Où va la gauche  ?

vendredi 27 janvier 2017.
 

La décision de François Hollande de ne pas se représenter à la prochaine élection présidentielle à l’issue d’un premier mandat est un fait inédit. Que nous dit-il du climat actuel  ?

GÉRARD FILOCHE François Hollande a fait ce choix parce qu’il n’en avait pas d’autre. Après avoir, pendant plus de quatre ans, mené une politique de droite qui a fractionné la gauche, il allait droit à une élimination au premier tour de la présidentielle ou à l’humiliation de se retrouver évincé dès la primaire de la gauche. Il affirme que son bilan est bon mais qu’il devait renoncer parce qu’il ne pouvait pas rassembler la gauche. Pourquoi, si son bilan était bon, n’aurait-il pas pu rassembler la gauche  ? Manuel Valls, qui a été son premier ministre depuis 2014, devra défendre le même bilan. Le climat actuel est le même en France que dans de nombreux pays européens. Pour avoir mené une politique de droite, les Partis socialistes se retrouvent soit éliminés (le Pasok en Grèce), soit réduits à des forces d’appoint de la droite (Allemagne, Espagne, Pays-Bas…), sans, pour autant, que les partis situés à leur gauche puissent accéder au pouvoir ou (comme en Grèce) respecter leurs engagements électoraux.

ALEXIS CORBIÈRE Le climat actuel est celui des bourrasques qui peuvent autant amener des nuages noirs que nettoyer le ciel pour le beau temps. Malheur à ceux qui compteraient sur une indulgence populaire pour passer entre les gouttes des orages qu’ils ont fait éclater. C’est donc d’abord dans cette colère qui gronde que la décision de François Hollande trouve sa racine. Cette conclusion pitoyable est l’aveu du gigantesque échec de cette majorité jonchée dès le départ de trahison, de lâcheté et d’arrogance. Ce n’est pas nouveau, mais cette fois-ci, le mal est si profond que le monarque présidentiel, auquel la Ve République donne tant de pouvoir, n’est même plus en capacité d’être candidat. Cette éjection est aussi la marque des trahisons de l’entourage présidentiel de Macron à Valls. Mais ces conspirations sont vaines. L’échec n’est pas que celui d’un homme. Qui peut croire sérieusement que le premier ministre et les ministres qui ont prêté la main à cette faillite peuvent être en capacité de proposer demain autre chose que les mêmes erreurs  ? Pas d’amnésie ni amnistie. Tenons-nous à distance de ce bilan et de ceux qui le portent, sans quoi nous serons balayés avec eux  !

OLIVIER DARTIGOLLES Pour la première fois, un président sortant en capacité de se représenter, et qui souhaitait y aller, est empêché. C’est la marque de l’échec du quinquennat. Nous l’avions exprimé en début d’année lors des « lundis de gauche ». Hollande, Valls et les soutiens à leur politique connaissent et connaîtront les pires difficultés pour se tirer d’affaire. La colère est partout après plus de quatre années désastreuses et détestables. L’exaspération des peuples prend les allures d’un grand chamboule-tout. Les scénarios préétablis sont rejetés. Le climat est à une vraie confrontation sur une question  : comment voulons-nous faire société ensemble  ? La période est imprévisible. Pour du pire ou du mieux. Les dés sont de nouveau jetés. Qui décide de ce qui est possible  ? Celles et ceux qui choisissent de s’en mêler. Le climat n’est pas fait que de périls et de menaces, il est aussi une espérance en quelque chose d’autre. Notre pays est politisé, il y a de l’effervescence avec une trop grande faiblesse de la construction politique, à laquelle l’élection présidentielle ne peut répondre à elle seule.

Les candidatures se bousculent à gauche tandis que droite et extrême droite présentent respectivement un candidat unique. Face à cette période vécue à la fois comme incertaine, inquiétante et clivée… quelle stratégie et quelles propositions urgentes vous semblent devoir s’imposer  ?

ALEXIS CORBIÈRE Cette élection est imprévisible. La manière dont vous présentez les choses est discutable. La droite sera divisée  : en plus de Fillon, il y aura Dupont-Aignan, et sans doute une candidature centriste incarnée par Bayrou ou par Macron, qui, lorsqu’on écoute ses discours, se situe clairement dans ce champ idéologique. Ensuite, la candidature de Jean-Luc Mélenchon n’entre pas dans le champ de cette « bousculade » de candidatures « à gauche »  : nous ne sommes pas concernés par le congrès du PS prévu fin janvier. Pour éviter un second tour entre la droite et l’extrême droite, il faut parler « grand angle » c’est-à-dire aux 44,6 millions de citoyens, redonner goût à l’action civique et faire reculer l’abstention populaire. Il faut convaincre sur nos idées et non s’effacer derrière celles des autres. C’est la condition pour rassembler une majorité de notre peuple. Or nous ne pouvons mener cette tâche avec ceux qui sont responsables des politiques désastreuses et qui ont semé dégoût et résignation. Il faut proposer un autre chemin. Derrière un candidat PS, la défaite est certaine, alors qu’elle est possible avec Mélenchon. Assez de pessimisme  : faisons le choix de la victoire  !

OLIVIER DARTIGOLLES La primaire à droite a réglé la question du leadership et du projet. Avec Fillon et un programme mêlant Thatcher et « la Manif pour tous », jamais un candidat de droite n’est allé à l’élection avec une telle certitude de l’emporter pour imposer une régression conservatrice et réactionnaire inédite. Face à cela, Marine Le Pen veut apparaître comme un rempart. Elle parle de l’État, des services publics, des fonctionnaires, de la Sécurité sociale... pendant que Macron titre son livre Révolution. Les mots sont usurpés mais les intentions sont claires. Ce jeu à trois peut hélas s’imposer. Comme après l’élection de Trump, la finance et les marchés n’ont rien à craindre. Attention, le danger n’est pas celui d’une alternance banale, « pépère », mais bel et bien d’un basculement dans quelque chose de terrifiant. Le piège se refermerait alors pour un long bail. À gauche, il y a trop de légèreté et d’irresponsabilité face à cela. C’est pourquoi les communistes ont décidé majoritairement de ne pas ajouter une candidature supplémentaire. Nous appelons à voter Jean-Luc Mélenchon avec l’ambition d’une parole communiste forte pour élargir le rassemblement. Il faut reconstruire des repères significatifs de gauche et le faire vite. Un exemple  ? Oui, la France peut accueillir les migrants.

La thèse de deux gauches irréconciliables est relancée à l’orée de ce scrutin. On parle d’un divorce qui ne date pas d’hier. Sur quoi est-il fondé  ? Est-il, par ailleurs, irrévocable  ?

GÉRARD FILOCHE La cause essentielle de la division de la gauche est la politique de droite menée par François Hollande. Mais elle n’a rien d’inéluctable. Il était difficile, depuis 1975, de trouver plus opposés que le PC et le PS portugais. La politique d’austérité du dirigeant du PS, José Socrates, avait durement frappé le salariat. En 2011, il avait été battu par la droite, qui avait mené une politique encore plus dure. Pour éviter que les Portugais n’aient à subir un nouveau gouvernement de droite, le PS, le PC portugais et le Bloc de gauche ont réussi à s’entendre. Le programme de Fillon va dégager, à gauche, une importante énergie contre lui. Ses attaques contre le salariat, auxquelles la politique de François Hollande a servi de tremplin, sont inouïes  : assurance-maladie, allocations chômage, retraites, 500 000 postes de fonctionnaires supprimés, non-paiement des heures supplémentaires, révision du mécanisme de revalorisation du Smic, suppression de l’ISF et augmentation de 2 points de la TVA… Mais cette énergie, à elle seule, serait insuffisante. Pour qu’elle soit utilisée efficacement et permette de battre la droite, il faudra (comme dans un moteur) qu’elle soit canalisée dans un seul grand piston. Or, aujourd’hui, à gauche, il y a beaucoup de petits ou de moyens pistons… Pour gagner, il va falloir se rassembler sur un socle commun.

ALEXIS CORBIÈRE Et si l’on sortait de cette latéralisation abstraite et des slogans convenus  ? Méfions-nous des faux unitaires qui sont souvent les vrais diviseurs. L’hypocrisie et les fausses réconciliations qu’ils proposent feront fuir des millions de concitoyens excédés par les combines, les rabibochages sans consistance, les stratégies à géométrie variable d’une élection à l’autre. Aucune dynamique propulsive et conquérante n’en sortirait. Aucun espoir non plus. Pour 2017, une chose est irrévocable  : la chute de la présidence Hollande et des protagonistes qui ont gouverné avec lui. Les idées que nous portons ne doivent pas être assimilées à cette faillite. C’est la condition pour qu’elles puissent convaincre demain une majorité de notre peuple. Une oligarchie financière détient le pouvoir contre le peuple. Son influence néfaste est très perceptible dans les programmes de droite, mais également au sein du PS et du bilan de MM. Hollande et Valls. C’est elle qu’il faut affronter où qu’elle se loge. Pour cela, il faut mettre à bas la Ve République et passer à une VIe République par la convocation d’une Assemblée constituante. Il faut également libérer notre pays des traités européens antidémocratiques, abroger la loi El Khomri, mettre en œuvre un autre partage des richesses, augmenter les salaires à commencer par le Smic, engager la planification écologique et viser 100 % d’énergies renouvelables, etc. Voilà notre programme « l’Avenir en commun » et ses 350 propositions, inconciliables avec l’oligarchie. C’est cela que porte la France insoumise avec Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et ses candidats aux élections législatives. Bienvenue à tous ceux qui sont d’accord pour mener les tâches essentielles avec nous.

OLIVIER DARTIGOLLES De qui parle-t-on  ? Des soutiens à la politique actuelle  ? En effet, nous ne regardons pas dans cette direction. Ils sont disqualifiés. La fracture est connue  : la gauche, ce n’est pas l’austérité. Il y a, d’un côté, l’immense masse des dominés et, en face, les représentants d’un système dont on ne veut plus. En revanche, les électeurs de François Hollande du premier tour en 2012, les écologistes, les forces du Front de gauche, toutes celles et tous ceux qui étaient au coude-à-coude dans les manifs contre la loi El Khomri, les bataillons d’abstentionnistes ne sont pas irréconciliables puisqu’ils éprouvent la même chose. L’ampleur des convergences est un atout pour l’avenir. Quel que soit le moment où ils se sont rendu compte que la politique actuelle n’apporterait rien de bon, il faut discuter. C’est pourquoi le rassemblement le plus large, à dimension majoritaire, des forces sociales et politiques, des mouvements, des organisations, des femmes et des hommes, est notre seule et unique boussole. Si on croit que l’on n’a pas besoin des autres, que les autres sont des freins ou des obstacles, cela ne sera pas à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi le PCF est en campagne, à la présidentielle et aux législatives, pour additionner et ne jamais soustraire, pour faire progresser le rassemblement partout. Pour faire en sorte que la prochaine surprise soit du côté de la gauche de transformation.

Table ronde animée par Nicolas Dutent, L’Humanité


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