CETA TAFTA : Rien à gagner dans les traités de libre-échange 

vendredi 9 décembre 2016.
 

La logique qui préside aux négociations des traités commerciaux entre l’Europe, d’une part, le Canada et les États-Unis, d’autre part, est fortement contestée.

Il faut dire que les motifs économiques qui ont présidé au lancement de ces discussions sont des plus faibles. Gagner seulement 2 à 3 dixièmes de point de croissance du PIB est loin d’emporter l’adhésion. Mais les dangers sont considérables  : relance de la course au moins-disant social, mise en cause des garanties sanitaires, contournement des règles environnementales… Sans parler de la mise en place d’une juridiction privée pour interpréter les nouvelles règles. L’Europe a peu à gagner et beaucoup à perdre.

C’est l’occasion de revenir sur la théorie économique contestable des « avantages comparatifs » qui fournit le soubassement idéologique à la politique du libre-échange. Cette théorie fut élaborée par Adam Smith et développée par David Ricardo au début du XIXe siècle. Pour Ricardo, un pays doit se spécialiser dans la production et l’exportation des biens qu’il produit à un coût relatif inférieur à celui des autres pays. Chaque pays, en se spécialisant dans les secteurs de production où il est le meilleur, sera à terme gagnant. D’où le célèbre exemple de l’Angleterre et du Portugal. Compte tenu de l’analyse des coûts, le Portugal avait intérêt à se spécialiser dans la production de vin alors que l’Angleterre devait produire des draps.

Sauf que les pays émergents ont montré qu’une politique industrielle sérieuse articulée à une maîtrise des flux de capitaux permettait de bâtir une économie très solide malgré l’absence d’avantages comparatifs initiaux. Le commerce et la division internationale du travail n’ont plus grand-chose à voir avec la réalité que décrivait Ricardo.

La théorie de Ricardo supposait que le capital et le travail, mobiles à l’échelon national, sont immobiles au niveau international et que les avantages comparatifs sont durables. Il ne prenait pas en compte le fait que les avantages comparatifs évoluent vite, rendant désuète une spécialisation et créant rapidement une situation de dépendance insupportable lorsqu’elle touche des domaines stratégiques. Pensons au domaine de l’alimentation. Il n’envisageait pas plus que les capitaux puissent se déplacer d’un pays à l’autre à la recherche d’un taux de profit plus élevé. De quoi ruiner les efforts faits par un pays pour conforter ses avantages comparatifs.

En second lieu, à l’heure où la moitié des échanges internationaux sont des échanges intra-firmes, c’est-à-dire entre filiales d’un même groupe, on mesure la fragilité du raisonnement de Ricardo. Il n’y a pas d’indicateurs permettant de mesurer les avantages comparatifs. Quels sont, dans le cadre du commerce intra-firmes, les termes de l’échange, le prix des biens réellement facturé, le prix effectivement payé  ?

Enfin, il ne pouvait pas prendre en compte le fait que la concurrence n’allait plus s’opérer globalement entre branches de production mais se déploierait au sein même des branches, faisant de l’échange un outil de la complémentarité des productions. Le résultat est là  : les principaux partenaires de la France ne sont pas des pays qui disposent de ressources spécifiques fondant un avantage comparatif structurel. Il faut en tirer les leçons. L’Europe peut avoir intérêt à accroître son ouverture commerciale. Mais cela doit résulter d’une politique de développement et de coopération audacieuse et non des vertus supposées de l’idéologie de Ricardo.

Jean-Christophe Le Duigou, économiste et syndicaliste. Chronique dans L’Humanité Dimanche.


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