Aujourd’hui, la candidature de division est celle de Benoît Hamon.

mardi 7 mars 2017.
 

C’est le question européenne qui constitue le fond de l’affaire et c’est ce que ne veulent pas comprendre les pleureuses de l’unité

... Les candidatures de Mélenchon et Hamon ne sont pas le résultat d’une guerre des « ego », même si cet aspect existe, ni d’une volonté diabolique de l’un, de l’autre ou des deux de précipiter la défaite. Il y a des causes profondes.

En vérité, ce que cette situation met en lumière, c’est que la gauche n’existe plus. Formation transitoire, née au début du XXe siècle de l’alliance de la bourgeoisie républicaine (les radicaux) et du mouvement ouvrier, formation ambiguë qui reposait sur l’idée d’une conciliation à long terme des intérêts de la bourgeoisie éclairée et des travailleurs, la gauche a toujours eu une existence mouvementée et fort incertaine.

La création du parti communiste en 1920 est une fracture claire, vingt ans après l’affaire Dreyfus. Le parti né de la révolution russe ne fait pas partie de la gauche, il s’oppose au « cartel des gauches » qui associe la SFIO aux radicaux. Aux « 21 conditions » d’adhésion à l’Internationale Communiste est ajoutée une 22e condition spécifique à la France, l’interdiction d’appartenir à la franc-maçonnerie, carrefour privilégié des rencontres entre les chefs socialistes et les bourgeois de toutes obédiences, « union de la gauche » dont l’influence parlementaire fut si importante. Il faudra attendre 1935 et la création du Front Populaire pour que se reconstitue la « gauche ». Et cette reconstitution ne survivra pas au pacte germano-soviétique et à la mise hors la loi du PCF. Dans les années qui ont suivi la Libération, un scénario semblable se reproduit. Après le gouvernement d’union nationale issu de la résistance, la guerre froide met le PCF hors de la gauche. Comme le dit Guy Mollet : les communistes ne sont ni à droite, ni à gauche. Ils sont à l’Est ! Face à De Gaulle, là encore la gauche se brise. Alors que Guy Mollet avait été investi à la tête du Front Républicain en 1956 grâce au soutien du PCF, c’est le même Guy Mollet qui engage la guerre à outrance en Algérie et ouvre la voie à De Gaulle … et à une première saignée dans l’électorat communiste.

Et encore : je n’ai évoqué ici que les rapports entre le PCF, les socialistes et les radicaux. Jusqu’aux années 70, les trotskistes se sont toujours clairement opposés à la gauche. Quand la Ligue Communiste de Krivine décide en 1972 de soutenir l’Union de la gauche, nouvellement formée, elle se heurte à l’hostilité interne de militants comme Gérard Filoche qui dénonce l’alliance avec la bourgeoisie et à l’hostilité externe de la plupart des autres courants du trotskisme (Lutte Ouvrière, OCI, Ligue spartakiste, « Contre le Courant », etc.). Sans parler non plus de tous ces courants ouvriers anarchisants ou anarcho-syndicalistes qui sont restés longtemps influents dans le mouvement ouvrier français.

Bref l’Union de la Gauche n’a jamais été qu’un slogan politique et non le contenu de l’histoire sociale et politique dans ce pays. Certes, à la base, il y a toujours eu plus ou moins un sentiment vague de communauté d’aspirations politiques mêlant républicanisme, patriotisme et revendications sociales. Ce sentiment populaire, très ancien dans notre pays croyait trouver une expression politique dans l’alliance des partis ouvriers et des radicaux laïques et anticléricaux. Mais cette formule politique a surtout fonctionné comme le moyen de trahir les revendications populaires et de faire rentrer dans le rang le mouvement social. Les acquis sociaux de 1936 sont le produit de la grève générale qui contraint la bourgeoisie à faire appel à Blum pour calmer le jeu. Les acquis de la Libération sont le fruit du mouvement quasi-insurrectionnel de la Libération, mouvement qui a vu s’instaurer brièvement un véritable double pouvoir dans le pays. Mai-Juin 1968 ignore totalement l’Union de la gauche qui avait pourtant mis De Gaulle en ballottage en 1965 et n’avait laissé qu’un siège de majorité à De Gaulle en 1967. Identifier le mouvement populaire avec ses exploiteurs politiques est une grave erreur.

Manuel Valls a dit deux choses très vraies, avant de vouloir devenir candidat du PS. Primo : qu’il fallait changer le nom du PS et se débarrasser de cette étiquette « socialiste » devenue vide de sens ; secundo : qu’il y a deux gauches irréconciliables. Que le PS ne soit plus socialiste, à quelque titre que ce soit, même celui du réformisme le plus plat, c’est évident. Je renvoie à l’ouvrage que Jacques Cotta et moi-même avons publié en 2001, L’Illusion plurielle (JC Lattès). Qu’il y ait deux gauches irréconciliables, c’est non moins évident et ce depuis au moins 1982-1983. Mitterrand est élu en 1981 sur la base d’un programme formellement anti-capitaliste – il s’agissait même, disaient quelques ténors du PS, de sortir du capitalisme en cent jours ! Rien que ça. C’était, en tout cas, un programme à côté duquel celui de Mélenchon 2017 semble très rose pâle. Il a fallu moins de deux ans pour que tout cela soit balayé. Delors impose dès l’automne 1981 une « pause » suivie d’un tournant de la rigueur en 1982-1983 et finalement d’une réorientation radicale à droite avec le gouvernement Fabius préposé au « sale boulot » (selon ses propres termes) de la liquidation des bastions de la classe ouvrière. Sur quoi tout cela s’est-il joué ? Tout simplement sur la question de l’Europe. Fallait-il adapter la politique de la France au système monétaire européen ou au contraire aller vers une « autre politique », plus indépendante, éventuellement protectionniste et plus étatiste. On le sait : Maurois et Delors ont obtenu gain de cause et c’est le choix européen qui a balayé les derniers espoirs d’une « gauche » réformiste de transformation sociale. Chez Mitterrand ce sont ne d’ailleurs pas tant les raisons économiques qui l’ont emporté que les considérations géostratégiques et notamment son atlantisme invétéré, révélé au grand jour par l’accueil triompha réservé à Reagan au sommet de Versailles en 1982 et par le fameux discours au Bundestag (« les pacifistes sont à l’ouest, les missiles sont à l’est ») apportant son soutien à la stratégie américaine visant à démanteler l’URSS.

Rien de nouveau sous le soleil donc. Le rocardien Hamon est « indéfectiblement attaché à l’intégration européenne » (déclaration sur France-Inter, 27-2-2017) tandis que Mélenchon a entrepris, à reculons, certes, de rompre – sans jamais le dire – avec son passé mitterrandiste. Deux gauches irréconciliables donc, parce qu’il est impossible d’avancer, même timidement, dans la voie de la satisfaction des revendications sociales si on reste indéfectiblement attaché à l’intégration européenne ! Certes, comme on l’a montré il y a peu, le programme de Mélenchon est loin d’être satisfaisant et le soutien qu’on peut lui apporter ne peut guère être qu’un soutien critique et insoumis aux injonctions de communier dans le culte du chef. Mais entre le timide programme de Mélenchon et le hollandisme à peine repeint en rose de Hamon, il y a un fossé. Que des militants socialistes ou communistes se laissent prendre encore au vieux piège de l’Union de la Gauche sans comprendre ce qui est vraiment en cause est tout à fait étonnant. Filoche et ses amis font de fait campagne pour que Mélenchon se désiste au profit de Hamon. Mais si une telle éventualité – écartée aujourd’hui, semble-t-il – se réalisait, cela ne signifierait pas du tout une éventuelle « victoire de la gauche » (la défaite de ce candidat unique est presque assurée), mais la disparition du maigre espoir que se reconstitue un mouvement social populaire digne de ce nom en France. Ce serait laisser la critique de l’Europe à Mme Le Pen qui parachèverait ainsi sa conquête des classes populaires et notamment des ouvriers. Vu des CSP+ et de « boboland », Hamon fait certes un « candidat de gauche » présentable. Mais cette gauche-là a définitivement disparu du cœur et des pensées des classes populaires. Elle incarne cette nouvelle petite-bourgeoisie satisfaite d’elle-même et de ses « valeurs » et si prompte à faire à tout le monde des leçons de morale insupportables. Se rallier à Hamon au nom de l’unité de la gauche et l’efficacité, c’est tout simplement vendre son droit d’aînesse pour un plat de lentilles – dans lequel il y aura d’ailleurs plus de cailloux que de lentilles.

En 1977 et jusqu’en 1981, je me souviens avoir fait campagne pour l’unité dès le premier tour et donc pour l’unité en faveur du candidat socialiste. À l’automne 1980, je faisais signer pour le vote Mitterrand dès le premier tour. Et effectivement dans les conditions de l’époque, la candidature de Marchais, tout comme la ligne Rocard « deuxième gauche », était une candidature de division au service de Giscard et de la bourgeoisie française. Aujourd’hui, la candidature de division, la candidature clairement anti-Mélenchon est celle de Hamon. Nos petits camarades filochistes et autres devraient réfléchir au changement qu’induit le changement des situations avant de répéter bêtement des slogans vieux de quarante ans.

par Denis Collin (site La Sociale), extraits


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