Les Pays-Bas, « nation capitaliste modèle », la crise de la gauche et la montée d’une extrême droite islamophobe

mardi 14 mars 2017.
 

Le 15 mars vont se tenir les élections générales aux Pays-Bas, et il semble que le pays n’échappe pas à la tendance de montée en force de la droite radicale et de crise du centre-gauche.

Mais les partis de gauche connaissent eux aussi des difficultés, et les mouvements sociaux sont en recherche d’une voie à suivre. Une extrême-droite radicalisée, qui se donne une islamophobie virulente comme pilier, est parvenue à transformer le paysage politique et social.

Rien ne sert de nier que, pour la gauche, la situation est morose. Comment en est-on arrivé là ?

La nation capitaliste modèle

Décrits autrefois par Karl Marx comme la nation modèle du capitalisme marchand, les Pays-Bas ont toujours connu un mouvement ouvrier relativement faible. Petite, mais située dans une position commerciale stratégique, la République hollandaise était à la pointe en tant que pays capitaliste marchand au XVIIe siècle. Mais cette avance est devenue un désavantage avec le début de la révolution industrielle.

C’est seulement à la fin du XIXe siècle, pendant l’onde longue d’expansion qui a précédé la Première Guerre mondiale, que l’industrialisation s’est accélérée, et avec elle la création d’une classe ouvrière moderne. Pendant longtemps, la classe ouvrière a été divisée selon des clivages confessionnels. Outre un mouvement ouvrier protestant, un mouvement des laissés-pour-compte catholiques s’est développé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Les organisations ouvrières confessionnelles faisaient partie de milieux interclassistes qui incluaient des organisations économiques, culturelles, sociales et politiques. Ces courants formaient ce que les sociologues ont nommé des « piliers », de véritables sociétés parallèles. Cependant, les dirigeants de ces piliers étaient en contact les uns avec les autres en permanence, développant une culture du consensus et du « don/contre-don » qui désamorçait les conflits politiques. Le socialisme hollandais s’est développé tardivement, avec la fondation du Sociaal-Democratische Arbeiders Partij [Parti social-démocrate des travailleurs, ndt] (SDAP) en 1893. Ce parti et les syndicats et réseaux qui lui étaient reliés ont été rapidement intégrés dans le “système des piliers”. En l’absence d’une contestation populaire sérieuse, la bourgeoisie hollandaise pouvait se permettre le luxe d’un régime relativement libéral.

Dans la mesure où l’industrialisation pris du retard, l’importance relative des possessions coloniales hollandaise, en particulier l’Indonésie, augmenta. L’importance du commerce, en provenance des colonies ou à partir du port de Rotterdam en direction des nouvelles industries en Allemagne, signifiait qu’un nombre important de gens travaillaient dans le secteur des services, plutôt que dans des industries de grande taille qui dans les pays limitrophes devinrent les bastions du mouvement ouvrier. Avant la Seconde Guerre mondiale, le syndicat social-démocrate, le NVV, organisait moins de la moitié des syndiqué.e.s, tandis que le SDAP ne remportait pas un quart des votes.

Après la guerre le système politique hollandais changea complètement. Une seconde phase d’industrialisation compléta le processus d’industrialisation. Les églises perdirent leur influence sur la génération née après la guerre. La « révolution culturelle » des années 1960 a transformé en profondeur la société hollandaise, et la bourgeoisie hollandaise se montrait flexible et acceptait les aménagements. Dans les universités et les lieux de travail, les anciennes hiérarchies furent remises en cause et les étudiant.e.s et les travailleuses/eurs obtinrent plus d’autonomie. Une grande partie de la nouvelle sensibilité gauchiste fut captée par le Partij van de Arbeid [Parti du Travail] social démocrate (PvdA, la re-fondation du SDAP après-guerre). Avec quelques années de retard, les femmes ainsi que les gays et lesbiennes obtinrent plus de droits.

La vieille mythologie nationaliste des Pays-Bas comme le pays de braves explorateurs et marins fut remplacée par une mythologie nouvelle du pays comme « nation marchande » libérale, que l’engagement dans le commerce mondial avait supposément rendue exceptionnellement humanitaire et tolérante. Cette idée, résumée dans l’expression « Nederland, gidsland » (« Les pays-Bas, un pays modèle »), évacuait le long passé colonial ainsi que le rôle important du pays dans le commerce des esclaves, mais transformait des éléments de la nouvelle hégémonie libérale en un nouvel idéal nationaliste.

Une manifestation de cette « tolérance répressive » efficace fut que le pays ne connut jamais un mouvement semblable à ce qu’il se passa dans les pays voisins. Les années 1960 n’y ont pas non plus produit une gauche radicale durable.

La fin d’une ère

En 1977, le Premier ministre PvdA Joop den Uyl reconnaissait que la fin de l’onde expansive d’après-guerre signifiait la fin d’une ère. Il prédisait soit une « lutte âpre pour les acquis, les droits existants et les privilèges menacés » ou « un choix clair en faveur des plus vulnérables de la société, nationalement et à un niveau mondial ».

L’histoire prit un autre cours à partir du moment où le mouvement ouvrier et la nouvelle gauche furent intégrés au système avec succès. A mesure que le nombre de chômeuses/eurs approchait le million pour une population totale de 14 millions de personnes, au lieu d’une lutte déterminée le mouvement syndical se compromit en 1982 en acceptant avec « l’accord Wassenaar » une politique de modération salariale et de « responsabilité partagée » pour la croissance économique et la profitabilité. Déjà en 1982, den Uyl admettait que la crise et le chômage étaient utilisés pour « diminuer le pouvoir des syndicats, restaurer les vieux privilèges, augmenter les inégalités, et démolir l’état social ». Pendant cette même décennie, l’extrême-gauche disparut du parlement.

Dans les années 1990, les politiques néolibérales sont devenues hégémoniques. Le PvdA, après avoir été dans l’opposition pendant des années, forma en 1994 un gouvernement de coalition avec le parti de la droite traditionnelle : le VVD (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie, Parti populaire pour la liberté et la démocratie), un parti séculier et pro-patronal. Le PvdA se convertit à la politique blairiste de la « troisième voie ». Sous l’impulsion des ex-socio-démocrates, la décennie 1990 a vu le marché du travail et le marché du logement être libéralisés, une part importante de la sécurité sociale, du secteur de la santé et du régime de retraites, ainsi que des entreprises publiques, être démantelés et privatisés.

Mais les taux de croissance économique étaient plus élevés que ce qu’ils avaient été au début des années 1970. « L’accord Wassenaar » et la politique volontaire de modération salariale, fruits de la culture de la négation du conflit et de la pacification au sein de l’élite héritée du « système des piliers », furent célébrées comme étant une « caractéristique hollandaise » spécifique qui permettait supposément au pays d’éviter des conflits « inutiles » et « coûteux » comme des grèves ou d’autres luttes sociales.

L’essentiel de cette nouvelle croissance économique était dû au secteur des services financiers. Aujourd’hui, plus d’un quart des « exportations » hollandaises sont des services financiers. Bien que le secteur financier ait créé relativement peu d’emplois, il a joué un rôle déterminant dans l’économie hollandaise, et les entreprises hollandaises occupent une place importante dans les secteurs financiers et bancaires internationaux.

Corrélativement, l’orientation pro-européenne affirmée est majoritaire dans la bourgeoisie hollandaise. Le pays a toujours été une force limitée mais motrice dans l’intégration européenne. En tout état de cause, son intérêt dans la poursuite de l’expansion de l’UE a augmenté plutôt que diminué. Les Pays-Bas sont le second plus grand exportateur de l’UE, et plus de 50 % de ses exportations et ré-exportations sont à destination de l’UE. L’ardeur avec laquelle Jeroen Dijsselbloem, Ministre des finances, président temporaire de l’Euro-groupe et figure majeure du PvdA, s’est consacré à la destruction de la société grecque au profit du secteur financier est une illustration parlante de cette politique hollandaise née dans les années 1990.

De nouvelles forces politiques

Depuis le tournant du siècle, cet ordre des choses est déstabilisé. Le premier défi est venu de la gauche à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Les racines du PS (Parti socialiste – bien que le parti n’utilise plus son nom complet) viennent d’un petit parti maoïste, produit de la radicalisation de la jeunesse dans les années 1960. La faiblesse de la gauche hollandaise a permis à un petit groupe d’activistes maoïstes de s’implanter au sein des travailleurses/eurs non organisé.e.s, principalement catholiques.

Au début des années 1990, le PS fut capable de se réinventer en parti social-démocrate parlementaire, tandis que le Parti communiste et l’extrême-gauche se dissolvaient au sein d’un nouveau Parti vert et que PvdA endossait le social-libéralisme. Du fait du système hollandais de représentation proportionnelle, 118 738 votes (1,3%) permirent au PS de remporter deux sièges en 1994. En 1998 le PS remporta 5 sièges. Au tournant du siècle, le parti poursuivit son tournant idéologique, abandonnant les références marxistes, en endossant un socialisme éthique et en faisant des batailles électorales le cœur de son activité. En 2002 le parti remporta 9 sièges et depuis il tente de se positionner comme le prochain parti de gouvernement et comme alternative au PvdA.

Pendant ce temps, l’autre côté du spectre politique vit également la montée d’un courant contestataire. Pim Fortuyn, un ancien social-démocrate qui avait travaillé comme universitaire et fonctionnaire, devint de plus en plus connu pour ses tribunes et ses prises de position de droite au cours des années 1990. Il surfait sur un nouveau sens commun néolibéral en réclamant plus de libéralisation et plus de coupes budgétaires dans les services publics. Cependant, il combinait ce libéralisme économique de droite avec un populisme nationaliste qui se lamentait sur la perte de la communauté et l’érosion des normes et valeurs sociales. De plus en plus, une chose appelée « la culture islamique », supposément uniforme et rétive au changement historique, était mise en avant comme une menace envers la société hollandaise.

Dans la mesure où Fortuyn revendiquait de critiquer la « culture », et non d’attaquer les gens pour leur ethnicité en tant que telle, il évitait le tabou du vieux racisme biologique de l’extrême-droite. Une autre façon dont il se démarqua de l’extrême-droite, tout en accumulant les armes pour lutter contre « la culture islamique », fut d’incorporer des éléments de l’idéologie néolibérale hégémonique. Fortuyn intégra des concepts tels que la séparation de l’Église et de l’Etats ou encore l’égalité des droits pour les femmes et les homosexuel.le.s dans la « culture hollandaise », supposément menacée. L’altérisation culturelle remplaça l’altérisation raciale.

Le chauvinisme du « Pays-Bas, pays modèle » se révéla une arme très efficace et distingua cette nouvelle droite populiste de l’ancienne extrême-droite fasciste. Il nourrit ce que la théoricienne antiraciste Gloria Wekker appela plus tard « l’innocence blanche » : l’idéologie selon laquelle la société hollandaise ne peut tout simplement pas être raciste car elle serait intrinsèquement égalitaire.

Après être entré dans l’arène politique en 2001, Pim Fortuyn devint très populaire. En comparaison avec les politiciens fades et technocrates produits par le consensus néolibéral, Fortuyn se démarquait comme un homme de spectacle doué. Alors que les autres hommes politiques étaient en concurrence les uns avec les autres pour convaincre les gens qu’ils étaient le meilleur candidat pour maintenir le statu quo, Fortuyn affirmait qu’il remettrait en cause ce statu quo. Cette posture lui permit d’obtenir le soutien de personnes qui, pour différentes raisons, se sentaient ignorées par la classe dirigeante.

Fortuyn fut assassiné en 2002, et son parti se disloqua. Mais il devint une sorte de figure prophétique pour un courant nationaliste nouveau, incarné ces dix dernières années par plusieurs partis. L’extrême-droite hollandaise actuelle est une héritière de Fortuyn, et le PVV [Partij voor de Vrijheid, Parti pour la liberté, ndt] de Geert Wilders est l’incarnation la plus récente de cette droite nationaliste et populiste. C’en est aussi l’incarnation la plus radicale. Geert Wilders est un politicien professionnel qui commença en tant que parlementaire pour l’aile droite du VVD. Dans les années 1990, Wilders était un « poulain » de Fritz Bolkestein, le futur Commissaire européen au marché intérieur et aux services. Avant Fortuyn, Bolkestein avait introduit l’idée d’un choc des civilisations entre « l’Ouest » et « l’Islam » au sein de la politique dominante hollandaise. Plus tard, il déclara à l’écrivain Ian Buruma : « Vous ne devriez jamais sous-estimer à quel point les immigrants marocains et turcs sont haïs par les hollandais. Mon succès politique repose sur le fait que j’ai écouté ces sentiments-là ».

En 2004, Wilders quitta le VVD et deux ans plus tard il forma son propre parti, le Partij voor de Vrijheid (PVV, Parti de la liberté). Comme pour Bolkestein et Fortuyn, l’hostilité envers les musulman.e.s était centrale pour ce nouveau parti. En 2004, le pays fut sous le choc d’un autre assassinat quand le réalisateur et journaliste Theo van Gogh fut tué par un fondamentaliste musulman. Après le meurtre, des dizaines de mosquées et un grand nombre de gens furent attaqués. Surfant sur cette vague, le PVV remporta 9 sièges au parlement sur 150, lors des premières élections auxquelles il participa en 2006.

Depuis, le PVV a évolué de deux manières. D’une part, alors qu’il mettait autrefois en avant un programme économique néolibéral dur, il se présente maintenant comme un défenseur de l’État providence hollandais. Comme d’autres acquis tels que les droits des femmes, les services publics sont présentés comme des produits de la « culture hollandaise » et donc menacés par des cultures étrangères, en particulier par l’Islam. A travers les accords que le PVV a passés avec des partis de droite au parlement, il est apparu que son « chauvinisme social » est secondaire par rapport à ses objectifs anti-Islam et anti-immigrant.e.s. Sur ces questions, le parti s’est radicalisé de manière continue.

Aujourd’hui, les positions du PVV incluent de conditionner la sécurité sociale à l’ancienneté de la citoyenneté et à la maîtrise de la langue, d’exclure de la sécurité sociale les personnes qui portent une burqua ou un niquab, d’interdire le Coran, de fermer les frontières aux réfugié.e.s et de démanteler tous les centres d’accueil pour les réfugié.e.s, de fermer toutes les mosquées, d’interdire aux personnes titulaires d’une double nationalité d’occuper des postes de fonctionnaires, d’interdire le port du foulard islamique pour les fonctionnaires, l’arrestation préventive des « musulman.e.s radicaux/ales », et l’interdiction complète de l’immigration depuis les pays musulmans.

Pour le PVV, le chauvinisme social et l’islamophobie sont intimement connectés. L’État providence est menacé à cause de l’immigration, clame le PVV. Les hollandais.e.s musulman.e.s, les migrant.e.s et les réfugié.e.s musulman.e.s, qui font tous partie de la même menace islamique dans le discours du PVV, sont censé.e.s parasiter un système bâti par les « vrai.e.s hollandais.e.s », et sont autorisé.e.s à le faire par une « élite gauchiste » qui contrôlerait le pays. Le PVV présente ses propositions racistes comme des moyens de sauver ce qu’il reste de l’État providence. C’est en partie cela qui explique que le soutien apporté par le PVV aux mesures d’austérité n’a pas automatiquement abouti à un déclin de sa popularité ; l’austérité après tout est censée être rendue nécessaire par les musulman.e.s et ne peut être stoppée que par des mesures radicales et racistes qui priveraient des centaines de milliers de citoyen.ne.s hollandais.e.s et de migrant.e.s de leurs droits constitutionnels.

Aujourd’hui

Le gouvernement hollandais actuel est, comme dans les années 1990, une coalition entre le PvdA et le VVD. Au sein de cette coalition, le PvdA est la partie dominée. Sur les enjeux économiques et sociaux mais aussi sur des questions comme les réfugié.e.s, le parti de droite, le VVD, est dominant. Le gouvernement a mis en place des mesures d’austérité qui entre autres choses ont signifié la suppression de milliers d’emplois dans les secteurs publics et dans la santé, la réduction des allocations pour les personnes atteintes de maladies chroniques, et la disparition des bourses pour les étudiant.e.s. En fait, le gouvernement a été si assidu dans l’application des mesures d’austérité que même la banque ING a publié un rapport qui a conclu que ces politiques ont « inutilement » abouti à la disparition de centaines de milliers d’emplois. Et pourtant, le PvdA a rejoint ce gouvernement après avoir effectué un tournant à gauche pendant la campagne législative dans l’espoir de contrer la menace d’une popularité croissante du PS. Les sondages actuels ne prédisent rien de bon pour le PvdA, prévoyant une perte de deux tiers de ses sièges. Le VVD semble en bonne voie pour perdre des sièges lui aussi, mais de manière moins prononcée.

Aujourd’hui, les autres partis politiques en sont souvent réduits à répondre au PVV. Le VVD est entré dans une sorte de symbiose avec le PVV, se présentant comme la version « raisonnable » du PVV radical. L’original, non dilué, obtient pendant ce temps-là de plus en plus de succès, les sondages prévoient que le parti pourrait doubler son score jusqu’à environ un cinquième des votes, devenant ainsi le plus gros parti au parlement.

Le PS, lui, semble peu bénéficier de l’implosion annoncée du PvdA. Une des raisons qui explique cela est la place prépondérante prise par le PVV dans le débat public. Le PS rencontrait du succès quand il pouvait mettre en avant ses propositions économiques et sociales, mais le vacarme islamophobe et anti-migrant.e.s du PVV, redoublé par le VVD, empêche toute discussion sur les questions socio-économiques.

Le PS ne s’est jamais intéressé aux campagnes antiracistes. Il a toujours considéré le racisme comme un effet secondaire, produit par la misère socio-économique et la concurrence entre travailleuses/eurs : améliorez la situation socio-économique, des gens, et le racisme disparaîtra presque automatiquement. Parler du racisme, c’est faire diversion par rapport aux enjeux supposément réels. Cette position fait que le programme du PS mentionne à peine le terme « racisme » alors que le racisme est partout. Les sondages font apparaître qu’une fraction considérable des nouveaux/elles votant.e.s pour le PVV votaient auparavant pour le PS.

Sa négligence vis-à-vis du racisme signifie aussi que le PS est incapable d’organiser les gens qui sont visés et qui veulent se battre. Les élections à venir vont voir la participation de plusieurs nouveaux partis qui, avec un petit succès, ont fait de l’antiracisme le thème central de leur campagne. Ainsi, on s’attend à ce que les Verts remportent une victoire importante, devenant peut-être plus gros que le PS. Les Verts hollandais, Groenlinks, sont traditionnellement vus comme antiracistes et il ne fait pas de doute que beaucoup de gens vont voter pour eux pour contrer le PVV.

L’orientation du PS vers la participation gouvernementale est un autre dilemme. Jusqu’à présent, le PvdA a écarté la menace du PS avec succès en le présentant comme un parti « inexpérimenté » et « irréaliste », et donc incapable d’apporter une quelconque amélioration pour les gens. Le PS a réagi en modérant ses revendications, acceptant par exemple l’augmentation de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans et le Mécanisme de Stabilité européen. Pour faire la preuve de sa capacité à gouverner, le PS a intégré différentes exécutifs, comme à Amsterdam où il a formé une coalition avec les partis de droite. Mais cette approche a aussi signifié que le parti est de moins en moins vu comme un parti d’opposition, et considéré par beaucoup comme trop apprivoisé. Le PS tente de dépasser cela par des revendications offensives telles que l’augmentation du salaire minimum, en demandant à nouveau que l’âge de départ en retraite soit fixé à 65 ans, avec une augmentation des pensions, une diminution des loyers, et le parti fait campagne avec le slogan « prenez le pouvoir » ; mais les sondages prévoient qu’il dépasse à peine les 10 % qu’il a recueillis en 2012, ou même qu’il perde des voix.

Le PS se débat avec une contradiction : est-il le parti de la contestation sociale, ou un parti de gouvernement en devenir, une version « améliorée » du PvdA ? D’un point de vue électoral, la seconde option ne semble pas atteignable, à la différence de 2006 où le parti avait remporté 26 sièges. Mais le parti ne peut pas non plus se positionner comme le dirigeant de la contestation sociale, dans la mesure où il néglige un des enjeux centraux : le racisme.

Mais les problèmes de la gauche hollandaise sont plus fondamentaux que l’orientation du PS. En résumé, le pays connaît un niveau élevé de colère et d’insatisfaction qui sont captés par la droite populiste alors que les mobilisations sociales sont à un niveau très bas. Les mouvements sociaux sont très faibles. Un domaine qui a connu une certaine dynamique est l’antiracisme, qui attire de nouveaux/elles militant.e.s, souvent jeunes et racisé.e.s. Mais nous sommes encore loin d’un mouvement de masse.

La principale confédération syndicale, le FNV [Federatie Nederlandse Vakbeweging, Confédération syndicale des Pays-Bas, ndt], connaît au même moment une transformation compliquée. Depuis les années 1980, la syndicalisation a baissé de 35 % à moins de 20 %. Encore plus inquiétante est la détérioration des structures syndicales. Il y a un manque de militant.e.s et de savoir-faire élémentaire. Dans les termes d’un syndicaliste, des décennies de modération salariale volontaire ont fait que le FNV est passé d’une situation où il ne voulait pas lutter à une situation où il ne sait même plus comment lutter. Quand, il y a quelques années, le FNV a décidé, pour la première fois depuis des décennies, d’organiser un événement pour le 1er mai, l’organisation en a été externalisée et l’agence organisatrice a installé des palissades autour du terrain de sorte que les passant.e.s pouvaient à peine voir ce qu’il se passait.

Ces dernières années cependant, des progrès ont eu lieu. La structure de la fédération a été réformée pour la rendre plus démocratique, et des militant.e.s cherchent à orienter les syndicats vers une approche plus activiste, une approche susceptible également d’attirer des travailleuses/eurs plus jeunes et plus précaires que la base habituelle des travailleurs hommes et blancs. Mais c’est un processus lent et compliqué pour le moment.

Les transformations difficiles mais réelles dans les syndicats, le début de nouvelles initiatives et structures antiracistes sont des boucliers potentiels contre l’actuel virage à droite du pays. Bien qu’il soit moins radical que le présentent parfois ses opposants de droite qui veulent le dénoncer comme un parti irréaliste ou des anticapitalistes étranger.e.s à la recherche d’une « success-strory », la popularité du PS ne se dément pas, ce qui montre que beaucoup de gens veulent des Pays-Bas différents. Faire converger ces éléments d’espoir, parfois composés de gens très différents, est un projet difficile et de long terme. Mais c’est le seul moyen de s’en sortir.

Alex de Jong

* « Islamophobie, austérité et crise de la gauche : la marche boiteuse des Pays-Bas vers les élections ». :


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