La biodiversité, un enjeu d’avenir

lundi 12 décembre 2016.
 

Avec les contributions de Pierre-Henri Gouyon, agronome, biologiste et évolutionniste, Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie et environnement CNRS , Luc Abbadie professeur, directeur de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris et Pierre Laurent, secrétaire national du PCF.

Le risque d’une dynamique d’effondrement

par Pierre-Henri Gouyon Agronome, biologiste et évolutionniste

La biodiversité n’est pas une liste d’espèces et la grosse erreur est de croire qu’elle est en quelque sorte un état des choses. Depuis Darwin nous savons que les formes vivantes évoluent constamment. L’équilibre se maintient entre les disparitions et les naissances. C’est comme un vélo. C’est parce que la biodiversité est en mouvement qu’elle s’équilibre. Sinon, elle entre dans une dynamique d’effondrement, comme un satellite qui aurait ralenti. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Car, au fond, il n’y a pas tant d’espèces que cela qui disparaissent si on regarde bien, mais les indicateurs montrent que dans toutes les formes vivantes les effectifs se cassent la figure, de même que la diversité génétique. Une fois que la dynamique d’effondrement est enclenchée, les choses peuvent aller très vite et il est très difficile d’interrompre le processus. Pour autant, je n’ai aucune inquiétude pour la planète. Elle s’en fout et des tas de microbes et de bestioles s’en sortiront. Par contre, je m’inquiète pour les êtres humains, les générations futures qui devront vivre ça.

Concernant la recherche, malheureusement, la biodiversité est trop souvent considérée comme quelque chose qui rend service aux humains. Donc on agit au coup par coup. On plante des arbres. Mais ça ne sert à rien si on ne considère pas les choses comme un tout. Par ailleurs, et au nom du bien des êtres humains, on est en train de mettre en place des stratégies génétiques très élaborées qui consistent à détruire certaines espèces. C’est le cas du moustique. Et c’est un bel exemple. En voulant diminuer les populations de moustiques responsables de la transmission la dengue – ce qu’ils ont réussi à faire à force de technologie et de sciences –, ceux qui ont été à la manœuvre reconnaissent aujourd’hui que c’est peut-être de leur fait si le moustique qui transmet Zika s’est développé. Les systèmes écologiques sont complexes. On ne fait pas ce que l’on veut.

Pour ce qui est de la recherche au sens propre, le malheur, c’est que comprendre ne rapporte rien. En d’autres termes, les recherches qui peuvent rapporter de l’argent, les biotechnologies ou la neuroscience par exemple, sont largement subventionnées. Celles qui concernent l’écologie ne le sont pas. L’argent a pris une très grande importance dans la recherche. C’est un gros problème.

Laissez-moi vous donner un exemple. Sur la question des organismes génétiquement modifiés (OGM) et au nom du « progrès », certains sont aujourd’hui promoteurs de ce que l’on appelle le « riz doré ». C’est un riz dans lequel on a rajouté des vitamines, du carotène notamment. Pourquoi  ? Pour éviter à ceux qui ne mangent que du riz de se retrouver carencés et même de devenir aveugles comme ça a été le cas pour certains enfants. C’est formidable de sauver des enfants de la cécité grâce aux OGM  ! Et quand Greenpeace a dénoncé ce riz, dont le rendement est d’ailleurs catastrophique, des prix Nobel ont signé une pétition contre l’ONG, l’accusant, en gros, de faire mourir des enfants. Maintenant, racontons l’histoire autrement. Autrefois, les paysans cultivaient le riz avec, en bord de rizière, des plans d’aubergines. On les mangeait ensemble et les vitamines contenues dans l’aubergine compensaient les carences du riz. Nous avons donc deux solutions  : remettre des aubergines en bord de rizière, ou prendre le gène de l’aubergine pour le mettre dans le riz. Les promoteurs des OGM de progrès ont choisi la deuxième solution. Autrement dit, à chaque fois que l’on entend que le progrès technique est bon pour nous, et qu’il y aura une poignée d’écolos pour émettre des doutes, écoutons-les. Ils ne disent pas que des bêtises.

Une nécessité pour la survie des êtres humains

par Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie et environnement CNRS

« Biodiversité » est un terme que tout le monde utilise aujourd’hui. En réalité, c’est un mot récent, prononcé pour la première fois en 1986 lors du national forum de Washington. À l’époque, on parlait de « bio-diversity », en deux mots, signifiant littéralement la diversité du vivant. Il faudra attendre 1992 et le sommet de la Terre à Rio pour que le terme de biodiversité soit démocratisé. Il en va de même pour l’écologie scientifique. La discipline est récente, à tel point que l’Institut écologie et environnement du CNRS n’a été créé qu’en 2009, il n’y a pas dix ans… La biodiversité est un drôle d’oiseau. Dès qu’une discipline tente de la capturer pour en donner une définition précise, elle s’échappe. À défaut de pouvoir précisément définir ce qu’elle est, nous pouvons éventuellement expliquer ce qu’elle n’est pas. La biodiversité n’est pas la nature sauvage. Nous en faisons partie. Au fond, penser la diversité du vivant, c’est penser les formes d’organisations et d’interactions des communautés, humaines et non humaines.

La biodiversité n’est pas non plus ce que l’on voit autour de nous. Une multitude d’organismes microscopiques nous sont encore inconnus. Si nous prenons l’exemple de l’expédition scientifique Tara Océans, les chercheurs à bord ont effectué des prélèvements dans la plupart des eaux du globe pendant quatre ans. Les résultats de leurs analyses montrent, entre autres, que nous ne connaissons pas des milliards de virus. La biodiversité n’est pas une liste d’espèces. Comment quantifier la diversité du vivant  ? Je ne sais pas. Nous avons une station en plein cœur de la forêt amazonienne, en Guyane, et je peux vous dire qu’il y a là-bas, sur un kilomètre carré de cet écosystème, plus d’espèces en nombre que toute la flore européenne. On ne les connaît évidemment pas toutes encore. Enfin, la biodiversité n’est pas une collection actuelle du vivant. Elle évolue.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que la biodiversité est nécessaire à l’homme si nous voulons avoir une chance de nous adapter alors que nous faisons face à des changements globaux inédits, climatiques et économiques. Grâce à la COP21, un certain nombre de scientifiques ont pu être entendus. Pour la première fois, on nous a réellement donné la parole. C’est important car nous avons un message à faire passer.

Comprendre l’environnement et son fonctionnement permet par exemple d’appréhender certaines maladies environnementales. Et quel meilleur moyen de soigner si ce n’est ne pas tomber malade  ?

L’écologie a de nombreuses implications sociales

par Luc Abbadie, professeur, directeur de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris

Il y a deux manières d’appréhender la biodiversité. L’une, historique, consistant à comprendre l’évolution des espèces, et l’autre, sur un temps plus court, qui se focalise sur les interactions des organismes entre eux, c’est-à-dire une approche plus écosystémique. Comment s’organise cet assemblage et comment répond-il aux variations de son environnement  ? C’est ce que l’on appelle traditionnellement l’écologie, la science des interactions au sein du monde vivant. C’est un monde complexe. Ce que l’écologie essaye de faire, c’est de comprendre la logique d’ensemble qui n’est pas la somme des interactions. Autrement dit, un écosystème ne fonctionne pas comme l’addition des comportements des organismes qui le composent. Et quand on a face à nous des millions d’organismes, voyez un peu l’ampleur de la tâche  ! J’ai coutume de dire que l’écologie est une science de fou en ceci qu’elle tente de comprendre le fonctionnement du grand tout. L’écologie a progressé ces dernières années, et avec elle la connaissance. Nous pouvons dire que nous avons un début de compréhension, de prédictivité aussi. Nous sommes désormais capables d’établir des hypothèses. C’est en somme le parcours par lequel sont passées toutes les autres sciences.

Bien évidemment, lorsqu’on commence à comprendre les choses, l’action devient possible. Il y a vingt ou trente ans, si un agriculteur nous avait questionnés sur les façons de produire plus écologiquement, nous aurions été en difficulté pour lui répondre. Aujourd’hui, nous avons les idées plus claires en matière d’agroécologie. Les problématiques que l’on aborde en écologie ont, en outre, de nombreuses implications sociales aujourd’hui. C’est le cas du changement climatique, des pollutions, des questions d’érosion de la biodiversité. C’est à la fois très intéressant de voir que notre état de compréhension peut permettre d’avancer, mais c’est aussi pour nous, scientifiques, tout à fait nouveau. Nous sommes sollicités de toute part, on nous pose des tas de questions, y compris sur la possible valorisation économique de nos recherches. On nous demande d’agir sur des systèmes naturels complexes, ce que personne n’a jamais fait jusque-là.

Reprenons l’exemple de l’agriculture. C’est fou. On a réussi à transformer l’activité peut-être la plus importante pour l’humanité, puisqu’elle nous donne à manger, en catastrophe écologique. Pourquoi  ? Parce que nous n’avons jamais considéré les systèmes agricoles comme un tout. Nous avons été monomaniaques d’une fonction, en l’occurrence la production. Et aujourd’hui, malgré les avancées de la recherche, nous constatons que la logique à l’œuvre est toujours la même. Une logique qui privilégie l’instrumentalisation du vivant en oubliant que l’écosystème est avant tout évolutif. C’est la prochaine révolution de pensée à opérer. Considérer enfin la gestion de l’environnement raisonnée, adapter l’agriculture aux changements climatiques, etc. Personne ne l’a jamais fait auparavant. C’est grisant mais il faut être très prudent. Et lorsqu’on entend parler de géo-ingénierie, ou de technologies qui consistent à placer des miroirs dans l’espace, à manipuler la terre, à fertiliser les forêts… C’est effrayant. On ne sait pas ce que l’on fait.

J’admets que tout ceci peut paraître contradictoire. Car à la fois notre niveau de connaissances nous permet d’agir et en même temps ce niveau de connaissances nous oblige aussi à reconnaître que, pour l’instant, tout ceci nous dépasse encore.

Il faut imposer des logiques de biens communs

par Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

Les agriculteurs sont un bon exemple. Il faut leur donner les moyens de retrouver le sens de leur travail. C’est vrai aussi dans le domaine de l’industrie et de la production où la tendance est plutôt à imposer des normes ou à soustraire aux travailleurs le pouvoir d’intervention sur la marche de l’entreprise, sur ce qu’ils produisent.

Ce qui concerne la recherche est à notre sens essentiel. Les logiques de réduction de la recherche fondamentale et d’instrumentalisation systématique sont des logiques qui ont envahi le discours actuel. Il faut réhabiliter le débat sur la recherche. Nous avons modestement tenté de le faire, au Sénat, à travers un rapport sur l’utilisation du crédit d’impôt recherche (CIR). Ce rapport n’a jamais été publié. À chaque fois que l’on essaye de soulever ces questions, nous avons affaire à des lobbys très puissants qui nous empêchent de le faire. L’exemple de ce rapport est un bon exemple. Il n’a jamais pu être publié en sachant que, lorsque des rapports parlementaires ne sont pas publiés, les élus qui y ont travaillé ne sont pas autorisés à en dévoiler les contenus.

Globalement, nous faisons face aujourd’hui à des urgences très lourdes de renouvellement structurel des modèles productifs, mais aussi des modèles agricoles et même urbains. Tout ceci nécessite de repenser les politiques publiques et le débat démocratique. Prendre le temps d’y réfléchir et de comprendre. Or, actuellement, on adopte des lois en urgence, sans aucune possibilité de dialogue avec la société. Le travail parlementaire est sous contrainte.

Pour nous, en tant que force politique, il est important d’imposer des logiques de biens communs là où seules les logiques marchandes prévalent. Pour ce qui est de la biodiversité, si nous voulons ces approches globales dont les scientifiques parlent, si nous voulons prendre en compte l’ensemble des systèmes, il faut aller contre un marché qui segmente tout. Prenons un exemple, l’énergie. On nous dit qu’il faut organiser la transition et, dans le même temps, le gouvernement livre l’entièreté du secteur à des logiques de court terme et de rentabilité. Finalement, tout ceci nous interdira d’avoir une maîtrise globale et intelligente, y compris dans la prise de décision.

L’environnement est un sujet mondial, qui ne concerne pas seulement les politiques nationales. Et là où les scientifiques dialoguent à l’international, mettent en place des recherches collectives et des équipes internationales, les citoyens qui voudraient se saisir de ces questions, eux, ont très peu de moyens de le faire.

Les logiques d’interventions citoyennes dans les espaces nationaux et au-delà sont très faibles. Or, si nous voulons que les citoyens s’en mêlent, il faut construire ces espaces de débats démocratiques. Ce sont des défis passionnants, qui nous imposent de réfléchir et de se concerter à des échelles nouvelles.


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