Schäuble a traité la Grèce ? Alexis Tsipras avait les moyens de négocier. S’il avait menacé en disant « je ne peux plus payer », la Grèce aurait été mise en banqueroute. Pour les Français, la facture liée au mécanisme de stabilisation financière aurait été de 40 milliards d’euros et de 60 milliards pour les Allemands. Il y avait bien une marge de négociation. Je fais un pari raisonnable. Nos partenaires européens doivent comprendre qu’on ne peut plus continuer comme ça. Sinon, l’Europe va se fracasser.

Mais quitter l’euro priverait la France de soutiens pour financer sa relance !

Il faut aller au bout de la discussion : vous pensez réellement que la France manque d’argent ? Notre seul problème, c’est la peur que nous avons de nous avancer sur la scène et de dire que nous allons changer les choses. Le patrimoine de la France est de 13 000 milliards d’euros. Quel pays a une puissance aussi grande que le nôtre ? Dans les comptes de l’assurance vie, nous avons 1 500 milliards d’euros. Il nous suffirait de dire que l’avantage fiscal est annulé pour l’euro investi à l’extérieur du pays et maintenu s’il est investi en France. Cela nous donnerait 750 milliards disponibles.

L’isolement de la France ne vous inquiète pas ?

Ça n’existe pas.

Restez-vous Européen ?

Tous les hommes de gauche depuis un siècle sont Européens. Nous savons tous que l’Europe c’est la paix. Nous sommes sur un volcan. Faire de la politique, c’est refuser de subir les événements. Pas de quoi se mettre à la remorque de quatre ou cinq comptables qui ont réussi en dix ans à ruiner tous les pays qui nous entourent.

Mais l’Europe n’a-t-elle pas besoin d’être unie ?

Elle a surtout besoin d’initiatives politiques. Les frontières sont menacées dans un certain nombre d’endroits en Europe. Ceux qui se contentent de le constater et d’avoir pour ré- ponse que nous allons nous armer nous mettent dans une situation dangereuse. La méthode utilisée pour le changement de frontière en Ukraine, c’est les sanctions et la militarisation. C’est une erreur ! C’est parce que les frontières ont été mises en cause que je propose une conférence pour la sécurité de l’Atlantique à l’Oural, pour discuter avec les Russes. Parce que d’autres problèmes de frontières vont surgir, avec l’Écosse ou en Irlande par exemple !

Poutine peut-il lâcher la Crimée ?

En tout cas, on doit mettre sur la table qu’on n’accepte pas ce genre de changement.

Ils sont morts tous les deux. Je les ai défendus dans des circonstances où ils étaient attaqués. Cuba a défendu tous les mouvements de libération nationale d’Amérique latine et dû subir l’embargo des États-Unis, pourtant condamné par l’Onu. Mais je n’ai jamais approuvé la façon dont était organisée politiquement Cuba. Je n’ai pas l’intention de faire Cuba en France.

La politique menée par Chávez au Venezuela a conduit le pays à la ruine !

Le Venezuela avait une politique de social-démocrate. Personne n’a été exproprié. Il n’y a pas eu de nationalisations non plus. J’ai soutenu Chávez contre l’agression des Américains. Aujourd’hui, le problème de ce pays, c’est d’abord la baisse du prix du pétrole. Je n’y suis pour rien. Je trouve que c’est un signe d’extrême désarroi intellectuel de m’affronter sur un terrain pareil avec une telle caricature.

François Hollande parle du « péril Mélenchon »...

Je trouve que les détestations personnelles de François Hollande l’aveuglent. Quand je suis à 18 %, il pense que je sens mauvais. Mais qu’a-t-il dit quand Marine Le Pen était à presque 30 % ?


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message