500 000 fonctionnaires en moins, et nous, et nous, et nous  ?

vendredi 30 décembre 2016.
 

10 % des effectifs de la fonction publique seraient-ils superflus  ? Non, répondent les fonctionnaires, qui s’inquiètent du projet de société que le candidat de droite François Fillon associe à cette proposition.

Peut-on passer à la trappe 500 000 fonctionnaires sans atrophier les services publics  ? Pour le candidat de droite à la présidentielle, la réponse est comptable. Ce choix est « nécessaire pour atteindre l’équilibre des comptes publics », déclarait-il lors du dernier débat des primaires l’opposant à Alain Juppé, jeudi dernier. Si l’équation paraît simple pour François Fillon, les inconnues demeurent pour les agents  : quels métiers, quels secteurs seront les plus touchés par la faucheuse  ? Le député de Paris entretient le flou, promettant juste de s’attaquer aux trois versants de la fonction publique (État, hôpital, territoires) pour ne pas faire de jaloux. Ses propositions à l’emporte-pièce inquiètent tant les personnels que les usagers, qui ne voient pas comment l’on pourrait garantir l’égalité de traitement et la solidarité entre citoyens en amputant l’emploi public de 10 %.

« Supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires consiste à ne remplacer aucun départ à la retraite de 2018 à 2022, analyse Jean-Marc Canon, de l’Union générale de fédérations de fonctionnaires CGT. À la suite des réformes rétrogrades sur les retraites (abaissement des droits, recul de l’âge, etc.), les chiffres actuels montrent que le flux annuel des départs diminue sensiblement année après année. On peut estimer à 500 000 le nombre maximal d’agents qui feront valoir leur droit. Mais pour supprimer autant d’emplois, il ne faudra en remplacer strictement aucun d’ici à 2022. » Or, dans le même temps, François Fillon veut en finir avec les régimes spéciaux et imposer à tout le monde la retraite légale à 65 ans. « De telles mesures ne pourront que retarder significativement l’ouverture des droits des agents. Si la réforme des retraites passe, il n’y aura jamais 500 000 fonctionnaires qui partiront à la retraite dans la mandature », remarque, narquois, le secrétaire général de l’UGFF. Mais François Fillon a prévu un autre argument. Si, au départ, il ne pointait du doigt que les stricts fonctionnaires, son vocabulaire a évolué. L’ex-premier ministre de Sarkozy évoque plus largement l’emploi public, incluant ainsi les vacataires et autres contractuels. Soit 100 000 missions par an. Une solution complémentaire pour puiser dans les effectifs. Le risque d’une privatisation de certaines fonctions

Mesure-t-on plus en détail à quoi peut correspondre ce chiffre ébouriffant  ? Des centaines de milliers d’emplois d’infirmiers, de médecins, de contrôleurs des impôts, de policiers, de militaires, d’enseignants… avec pour ligne de fuite une privatisation de certaines fonctions. Et un risque pour le respect des principes d’égalité, de solidarité, de proximité et d’unité territoriale garantis par les services publics. Sur 5,4 millions d’emplois, l’hôpital concentre 1,15 million d’agents. Mais tous ne sont pas fonctionnaires. « 150 000 contractuels occupent des postes permanents dans la fonction publique hospitalière », alerte Jean Vignes, secrétaire général de la fédération SUD santé sociaux. Le 8 novembre, l’intersyndicale de la santé (CGT, FO, SUD) était mobilisée pour défendre l’hôpital et obtenir plus de moyens, dénonçant « les dégradations extrêmes des conditions de travail des personnels ainsi que l’augmentation de la mortalité et la diminution de l’espérance de vie de la population inhérentes à ces politiques ». Rogner sur les effectifs ne pourra qu’entraîner une nouvelle dégradation de ce service public, d’autant que les syndicats ont évalué à 33 000 postes le nombre d’heures accumulées sur leur compte épargne temps par les salariés de l’hôpital…

L’ex-ministre de l’Éducation nationale, entre mars 2004 et mai 2005 sous Jacques Chirac, pourra-t-il s’attaquer raisonnablement à cet autre secteur  ? « Réduire les effectifs serait une catastrophe, avertit Marc Oudot, professeur de lycée à Gonesse (Val-d’Oise) et syndiqué Snes. Cela entraînerait un recul pour toute la population avec un service public de moindre qualité et la difficulté d’assurer des remplacements en banlieue. Le nombre d’adultes présents dans l’établissement est un élément essentiel pour un enseignement de qualité. » Ce professeur souligne la présence déjà grandissante des vacataires et contractuels exerçant des temps partiels dans les établissements, s’inquiétant de la précarisation rampante de la profession. « Nous avons fait grève en début d’année pour créer une classe supplémentaire afin de désengorger les cours. On nous opposait comme argument que l’éducation nationale n’arrivait pas à recruter d’enseignants. En dégradant les conditions de travail, on aura toujours plus de mal à recruter  ! » Autre sujet inquiétant pour les enseignants  : les promesses de moyens supplémentaires accordés à l’école privée et d’autonomie des établissements. « Fillon veut renforcer le contrôle du chef d’établissement, en faire un manager local qui aura plus de pouvoir sur les enseignants, grâce à la prime au mérite, à la possibilité subjective de répartir les heures supplémentaires en fonction des enseignants… » Une idéologie qui ne serait pas sans influence sur l’enseignement. Au bout de la chaîne, c’est la collectivité qui paiera plus cher

Si partout, la réduction des effectifs apparaît problématique, ses conséquences sur les missions se révèlent dangereuses. Depuis plusieurs années, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes tire la sonnette d’alarme. On se souvient du scandale des lasagnes au cheval, de la viande contaminée. La DGCCRF contrôle aussi la sécurité des jouets, des aires de jeux, la prestation des banques et assurances, les commandes publiques… « Nous étions 3 000 agents à la DGCCRF avant la révision générale des politiques publiques, constate Évelyne Wichegrod, enquêtrice dans les Pyrénées-Atlantiques. Sur le terrain, les services de contrôles ne sont plus que 2 000. L’emploi est gelé pour la quatrième année consécutive. Des missions ne sont plus exercées, on réduit l’accueil aux consommateurs et on étend notre territoire. On développe la “multispécialisation”, c’est-à-dire que nous devenons des spécialistes polyvalents, donc nous n’avons plus le temps de mettre à jour nos compétences ni de nous former correctement. Les textes se complexifient et nous sommes de moins en moins nombreux. » Les agents s’inquiètent de ne plus avoir le temps de rechercher les indices d’entente, les pratiques d’anticoncurrence lors d’une ouverture d’un marché public. « Dans certains départements, il n’y a plus de personnes pour aller aux commissions d’appel d’offres, s’inquiète la militante CGT. On asphyxie l’administration qui contrôle les entreprises. » Au bout de la chaîne, c’est la collectivité qui paiera plus cher, car l’administration de contrôle n’a déjà plus les moyens de vérifier partout les possibles collusions en amont d’une signature de contrat. Les autres administrations de contrôle (sanitaire, vétérinaire) souffrent des mêmes manques.

Si dans son programme François Fillon assure vouloir donner les moyens aux ministères régaliens (sécurité, justice), ses propos sur le rapprochement entre police municipale et police nationale ont éveillé des craintes. « Police nationale et municipale n’ont pas les mêmes compétences, ni le même temps de formation, analyse Anthony Caillé, de la CGT police Paris. La police municipale ne rend pas compte de ses activités aux magistrats mais à l’édile, qui constitue le premier magistrat de la commune. » Séparer les pouvoirs au niveau national garantit l’indépendance des fonctionnaires et les libertés des citoyens. Si la police municipale ne répond de ses actes qu’au maire de la ville, on imagine les pressions en période électorales. Voici pourquoi seule la police nationale peut aujourd’hui contrôler les identités, prendre les dépôts de plainte, ou faire respecter l’état d’urgence. Dans la Constitution, la police est une mission régalienne de l’État. Attention aux dérapages…

En taillant dans les effectifs, en s’attaquant au statut des fonctionnaires par un glissement des missions, le programme du candidat de droite est dangereux. Pour tous les agents de tous les secteurs confondus, il s’agit, au-delà de leurs propres conditions de travail, de défendre un enjeu sociétal majeur pour l’intérêt général.

Kareen Janselme

L’Humanité


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